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parenté et sur la tribu entière; cet ordre de faits ne pouvait subsister qu'aussi longtemps que la tribu formait l'unité sociale; il devait être repoussé des sociétés définitivement organisées.

La solidarité des familles se retrouve après l'établissement des sociétés fixes chez les Bretons et les Saxons établis en Angleterre; elle existait dans les clans de l'Irlande comme dans les codes des barbares établis sur le continent; la faiblesse de l'organisation sociale en devait être la conséquence.

Quatre siècles avant l'ère chrétienne, les Kymris ou Cimbres habitants de la Grande-Bretagne s'étaient transformés, de l'état de tribus nomades en tribus agricoles; ils n'étaient déjà plus ce que furent les Germains au temps de Jules César, mais ce qu'ils étaient au temps de Tacite. Les invasions d'autres barbares les avaient resserrés et circonscrits dans la Cambria ou pays de Galles; la terre ne pouvait plus nourrir ses habitants qu'à la seule condition d'être cultivée.

Les tribus se conservèrent intactes; établies sur le sol, elles formèrent des communes ou Commots1. La liberté la plus étendue et la communauté du sol, étaient les fondements de cette société naissante; les les habitations étaient séparées comme dans la Germanie; rares dans la plaine, elles y étaient destinées sans doute aux travaux de l'agri

1. Voy. le mémoire sur les antiquités galloises, par Houard, dans le recueil de l'Académie des inscriptions.

culture; plus nombreuses dans les montagnes, ces citadelles qui leur servaient de retraite pendant la guerre et que les Romains ne purent vaincre. Leur gouvernement reposait sur les Brenins ou chefs des Commots; sur le Brenin suprême, sur le peuple et la magistrature. Les anciennes lois de ces peuples, confiées à la mémoire sous la forme de triades, et plus tard rédigées par écrit, por

tent:

« [] Ꭹ a trois colonnes de l'état social: la souveraineté, la voix du peuple et la magistrature. >>

« Voici les trois bases de l'état social: l'affection, la crainte et le profit mutuel. »

« Il y a trois causes pour acquérir un plein chez soi (full home): le même langage, le sol labouré en commun, et l'armement mutuel pour le

combat. >>

<< Les trois ornements d'une tribu, sont : un livre, une harpe et une épée. »

<< Trois causes de bonheur : les bardes annonçant la paix, l'assemblée pour la récolte et le mariage' >>

Ce sont ces Bretons, que l'antiquité et des écrivains modernes ont accusés de vivre en promiscuité bestiale, qui inscrivent dans leur code que le mariage est un des trois bonheurs de la vie.

« Leurs femmes, dit César, étaient communes entre dix ou douze hommes d'une même famille, et

1. Triads of Dyvnwal Moelmud. The ancient laws of Cambria translated by Probert, p. 9, 15 et 23.

principalement les frères avec les frères et les parents avec leurs enfants'. >>

Les Bretons Cambriens vivaient en communauté de famille et en communauté du sol arable; mais, de plus, à l'exemple de la terre salique des Germains et des Francs, chaque citoyen avait cinq acres (environ deux hectares) en propriété personnelle, et sa femme n'appartenait pas au voisin.

Le gouvernement de la tribu était réparti entre trois chefs, sans doute par respect pour la triade sacrée. Laissons parler le vénérable code des Cambriens.

<< Trois personnes sont indispensables dans une tribu : le chef de la tribu, son vengeur et son représentant des familles 3. Le chef de la tribu doit être le plus vieux des hommes valides de la tribu et doit pouvoir établir sa généalogie jusqu'au neuvième dégré; son privilége et office est de convoquer la contrée et la cour pour le besoin de ses hommes; il est l'avocat de la tribu dans la

1. Uxores habent deni duodenique inter se communes et maximè fratres cum fratribus et parentes cum liberis (Caesar, lib. v, cap. 14). Dio Cassius Vita Severiet Houard, Mémoires sur les antiquités Galloises.

2. TRIADS, p. 43, § 80,

La terre salique, dit Montesquieu, était cette enceinte qui dépendait de la maison du Germain, c'était la seule propriété qu'il eût. Les Francs, après la conquête, acquirent de nouvelles propriétés, et on continua à les appeler des terres saliques (Esprit des lois, liv. XVIII, chap. xxII).

3. Nous retrouvons ici le type de l'agoïander ou représentant des familles chez les Iroquois et les Hurons.

grande assemblée de la contrée et des contrées voisines. Chaque homme de sa tribu s'engage à le suivre et à lui obéir, et s'engage également à avoir soin de ses hommes » (is bound to attend to him).

« Le vengeur de la tribu est celui qui la con. duit à la bataille lorsque la guerre est déclarée; et il doit aussi poursuivre les criminels, les traîner devant la cour et leur infliger le châtiment prononcé par la cour et la sentence de la contrée. »

<< Le représentant des familles est celui qui occupe le rang intermédiaire (middle man) dans la cour, dans le lieu sacré et la bataille et dans toute autre situation moins importante; il doit être l'un des hommes sages de la tribu et doit coopérer avec le chef de la tribu dans chaque vote et assemblée de la contrée. Son privilége lui est conféré par le suffrage de la tribu dont il doit descendre en remontant au neuvième degré, et il est élu au ballotage, et, de plus, au scrutin secret'. >>

On voit quel soin on prenait pour que les représentants de la tribu descendissent de la même race; c'est que la tribu était l'extension de la famille, et que la famille ne pouvait être représentée que par l'un de ses membres.

1. Triads of Dyvnwal, Moelmud, p. 45.

On marquait le nom du candidat sur une baguette équarrie nommée la baguette de présage Coelbren; les Athéniens employèrent d'abord des fèves Kúapot, et plus tard des petits cailloux. (Voy. Suidas et Robinson, Antiq. grecques, I, p. 141).

Les familles et les tribus étaient considérées comme des personnes civiles; il en résulte qu'elles étaient responsables de tous les actes, délits et crimes de leurs membres respectifs; ainsi le meurtre d'un chef de famille était compensé par cent quatre-vingts vaches que le Commot du coupable payait à celui du mort'.

L'organisation de la tribu fut la même sous Howel le Bon que sous Dyvnwal Moelmud. Le roi ne possédait pas plus d'autorité sur toutes les tribus que chaque Brenin n'en possédait sur la sienne. La solidarité des familles existait sous le plus ancien de ces rois cambriens; elle devait se

retrouver sous ses successeurs.

Les lois d'Howel le Bon qui datent du dixième siècle, entrent dans de minutieux détails sur la responsabilité des familles, responsabilité qui s'étendait jusqu'au septième degré en remontant directement à l'ancêtre commun'; c'était presque toute la tribu.

Le tableau de la Grande-Bretagne tracé par César est loin de ressembler à celui que nous présentent les lois des Kymris antérieures de trois siècles. Ce peuple avait sans doute éprouvé un temps d'arrêt dans son développement social; il était encore, à l'époque de la puissance romaine, à l'état de tribus et ne formait point une nationalité

1. HOUARD, Mémoires sur les antiquités galloises, tome 50 des Mémoires de l'Académie des inscriptions, p. 473. 2. DUCHATELLIER, Des lois d'Howel dda, a.

3. Probert's laws of Cambria, p. 206, 260.

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