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famille; c'est un contrat public qui sort du gouvernement intérieur et privé du père de famille et que, dès lors, le pouvoir public doit sanctionner; les parties se rendent à l'audience, l'acquéreur prend livraison, paye le prix, et un acte public est dressé en présence de sept, ou de douze témoins, selon l'importance de la vente. La société se rend ainsi garant de l'authenticité du contrat. Si l'acte est reconnu faux, le chancelier qui l'a écrit a le pouce de la main droite coupé ou se rachète en payant cinquante sous d'or et chaque témoin quinze sous d'or. Le chancelier peut, il est vrai, en présence des autels, affirmer l'authenticité de la vente, mais si le poursuivant lui donne un démenti en jurant devant la porte d'une église, alors le droit civil est vaincu et anéanti; la société impuissante, abdique, rentre dans les forêts de la Germanie et fait appel à la force. Au bout de quatorze ou de quarante jours, le poursuivant et le chancelier vident leurs démêlés en champ-clos devant le roi. Tel est l'ultima ratio, le dernier argument du droit civil dans son enfance et de la société aux abois le duel.

:

L'intervention publique est d'autant plus nécessaire dans les transactions civiles que le lien social est plus faible.

Pour acquérir un objet de minime valeur, le

1. Mahl. Ce mot nous initie non-seulement à la connaissance d'un usage antique, mais nous fait mieux comprendre l'organisation judiciaire des Francs. Tacite dit que les Germains traitent dans les banquets des réconciliations entre en

Franc ripuaire devait se présenter devant le tribunal şiégant dans le Mahl1 (in Mallo) et avoir sept témoins, et, dans les cas extrêmes, il fallait même recourir au roi. Ces dispositions légales prouvent deux choses que les transactions étaient extrêmement rares et que l'intervention de l'autorité publique était indispensable. Le législateur com

nemis, des alliances, de l'élection des chefs, de la paix et de la guerre : « Sed et de reconciliandis invicem inimicis, et jungendis adfinitatibus, et adsciscendis principibus, de pace denique ac bello, plerumque in conviviis consultant» (Germania, cap. XXII).

Das Mahl, en allemand, signifie le repas; die Mahlzeit, proprement le temps du repas; c'était donc pendant le repas ou dans la grande salle des banquets, que les Francs, à l'exemple de leurs ancêtres les Germains, jugeaient et terminaient les différents qui s'élevaient entre les citoyens. Les Rachimbourgs assistaient dans le Mahl sous la présidence du comte ou Graph pour juger comme jugeaient les Germains, c'est-à-dire pour réconcilier les ennemis, reconciliandis invicem inimicis, en fixant le prix de la vengeance, la composition ou Wehrgeld; c'est de cette attribution principale de leurs fonctions que vint leur dénomination de Rachimbourgs, qui signifie les Cautions de la vengeance, de l'allemand rache, vengeance, et burge caution; plus tard le nom de Rachimburgü s'altéra en Rathinburgü; nous le retrouvons sous cette forme dans le manuscrit de la loi salique, publiée par Wendelin, page 42, esfin l'allemand Rath signifie le conseil et le conseiller.

Les lois d'Howel DDa. ou Howel le bon, nous font mieux comprendre la destination du Mahl; le roi, les princes, seigneurs et domestiques du palais, prenaient leurs repas dans la même salle et en même temps, chacun à son rang déterminė; cette salle était donc la plus grande de l'habitation, et devenait naturellement la salle de justice. La loi salique était appliquée dans la sala, et elle en prit le nom; plus tard, les maisons où l'on rendait la justice reçurent le nom de salle. Le château que j'habite est ainsi désigné dans les anciens titres : la salle ou maison noble de Breillan. Enfin, notre salle à manger n'a-t-elle pas conservé sa primitive signification?

prit qu'on ne pouvait se passer de cette intervention et il la fit payer en imposant à la famille un nouveau principe de droit civil limitant la puissance paternelle.

« Tout acte ou donation, dit la loi, par lesquels un fils ou une fille recevra un avantage de plus de douze sous d'or sera nul'. »

La loi avait imposé un droit de succession nouveau sur les terres en concédant les alleux; la loiimpose ici son autorité sur le partage des biens mobiliers, car, tout partage, toute donation, tout acte translatif de propriété n'a de valeur qu'en étant revêtu de la sanction légale.

La Cité chez les barbares était une sauvegarde, c'était l'action tutélaire de tous sur chacun, mais s'arrêtant d'abord aux limites de la famille. La loi primitive de la société n'avait d'autre mission et d'autre but que de réprimer les injures, les délits et les crimes et de remplacer le droit de vengeance privée par le droit de vengeance publique; cela était si vrai chez les Francs, que les hommes libres appelés comme jurés étaient nommés Rachinbourgs, c'est-à-dire les garants, les cautions de la vengeance ou les vengeurs 2.

1. Lex Ripuariorum, tit. LXI, art. xi.

2. Rache, vengeance; Burgen, cautionner, se rendre caution, comme je l'ai établi plus haut à la note de la page 93. La plupart des érudits dérivent le nom de Rachimbourg de Racha, affaires, procès, ou de Recht, droit justice; c'est l'inverse qui est vrai. A l'origine de la cité, les seules affaires judiciaires chez les Francs étaient des questions de vengeance, de composition (Wehrgeld); plus tard et lorsque

C'est ainsi que les lois des barbares furent des lois pénales et non des lois civiles. Redisons-le de nouveau; l'homme en entrant dans la cité n'abdique que le moins possible sa liberté primitive; il comprend et il admet la nécessité d'une sauvegarde pour lui et pour les autres, mais là s'arrêtent ses concessions; la société, pour lui, n'est qu'une puissance tutélaire, il remet à l'État son droit de légitime défense, à condition d'être protégé dans sa personne, sa famille et ses biens; mais il interdit à la cité d'intervenir dans ses

les progrès de la civilisation eurent adouci les mœurs, les procès civils tels que nous les concevons aujourd'hui, prirent naissance, mais non pas avant. Le mot qui avait servi à indiquer d'abord ces sortes de combats judiciaires dans lesquels l'état intervenait entre les parties pour conjurer le droit de vengeance, ce même mot Rache ou Racha, servit à désigner les combats pacifiques des procès civils; enfin le droit étant né de ces débats et de la jurisprudence, reçut le même nom Recht. Comment le nom serait-il né avant la chose?

Savigny (Hist. du droit Romain, I, 168), et Muller, dérivent le nom de Rachimbourg de Rek (grand, notable, illustre); ainsi tous les jurés, tous les témoins, auraient été des hommes illustres; j'en appelle ici à M. de Savigny, qui dit quelques pages avant (163) : « On lit dans la relation d'un procès: Tunc Graphio congreget secum septem Rachimburgos idoneos, l'addition du mot idoneus, ajoute cet illustre savant, indique que tous les hommes libres prenaient part aux jugements, excepté ceux qui étaient notoirement incapables; car si les Rachimbourgs eussent été des juges choisis, par conséquent capables, l'épithète idoneos serait un pleonasme intolérable. »

Je demande maintenant comment des gens grands, notables et illustres, étaient-ils quelquefois récusés comme incapables. Je n'insiste pas; M. de Savigny a parfaitement distingué les juges ou scabins des jurés et témoins jurateurs nommés Rachimbourgs, mais il a confondu le rôle des jurés modernes avec l'action vengeresse exercée au nom de la société par les anciens Rachimbourgs.

affaires privées et de régler son intérieur. La famille est encore une unité dans toute son énergie originelle, les questions de puissance paternelle, de mariage, de propriété, de succession, ne peuvent appartenir à la loi; les mœurs et les coutumes en décident et les législations se taisent. Telle est la première forme par laquelle passe tout peuple qui s'organise en société fixe. A mesure que l'unité sociale grandit, la loi civile étend son influence et lorsqu'elle règle tous les actes des trois grandes bases de l'existence humaine, le mariage, la propriété et les successions, c'est que la société a conquis sa complète unité.

De ces faits que nous verrons se dérouler dans l'histoire du droit, nous pouvons déduire la formule suivante :

Le développement du droit civil est l'indice certain du développement du lien politique et de l'unité sociale.

VII

LOIS PERSONNELLES DES

TRIBUS: MIGRATIONS

DES PEUPLES.

Les familles des pasteurs nomades s'unissent entre elles dans le but de commune défense, en

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