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membre de la cour du roi. Or, c'est une distinction que les chroniques n'ont point faite.

Le président Hénault dit qu'il y eut six pairies laïcs, parce qu'il y avait six grands fiefs immédiats de la couronne. Rien de plus vraisemblable.

Ces pairies furent les duchés de Normandie, de Bourgogne et de Guyenne, les comtés de Flandres, de Toulouse et de Champagne.

J'explique ainsi l'origine des pairies ecclésiastiques: nous avons vu quel était le rang du clergé, sous les deux premières races. Il siégeait alors dans les assemblées avant la noblesse. Rien d'important ne se faisait sans le concours de ses principaux membres. Cette splendeur était bien déchue, sous la troisième race ; mais le souvenir néanmoins s'en était encore conservé, et il en restait quelques traces. Le clergé était encore appelé dans les plaids des seigneurs.

On comprend que les ecclésiastiques devaient plus volontiers encore être admis dans la cour du roi, dont la politique était nécessairement de rétablir l'Eglise dans son état ancien, pour pouvoir l'opposer avec fruit à la noblesse. Là encore, ils siégeaient donc à côté des barons.

Quand les rois furent obligés de consacrer l'établissement des six grandes pairies laïques, ils cherchèrent probablement à affaiblir cette nouvelle puissance, en lui associant six autres pairies, dont le titre vint de leur couronne. C'était parmi les vassaux du fief royal, composant la cour du roi, qu'elles devaient être naturellement choisies; mais il y avait, entre les barons et les grands feudataires, une trop grande distance pour qu'on put choisir les premiers, et les associeraux seconds. Les évêques, membres de cette même cour, n'étaient, à la vérité, qu'au même rang, comme vassaux immédiats du fief royal; mais l'usage ancien les plaçait dans une autre classe. Ils pouvaient marcher à côté de ceux qu'ils eussent jadis précédés, voilà pourquoi il y eut six pairs ecclésiastiques

qui furent les évêques de Reims, de Beauvais, de Langres, de Noyon, de Châlons et de Laon.

S XXIV.
Saint-Louis.

Ce monarque, saint devant Dieu, et si grand devant les hommes, contribua puissamment à abattre l'édifice féodal; il fit, par les institutions, ce que Philippe-Auguste avait fait par les armes.

Il abolit l'usage du combat judiciaire dans ses domaines. Au lieu de l'appel par combat, il établit que le plaideur qui se croirait mal jugé, aurait recours à une juridiction supérieure. Les seigneurs adoptèrent successivement cet usage: la coutume d'appeler du vassal au suzerain s'établit alors. Or, comme le roi était le suzerain des suzerains, les appels arrivèrent, par gradation, jusqu'à sa cour. Ce fut ainsi que la haute administration de la justice fut rendue à la couronne.

Pour faciliter ces appels, on établit, dans la suite, de grands tribunaux, appelés baillages : les baillis eurent un ressort imposant par son étendue; ils furent en même temps commandans des milices, afin de pouvoir soutenir leurs arrêts. Ils établirent les cas royaux, c'est-à-dire, les espèces dont les juges seigneuriaux ne pouvaient connaître. Ces cas royaux restèrent toujours un peu vagues; et ce fut ce qui facilita le plus l'empiètement du juge royal sur la juridiction seigneuriale.

De cette qualité de juge souverain que le roi avait reconquise, à celle de législateur il n'y avait qu'un pas. SaintLouis amena les Français à reconnaître ce titre en lui, en agissant avec beaucoup de mesure, en ne réglant, par des lois générales, que ce dont la France entière se plaignait. Ses successeurs purent marcher avec plus de hardiesse. Philippe-le-Bel, en montant sur le trône, eut, sans contestation, le droit de faire des lois pour tout le royaume. L'exercice de cette prérogative-dut être borné, dans les premiers temps;

mais il devait nécessairement, dans la suite, consommer la ruine du gouvernement féodal.

S XXV.

Philippe-le-Bel (14° siècle).

C'est un des règnes les plus remarquables de notre monarchie. C'est l'époque où l'on voit les élémens épars et confus du gouvernement de France, se réunir, se coordonner jusqu'à un certain point, pour former une constitution dont les principes seront souvent, dans la suite, négligés par l'incurie du peuple, méconnus par l'ineptie des ministres, faussés par le despostime de la cour.

Philippe était né avec un esprit profond, un caractère ferme, un cœur ambitieux. Il voulut, comme ses prédécesseurs, abattre les grands vassaux; mais comme, son plan était de dominer également sur tous ses sujets, sa politique fut moins généreuse.

Ce qui soutenait encore les seigneurs, c'était le droit de battre monnaie. Les altérations fréquentes qu'ils faisaient subir aux espèces leur procuraient de grandes richesses; et, comme c'était un fléau pour le peuple, ils lui vendaient quelquefois la renonciation à cette funeste prérogative. Les sommes annuelles payées pour prévenir les opérations de ce genre, étaient appelées monnéages.

Philippe, après avoir, au commencement de son règne, changé souvent ses monnaies et altéré leur valeur d'une façon ruineuse pour la nation, répara le mal, en faisant faire une nouvelle fabrication, et en déclarant que tous ceux qui rapporteraient d'anciennes espèces recevraient des dédommagemens. 11 alla plus loin : sûr d'être soutenu par la reconnaissance publique, il ordonna d'abord qu'à l'avenir un de ses officiers veillerait à la fabrication de chaque monnaie sei.gneuriale; puis ensuite il suspendit, sous divers prétextes, toute fabrication d'autres espèces que celles de la couronne; puis il donna cours à celles-ci dans toute l'étendue du royaume, et

ensuite il porta une défense générale de battre monnaie dans tout autre lieu les hôtels royaux.

que

Les seigneurs n'étaient plus assez forts pour résister ouvertement; ils se soumirent; ainsi fut tarie la source d'où ils pouvaient encore tirer quelque force. Il ne leur fut plus dès-lors possible de soudoyer des corps un peu redoutables; et, lors→ que le monarque leur défendit peu de temps après de troubler la paix publique en guerroyant entre eux, ils furent encore obligés de fléchir..

C'est sous le règne des fils de Philippe-le-Bel, qu'il faut placer la chûte totale du gouvernement féodal; mais le règne de ce prince lui-même doit encore fixer nos regards.

S XXVI.

Du Parlement.

Ce qui caractérise surtout l'histoire de notre Droit public, c'est une suite de faits qui attestent que jamais notre nation ne fut régie par une volonté absolue, et que, dans tous les temps, l'autorité dut être au moins appuyée de l'accession d'une portion ou d'une classe des sujets. Cette assertion est juste, et il faut l'avoir sans cesse en vue en parcourant l'histoire des derniers siècles. Presque tout apparaît alors sous un autre aspect.

Aucun point historique n'a été autant débattu que celui de l'origine du parlement. Aucun n'a donné lieu à autant de discussions. On a tour-à-tour considéré cette compagnie comme cour de justice, ou comme corps politique, et chacun a eu son systême, suivant qu'il a voulu attribuer ou refuser plus ou moins d'importance au parlement; la question s'est trouvée de plus en plus obscure, parce que c'est fort rarement l'impartialité qui s'est chargée de l'examiner.

Suivons fidèlement la marche que nous avons adoptée.

On a vu que Charlemage avait établi deux sortes d'assemblées; 1o le Champ-de-Mai,' qui n'était que l'ancien Champ-de-Mars régularisé; 2o le placitum ou parlamentum qui n'était guère que le conseil des leudes de la première race.

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La première cessa d'avoir lieu quand le systême féodal s'établit; la seconde continua à exister, et c'est ce que nous avons appelé cour du roi, ou des plaids royaux. Mais ici encore il y a une distinction à faire. Quand Saint-Louis eut aboli la jurisprudence des siècles barbares, il s'introduisit naturellement de nouvelles formes de procédure; il fallut ouïr et confronter des témoins, examiner des actes ou peser des raisonnemens. Ceux qui ne savaient que manier l'épée, devaient dès-lors se trouver au second rang; et il fallait nécessairement que des membres du bas clergé et des communes, les seuls hommes qui fussent alors éclairés, prissent quelque part à l'instruction des affaires; c'est ce qui arriva effectivement, et cela produisit un changement notable. Car les barons s'éloignèrent d'une cour où siégeaient des clercs et des villains, et alors il y eut, en quelque sorte, deux tribunaux dans un seul, composé, comme nous venons de le dire, et présidé par un officier royal, ce fut la cour du palais; elle put connaître de la plupart des affaires; quelques-unes seulement demandaient le concours du roi, et de ses assesseurs ordinaires, ce fut la cour des plaids royaux (1).

La première eut lieu, de règne en règne, plus fréquemment; la seconde devint, de jour en jour, plus rare. Les assises de la première furent appelées parlemens, et le nom lui en resta quand les assisses furent devenues permanentes, ou à-peu-près; les séances de la seconde semblent avoir fait naître et amené l'usage des lits de justice.

Philippe-le-Bel porta, en 1302, une ordonnance fameuse, qui rendit la cour sédentaire à Paris, et lui assigna deux assises par an Propter commodum subditorum nostrorum et expeditionem causarum proponimus ordinare; quòd duo parlaMENTA Parisiis tenebuntur in anno, dit la loi.

Ainsi, le parlement remplaça donc la cour du roi, ou plutôt une section de la cour du roi. C'est à ce titre qu'il devint

(1) Le comte de Buat, Des Origines, tom. 1.

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