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Étendons l'énonciation de ces principes:

1o Lorsque la cité est fondée par une tribu de race, c'est-à-dire par des familles issues d'un même ancêtre, le mariage dans la famille naturelle existe comme sous l'état patriarcal. L'ancienne Perse, les Chananéens, Athènes, en offrent des exemples; nous pouvons croire qu'il en était ainsi des premiers habitants de l'Angleterre; les lois des Bretons ou Kymris, entrent dans des détails minutieux sur la vie civile et politique des citoyens et se taisent sur la question des empêchements de mariage par la parenté. La coutume n'avait donc pas varié; elle était ce qu'elle avait été de tout temps dans les traditions de ce peuple.

2° Lorsque des tribus de race différentes mais amies, fondent la cité, la communauté de mariage entre ces tribus résulte de la communauté religieuse et de la communauté de territoire; pour cimenter l'union de ces races diverses, les mariages sont interdits dans la famille naturelle, c'està-dire entre cousins germains; les tribus sont ainsi contraintes à s'allier entre elles dans un avenir plus ou moins prochain; il en fut ainsi dans la Rome primitive.

3o L'interdiction du mariage entre les castes, prouve que les tribus qui fondèrent la société, n'étaient pas issues d'un même ancêtre, mais étaient étrangères entre elles, et, de plus, hostiles, car ce fut la coutume universelle des tribus de s'allier dans sa famille et jamais en dehors de sa

race; les castes étaient donc issues de races di

verses.

Il n'y a pas un seul fait dans l'histoire des législations qui établisse l'interdiction de mariage entre des tribus qui auraient joui antérieurement de la communauté nuptiale. Les castes n'ont donc pas pu s'établir postérieurement à l'organisation primitive de la société. Quelle est donc leur origine?

Dès la plus haute antiquité, nous voyons des tribus de chasseurs, de pasteurs et d'agricul

teurs.

Les chasseurs, après avoir détruit les bêtes fauves, chassèrent les troupeaux des pasteurs et ravagèrent les terres cultivées. Les pasteurs manquant de pâturages déclarèrent la guerre aux sociétés agricoles. Ces populations devaient s'entre détruire ou s'unir par une alliance politique assurant à chaque race son indépendance et la jouissance d'un même territoire; il y eut union et superposition des trois tribus de chasseurs, de pasteurs et d'agriculteurs formant les castes des guerriers, des prêtres et des laboureurs. La violence ne présida pas au contrat social; mais ce fut l'égalité, puisque dans l'Hindoustan, ces trois premières. castes jouissent du privilége religieux d'être régénérées.

Le quatrième caste formée par les Soudras, se compose de serviteurs, d'esclaves qui subissent seuls la loi de la conquête.

Est-ce là l'histoire, la légende ou le roman des

peuples primitifs? les lois civiles peuvent seules nous éclairer sur ce sujet.

Les lois civiles sont à l'histoire ce que les mathématiques sont à l'astronomie.

L'établissement des castes dans l'Hindoustan est un fait d'une évidence indiscutable. Les lois de leur origine, de leur existence, de leurs mouvements, sont données par les lois de la famille inscrites dans des codes; là repose le principe de la certitude absolue.

Le régime des castes se fonde sur deux principes; la séparation des castes entre elles; l'union de tous les membres d'une même caste.

De là :

Interdiction du mariage entre les castes.

Interdiction du mariage entre proches parents. Par la première loi, la distinction des castes se maintient; par la seconde, on empêche la formations de castes ou de tribus nouvelles.

4o La conquête amenant la superposition violente d'un peuple sur un autre. Les lois du mariage peuvent promptement effacer la distinction des races ou la laisser subsister indéfiniment; les lois de la Chine, de l'Hindoustan et les lois de l'Église chrétienne imposées aux Francs et aux autres peuples barbares montreront toute l'influence des lois civiles sur l'avenir des peuples.

Dans les recherches qui font le sujet de nos études dans ce chapitre et les chapitres suivants, nous constaterons d'abord l'existence des faits; nous en rechercherons les causes; nous signale

rons enfin les conséquences heureuses ou funestes qu'elles eurent sur la grandeur ou la décadence des nations.

Nous nous occuperons dans ce chapitre de la législation des mariages dans les tribus de race réunies en sociétés fixes.

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Grotius et Pothier' remarquent que la défense des mariages dans les degrés exprimés dans le Lévitique, n'était pas particulière aux Israélites; qu'elle n'était qu'un renouvellement d'une défense générale de Dieu faite à tous les hommes, depuis que le genre humain avait été assez multiplié pour que le mariage des frères et des sœurs ne fût plus nécessaire; la transgression de cette défense par les peuples de Chanaan, est traitée d'abomination : « ne polluamini in omnibus his quibus contaminatæ sunt gentes quas ego ejiciam

1. Grotius, Droit de la guerre, liv. II, chap. V, tome I, p. 342, trad. par BARBEYRAC. Pothier, du Contrat de mariage, tome, 1, p. 160.

ante conspectum vestrum, et quibus polluta est terra1. »

Les unions illicites auxquelles Moïse fait ici allusion doivent se rapporter au mariage contracté avec la sœur paternelle. Nous avons déjà montré par des faits consignés dans la Genèse que la coutume patriarcale du mariage dans la parenté existait chez les peuples de la terre de Chanaan2.

Les filles de Lot disent: il n'est point d'homme qui puisse venir vers nous selon la coutume de toute la terre. Cette coutume était d'épouser un membre de sa famille et l'expression toute la terre

- qui ne peut s'appliquer qu'aux peuplades environnantes, prouve que la même loi existait dans la Syrie; nous l'avons déja dit et devons le répéter.

Abraham dit à Abimélek qu'il a épousé Sara parce qu'elle est sa sœur de père, mais non de mère; le subterfuge qu'emploie le patriarche, la manière dont il joue sur le mot sœur et l'explication qu'il donne montrent que l'usage d'épouser sa

1. LEVIT. XVIII, 24.

2. L'exposition des lois civiles sous leurs différents aspects, origine, application aux sociétés diverses, conséquences politiques, devait entraîner quelques répétitions des mêmes faits et des mêmes principes. J'aurais voulu les éviter; la clarté et les exigences d'une analyse rigoureuse m'y obligent. Je ne pouvais exiger, comme dans les mathématiques, que le lecteur conservât le souvenir exact et complet de tout ce qui aurait été précédemment exposé ou démontré; pour déduire les conséquences logiques d'un ordre de faits, il fallait nécessairement les reproduire.

3. Genèse, XIX, 34.

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