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plusieurs parents de son grand-père, par conséquent des cousins, se présentent pour épouser sa veuve, leur cousine1.

L'affinité ou parenté d'alliance qui unit deux familles, forme rarement un empêchement de mariage avant la fondation des sociétés fixes; chez les Tartares, l'affinité est quelquefois une obligation de s'unir. Nous reproduisons ici le passage déjà cité de Marco Polo. « Ils épousent leurs cousines, et si le père meurt, le fils le plus âgé prend pour femme la femme de son père pourvu qu'elle ne soit pas sa mère; ils épousent encore la veuve de leur frère. 2 >>>

D'après Rubruquis, un fils peut épouser toutes les femmes de son père à l'exception de celle dont il a reçu la vie3. « La Cour ou la maison d'un père ou d'une mère est le partage du plus jeune des fils, qui est obligé, par conséquent, de prendre soin des femmes de son père, comme d'une partie de sa succession; il peut user d'elles comme des siennes, mais avec la persuasion qu'après leur mort, elles n'en retourneront pas moins à leur père*. »

D'après Marco Polo, le droit sur la belle-mère

1. Histoire généalogique des Tatars, I, 144.

2. Marco Polo, publié par la Société de géographie, p. 67, Cfr. p. 60.

3. La même coutume existait dans quelques tribus éloignées du Mexique; le fils épousait les femmes et les concubines de son père lorsqu'elles n'avaient point eu d'enfant mâle afin de lui en susciter. (Torquemada, libro trece de la Monarquia Indiana, p. 420).

4. PREVOST, Histoire générale des Voyages, VII, 302

appartient à l'aîné, et d'après Rubruquis, au plus jeune des fils. Cette contradiction apparente s'explique par une coutume des Tartares. Les fils aînés quittent la maison paternelle avant leurs frères puinés; ceux-ci reçoivent le surnom de Ozingan ou d'hommes longtemps assis auprès du feu', parce qu'ils quittent les derniers les tentes paternelles. C'est toujours l'aîné entre les frères présents qui hérite des femmes de son père, mais lorsque le plus jeune est seul, ce droit lui appartient 2.

L'histoire généalogique des Tatars rapporte « qu'après la mort de Kaydu-Chan, son fils épousa la veuve de son père, qui était sa belle-mère, et en eut deux fils. »

Ainsi il ne peut s'élever aucun doute sur l'existence de cette coutume'. Il paraît exister une obligation plus étroite à l'égard de la belle-sœur veuve du frère. Carpini affirme que le second fils d'une famille ou le plus proche parent est obligé d'épouser la veuve de l'aîné. Pendant le séjour que ce voyageur fit en Russie, le Kan-Battu (Battu-Khan), ayant puni de mort le Kan André, sur la simple accusation d'avoir vendu des chevaux tartares hors du

1. Histoire généalogique des Tatars, p. 152.

2. Le P. DU HALDE, et MONTESQUIEU après lui, ont très bien compris cette loi que nous discuterons en traitant des successions. (Voy. De l'esprit des lois, livre XVIII, chap. XXI.) 3. Ibid, p. 150.

4. Voyez encore de GUIGNES. histoire générale des Huns, I, et ibid.

pays, n'accorda sa succession à son frère qu'après l'avoir forcé d'épouser sa veuve'.

Sans doute, le mariage avec la belle-fille est également autorisé et peut-être entre-t-il dans les usages des Tartares. Nous en verrions un exemple dans Attila, qui, d'après Priscus, épousa Esca sa fille, ce qui ne peut s'entendre que de la belle-fille, l'inceste avec le père ayant toujours été proscrit par les Huns ou Tartares comme par tous les peuples, ainsi que nous l'avons établi au chapitre précédent.

Cette obligation de mariage avec les parents par affinité s'explique par la croyance que les hommes retrouveront dans l'autre vie tout ce qu'ils ont laissé dans celle-ci. Le fils ou le frère puîné épousait la femme de son père ou de son aîné pour lui susciter des enfants; c'est dans le même esprit que les Tartares mariaient les enfants pour que cette institution fût consacrée dans le ciel. Il en fut de même dans l'ancienne Perse; et même, encore aujourd'hui parmi les Parses, c'est un malheur, d'après ce peuple, qui a conservé les coutumes patriarcales, de mourir dans le célibat. Si un Parse meurt à quinze ans ou plus âgé sans avoir été marié, on lui donne une épouse achetée pour une

1. PREVOST. Histoire générale des Voyages, VII, 256. Le KAN BATTU, vers le milieu du xe siècle se rendit célèbre par ses conquêtes; il fonda le royaume de Kasan et d'Astrakan. (Description des nations de la Russie, II, 3.)

2. Cfr. MONTESQUIEU, Esprit des lois, livre XXVI, chap.

XIV.

3. Marco Polo, p. 70.

somme d'argent. C'est le mode nommé saterzan ou par adoption. Cette épouse spirituelle se remarie charnellement, mais ses enfants appartiennent au mari d'adoption, car les enfants sont les degrés qui conduisent au ciel. Dans les livres sacrés de Zoroastre ou lit: « Je conserve, ô Zoroastre, celle qui a des enfants, celle qui en a pour le mort'. » Dans un autre ordre d'idées, mais dérivant d'une même origine, Moïse voulant conserver les mêmes biens dans les mêmes familles, contraignait le plus proche parent à épouser la veuve pour susciter des enfants au défunt; c'était le lévirat.

Les coutumes nuptiales des Tartares tendaient à resserrer les liens du sang; à rendre les parents solidaires des parents; la vie sociale se concentrait dans la famille et la tribu.

VII

CONCLUSION.

La science du langage divise le genre humain en trois grandes races: Sémitique, Aryenne et Touranienne. Les peuples nomades, dans ces trois

1. Jeschts Sadès, p. 248. LE ZEND AVESTA. Voir les notes d'Anquetil, II, p. 560.

2. MAX. MULLER, Science du langage.

races, eurent pour principe fondamental de leur droit civil, le mariage dans la parenté; nous venons de le constater pour les sémites Hébreux et Arabes, pour les Touraniens Tartares, et nous le constaterons encore dans les coutumes consacrées par les Aryens ou Perses après la fondation de leur monarchie.

Les filles de Lot avaient donc raison de dire que telle était la coutume de toute la terre.

Nous avons recherché quelles étaient l'origine et la raison politique des mariages dans la parenté; nous avons cru les reconnaître dans l'organisation sociale des peuples nomades. Montesquieu a proposé un système différent; nous devons reproduire ici le passage de l'Esprit des Lois :

<< Le principe que les mariages entre les pères et les enfants sont défendus pour la conservation de la pudeur naturelle dans la maison, servira à nous faire découvrir quels sont les mariages défendus par la loi naturelle et ceux qui ne peuvent l'être que par la loi civile.

<< Comme les enfants habitent ou sont censés habiter dans la maison de leur père, et, par conséquent le beau-fils avec la belle-mère, le beau-père avec la belle-fille, ou avec la fille de sa femme, le mariage entre eux est défendu par la loi de la nature. Dans ce cas, l'image a le même effet que la réalité parce qu'elle a la même cause: la loi civile ne peut ni ne doit permettre ces mariages.

« Il y a des peuples chez lesquels, comme je l'ai dit, les cousins germains sont regardés comme

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