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frères parce qu'ils habitent ordinairement dans la même maison; il y en a où on ne connaît guère cet usage. Chez ces peuples, le mariage entre cousins germains doit être regardé comme contraire à la nature; chez les autres, non'. »

Montesquieu a-t-il voulu dire que telle était la loi de tous les peuples ou que telle devrait être leur loi? Dans le premier cas, il aurait commis une erreur historique; dans le second, il aurait confondu la loi naturelle avec des habitudes et des mœurs privées, d'une médiocre importance pour cette loi.

Sous le point de vue historique, les dispositions relatives à la parenté utérine dans la famille patriarcale jettent le plus grand jour sur cette question.

Chez les Sémites nomades et polygames, les frères et sœurs consanguins nés de mères différentes habitaient les mêmes tentes et le mariage était permis entre eux; l'exemple d'Agar, chassée de la tente d'Abraham par Sara, montre la communauté d'habitation entre les épouses et les enfants du patriarche.

Or, les frères et sœurs enfants d'une même mère et de pères différents, n'habitaient les mêmes tentes que pendant leur minorité. La mère, ou à son défaut, l'oncle maternel étaient leurs tuteurs naturels, comme nous le verrons par les coutumes des tribus germaniques; mais, à leur majorité,

1. Esprit des lois, livre XXVI, chap xiv.

les enfants de deux lits suivaient la famille paternelle et non la famille maternelle.

C'est ainsi que les enfants majeurs de deux pères et d'une même mère, se séparaient et ne pouvaient contracter mariage, tandis que les enfants majeurs de deux mères différentes et d'un seul père vivaient ensemble et pouvaient s'unir

entre eux.

L'habitation commune n'exerçait donc aucune influence sur les empêchements de mariage dans la parenté; cette habitation commune existait à l'égard de l'oncle et de la nièce, de la tante et du neveu, du beau-père et de la bru et des cousins germains. « Jacob, dit la Genèse, amena avec lui en Égypte ses enfants et les enfants de ses enfants, ses filles et les filles de ses fils et toute sa famille1.» Ils habitaient donc les mêmes tentes et l'union nuptiale était non-seulement permise entre eux, mais ordonnée.

Les notions du prétendu droit naturel de Grotius et de Pufendorf, ont faussé ici les idées du grand publiciste. Montesquieu applique à tous les peuples ce qui ne pouvait l'être qu'à quelques-uns et encore; il pose comme une règle universelle ce qui n'est même pas applicable à nos sociétés modernes.

La loi naturelle n'est pas d'invention humaine mais d'institution providentielle. Les mariages dans la proche parenté auraient confondu tous les

1. Genèse, XLVI, 7.

liens et les degrés de la famille. Montesquieu le reconnaît; il dit: « Le mariage du fils avec la mère confond l'état des choses; le fils doit un respect sans bornes à sa mère; la femme doit un respect sans bornes à son mari'. » Qu'importe ici l'habitation commune? La mère séparée de son enfant mis en nourrice, n'est elle donc plus sa mère?

La famille normale, type des sociétés humaines, se compose du père, de la mère et des enfants. Ces rapports, nettement déterminés par les lois de la nature, ne sauraient se confondre sans entraîner la confusion dans la famille et la dissolution dans la société.

Les degrés de parenté formant empêchement au mariage ne peuvent être toujours les mêmes; la famille varie comme les sociétés humaines dont elle est le principe et l'unité; son organisation doit varier de même, mais en respectant la loi naturelle que nous venons d'énoncer.

Dans son enfance, la famille est utérine; c'est la mère qui est le premier centre d'organisation et la source de la parenté civile. Plus tard, chez les peuples nomades, les familles isolées et dispersées se concentrent; les parents s'unissent toujours entre eux et repoussent l'alliance nuptiale avec les étrangers. Les sociétés fixes succèdent aux sociétés errantes; alors, la famille rayonne et s'épanche dans la tribu et dans la patrie qui devient la grande famille.

1. Esprit des lois, livre XXVI, chap. XIV.

Contemplons ici un des grands mystères de la · création la formation de l'homme social est l'image fidèle de la formation de l'homme physique.

L'anatomie moderne a démontré que l'embryon humain est créé double, ce qui apparaît dans la conformation générale et dans la dualité des organes des sens; à un moment donné de l'évolution, les deux parties créées distinctes convergent l'une vers l'autre et s'unissent. La vie se concentre d'abord, puis elle s'épanche et rayonne'.

De même, l'homme social est créé double; le mari et l'épouse doivent faire une seule chair; ils s'unissent et donnent naissance à la famille qui se concentre d'abord, puis s'épanche et rayonne dans la société.

De ces deux lois de concentration et d'expansion de la famille, l'une a fait le sujet du présent chapitre; l'autre sera le sujet des chapitres sui

vants.

1. Voyez Marchessaux, anatomie générale, Serres, anatomie transcendante, etc.

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Les liens de parenté qui unissent les membres de la famille sont déterminés par les empêchements de mariage.

Nous devons rechercher ici les modifications que l'état de tribus nomades dut apporter aux coutumes patriarcales.

Ce qui caractérise la famille patriarcale et la tribu nomade, c'est l'isolement, la solitude, situation qui exerce une haute influence sur les institutions civiles.

César en parlant des Germains, dit : « C'est pour ces peuples le plus haut titre de gloire que d'avoir pour limites des déserts et pour voisinage

des terres dévastées1».

1 Cæsar, de Bello gall. lib. VI, cap. XXIII.

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