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S XVIII.

Hugues-Capet. (10° siècle.)

La postérité de Pepin porta encore le sceptre pendant un siècle après Charles-le-Chauve : il y eut des Louis et des Carloman sur le trône, comme il y avait eu auparavant des Clovis et des Childéric. Toutefois, un changement de dynastie était une conséquence non moins nécessaire de l'ordre politique nouvellement établi. « L'hérédité des fiefs, dit l'auteur » de l'Esprit des lois (2), et l'établissement général des arrière» fiefs éteignirent le gouvernement politique et formèrent le > gouvernement féodal. Au lieu de cette multitude innom» brable de vassaux que les rois avaient eus, ils n'en eurent » plus que quelques-uns, dont les autres dépendirent. Les >> rois n'eurent presque plus d'autorité directe : un pouvoir qui devait passer par tant d'autres pouvoirs, et par de si grands pouvoirs, s'arrêta ou se perdit avant d'arriver à son » terme. De si grands vassaux n'obéirent plus, et ils se servi» rent même de leurs arrière-vassaux pour ne plus obéir. Les >> rois privés de leurs domaines réduits aux villes de Reims » et de Laon, restèrent à leur merci. L'arbre étendit trop loin » ses branches, et la tête se sécha. Le royaume se trouva sans >> domaine, comme est aujourd'hui l'empire. On donna la » couronne à un des plus puissans vassaux. »

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C'est un point historique encore obscur, de savoir si ce fut simplement, par le succès de ses armes, ou avec l'assentiment d'une assemblée nationale que le duc de France monta sur le trône, à la place du descendant de Charlemagne, oncle du dernier roi. Mais il est à croire que, reconnu d'abord comme roi par les arrière-vassaux de son fief, son titre fut ensuite consacré par le consentement tacite des autres grands possesseurs, qui, ne songeant qu'à établir leur souveraineté parfaite dans leurs fiefs respectifs, voyaient avec

(1) Liv. xxxi, chap. 31.

une sorte d'indifférence, une royauté assez peu forte pour ne pouvoir pas même exiger d'eux une ombre de vasselage.

Arrêtons nos regards sur cette révolution. La couronne avait été jusqu'ici à la fois héréditaire et élective; héréditaire, en ce que le roi était choisi dans la même race; élective le choix se faisait entre les enfans du monarque parce que qui venait d'expirer. L'occupation dú trône par le maître d'un des fiefs qui composaient la France, à l'exclusion de l'héritier légitime, amena de nouveaux principes relativement à la royauté.

Il est clair que tous les égaux de Hugues, c'est-à-dire les possesseurs de grands fiefs, avaient des droits égaux aux siens, et que, par suite la couronné pouvait devenir élective entre les grands vassaux; qu'enfin la France pouvait voir s'établir une constitution semblable à celle dont les lambeaux régis sent encore l'Empire.

Il est probable que l'habileté et le courage des premiers monarques, surtout les institutions éminemment nationales, au moyen desquelles quelques-uns d'eux se hâtèrent de sou lager le peuple, empêchèrent cet établissement. La reconnaissance publique, en éffét, perpétua aussitôt en leur faveur l'ancienne règle qui fixait la couronne dans la race royale, et forts eux-mêmes de cet appui, ils purent faire triompher de l'anarchie féodale, d'abord leurs droits, puis successivement ceux de leurs sujets.

Mais comment s'établit le principe de l'hérédité directe, et dans l'ordre de la primogéniture, qui fut depuis appliqué sans exception? Le voici. Il était de lá nature des fiefs amovibles ou à vie, de ne pouvoir être sujets au partage. Devenus perpétuels, ils durent conserver cette qualité, d'abord parce qu'elle avait existé, ensuite parce que le service attaché à la possession, en faisait une conséquence presque nécessaire. De la perpétuité des fiefs suivit donc le droit d'aî nesse. Or, la royauté, à cette époque, ne fut autre chose que la possession d'un fief; l'analogie introduisit le principe

de la primogéniture à l'égard de la couronne, et l'expérience des peuples en fit depuis une loi sacrée et constitutive de la

monarchie.

S XIX:

Gouvernement féodal.

Ici doivent être énoncées les conséquences de tout ce que nous venons de voir, et présentées les bases de ce gouvernement féodal qui pesa trois siècles sur notre patrie.

Le roi était seigneur suzerain de toutes les terres de son royaume, il nè relevait que de Dieu et de son épée. Ses vassaux directs étaient, à leur tour, seigneurs suzerains des nobles dont les domaines relevaient de leur fief; ces derniers, enfin, avaient pour vassaux cette foule malheureuse qui formait le dernier ordre de l'Etat; c'est ainsi que les biens féodaux enveloppaient depuis le souverain jusqu'au dernier de ses sujets.

Les grands vassaux étaient ces seigneurs qui, sous le titre de ducs, avaient envahi de grandes provinces, ou ces anciens officiers royaux qui, après avoir rendu leurs comtés indépendans, les agrandirent par la conquête.

On appella barons, les nobles du second rang, et villians, ces habitans des campagnes, premières victimes du brigandage organisé.

Comme il se mêle toujours, dans les choses humaines quelque lueur de raison, même au désordre le plus complet, on vit naître des usages et s'établir des règles qui diminuèrent, quoique bien faiblement, les fléaux de cet ordre social.

Il y eut ainsi des obligations réciproques entre le seigneur et le vassal. La nature et la durée du service que le second devait au premier, furentt fixées suivant les lieux. Quelques limites à l'autorité et aux droits de celui-ci, furent également consacrées par le temps et l'usage. Il y eut, comme dans tout état de législation, des devoirs, parce qu'il y avait des droits, et

la violation de ces devoirs fut punie, à l'égard du vassal, par la perte de son fief; à l'égard du seigneur, par la privation de sa suzeraineté.

Mais bornons-nous à quelques remarques, qui concernent plus particulièrement l'état politique de la France, à cette époque.

Le roi, comme suzerain des grands vassaux, avait simplement le droit de les appeler à la défense commune du territoire, encore ce droit lui fut-il contesté.

Comme possesseur d'un fief, il n'avait autorité que sur les vassaux qui en relevaient. Chose bisarre! il pouvait mêmė, pour un arrière-fief qui lui était échu, devenir le vassal, de l'un de ceux dont il était, comme roi, le suzerain.

C'était un principe, que le seigneur n'avait droit que sur le vassal, mais point sur les arrière-vassaux; c'est-à-dire sur tous ceux qui relevaient de ce vassal. Ce principe avait fait du roi le prince de quelques hommes seulement, et il avait classé tous ses sujets sous la domination réelle de ceux-ci.

Les grands feudataires et les barons armaient leurs vassaux, et marchaient, bannière déployée, pour exercer des actes de vengeance ou de justice, pour conquérir ou pour piller. Ils battaient monnaie; tenaient des cours supérieures où ils décidaient des points féodaux ; et des assises, où ils prononçaient selon la jurisprudence qui nous a légué le duel : LE JUGEMENT DE DIEU!

S XX.

De l'Eglise.

Les évêques marchèrent de pair avec les leudes sous la première race; ils précédaient les grands au commencement de la deuxième. Quand le gouvernement féodal fut établi, ils descendirent au second rang de gré ou de force; ils furent obligés de reconnaître un Suzerain. Soumis dès lors à tous les devoirs de la vassalité, ils remplirent également le service de plaids et d'armes, ils envoyèrent ou menèrent eux-mêmes leurs

tenanciers sous les bannières du seigneur; ils vinrent siéger dans sa cour souveraine de justice.

On peut croire que ces personnages, les seuls à-peu-près qui eussent alors des lumières et des vertus, furent placés, en général, par les rois, de même que par les grands feudataires, au rang de leurs barons, c'est-à-dire, de leurs vassaux immédiats. Cette remarque est importante, comme le feront voir les pages suivantes. Elle explique la naissance des pairies ecclésiastiques.

Le haut clergé se trouva graduellement dans un état d'avilissement toujours voisin du désordre. D'absurdes superstitions s'associèrent alors au dogme; la discipline se relâcha; les canons furent oubliés; l'épée arma la main qui devait bénir. Quelques-uns cherchèrent dans les cloitres un abri contre la tyrannie des gens de guerre. Ici, les travaux des uns défrichèrent et fécondèrent le sol; là, les veilles des autres découvrirent et préparèrent ces trésors des lettres anciennes qui devaient ramener la civilisation parmi nous.

N'oublions pas de rappeler que ce fut à cette époque où l'administration de la justice existait encore à peine, où les rois cherchaient à opposer leurs baillis aux officiers de fief chargés d'annoncer les lois du maître, que l'Eglise établit et étendit ees jurisdictions ressortissant du premier des évêques, et qui, par le plus monstrueux abus, firent du pape une espèce de juge souverain dans le royaume.

S XXI.

Des Communes.

On peut se faire cette image de la situation de la France, à l'époque où nous sommes parvenus: le roi ne règne que dans son fief; le territoire est coupé entre une foule de despotes orgueilleux et avides; le clergé est avili; le peuple dans l'abrutissement; les champs sont sans cesse ravagés par les troupes armées des bannerets qui guerroyent; nulle industrie, nul commerce; on ne sait plus que se battre, brûler les héré

TOME 1.

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