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gnage; le nom de la mère fut la racine du nom du mariage (matrimonium de mater), comme le nom de la patrie et de l'héritage dérivèrent de de celui du père (patria et patrimonium de pater.) Ainsi, à l'époque de la formation de la langue latine, époque antérieure à la fondation de Rome, le mariage légitime reposait sur les droits sacrés de l'épouse, mais la patrie, la propriété du sol, l'héritage, ne naquirent qu'après l'établissement de cette société.

L'existence de la parenté utérine se rattache à une croyance religieuse universelle. Les Cosmogonies de la haute antiquité, sont unanimes en affirmant que l'univers naquit de l'union de l'esprit et de la matière: Et le souffle de Dieu se mouvait sur les eaux, dit la Genèse. Ce principe fut, dans le paganisme, la base des divinités doubles mâles et femelles. L'époux divin, représentant l'esprit actif, et l'épouse le principe matériel et passif. En Égypte, c'est Osiris et Isis personnification de la nature; en Phénicie, c'est Adonis ou Adonaï le seigneur et Astarté la terre; en Phrygie, c'est le culte d'Attis et de la bonne mère Cybèle, la terre, culte, qui, d'après Creuzer, envahit tout le monde ancien1.

Nous retrouvons les mêmes croyances chez les peuples Aryens, les Hindous et les Scandinaves. Dans les Eddas, Odin est le père universel des dieux et des hommes; la terre est sa fille et sa

1. CREUZER, Religions de l'antiquité, II, 56.

femme'; c'est d'après cette croyance, que, dans les mariages, l'époux représentait Odin et l'épouse Frigga, la terre.

Selon ces Cosmogonies, le principe mâle ou actif n'était pas le soleil matériel comme les mythographes le supposent, mais le soleil spirituel, la grande âme du monde s'unissant à la matière, au chaos, et donnant naissance à l'univers. Dieu, dit la Genèse, créa l'homme à son image et à sa ressemblance. Ce dogme fut la croyance primitive et universelle de l'humanité; il faut bien l'admettre, puisque le mariage était conçu à l'image et à la ressemblance de la théogonie de l'union de l'âme du père et du corps de la mère naît l'enfant. Tel fut le fondement de la parenté utérine.

D'antiques légendes recueillies par Diodore de Sicile racontaient que le premier roi des Atlantes avait été Uranus. Il retira les hommes de la vie de brute qu'ils menaient, leur apprit l'usage des fruits, les moyens de les conserver et les premiers arts utiles à la vie. Son autorité s'étendait sur la presque totalité de la terre. Après sa mort, on lui décerna les honneurs divins, et, pour conserver la mémoire de ses connaissances astronomiques, on donna son nom au ciel, (Oupavós Uranus, le ciel.) On dit, ajoute Diodore de Sicile, qu'Uranus eut

1. MALLET, l'Edda des Islandais, p. 85, et l'introduction à l'histoire du Danemark, p. 76. Cfr. Finn. Magnusen Borealium mythologia lexicon, p. 101 et sqq., et Bergmann, La fascination de Gulfi, p. 85.

2. CREUZER, Religions de l'antiquité.

quarante-cinq enfants de plusieurs femmes, mais qu'il en eut entre autres dix-huit de Titæa; ceux-ci furent appelés Titans du nom de leur mère.

Ici, le père est certain, puisque ce père est le ciel personnifié, et cependant les enfants prennent le nom de leur mère. Quelle était cette mère? Titæa, ajoutent les traditions mythiques, fut élevée au rang des dieux, et elle fut appelée la terre..

Nous constatons de nouveau ici cette antique formule du droit primitif : l'âme vient du père et le corps de la mère; l'époux est le représentant du ciel et l'épouse de la terre.

Uranus, d'après la même fable, eut aussi plusieurs filles; l'aînée est nommée Basilée, ce qui signifie la reine; elle éleva ses frères et eut pour eux l'affection d'une mère; pour avoir des successeurs à la couronne, elle épousa Hypérion, celui de ses frères qu'elle aimait le plus'.

Hypérion et Basilée étaient enfants du même père, mais non de la même mère; les Titans étaient fils de Titæa et Basilée, leur sœur aînée, était issue d'un autre mariage, puisque Titaa n'eut que des fils.

:

L'antique axiome du droit disait là où est la mère, là est la famille, et comme corollaire, les frères et sœurs consanguins peuvent s'unir en légitime mariage, les frères et sœurs utérins ne le peuvent pas.

De ce qui précède, nous pouvons déduire que,

1 Diodore de Sicile, lib III, cap. xxix.

dans le droit primitif du mariage, l'égalité entre les époux n'existait point, mais l'unité, une même chair animée d'un même esprit.

V

HABITATION COMMUNE.

La femme étant le principe et le lien de la famille naturelle, l'époux abandonnait sa parenté pour entrer dans la famille que l'épouse allait fonder. La Genèse, en traçant l'histoire des premiers âges de l'humanité, ne dit pas comme les codes modernes, que la femme abandonnera son père et sa mère pour suivre son époux; elle dit : « L'homme laissera son père et sa mère et ils seront une même chair1. »

L'habitation commune existait entre parents maternels, mais non entre parents paternels; le

1. Genèse, II, 24. Cette antique tradition des peuples primimitifs se retrouve dans le mariage d'Ésau et de Jacob qui habitèrent d'abord avec la famille de leurs femmes, Genèse, XXVIII et XXIV.

Chez les Lapons, la première année, les nouveaux mariés demeurent chez les parents de la femme; au bout de ce temps, ils vont occuper leur propre koie ou cabane. (Descriptions de toutes les nations de l'empire de Russie, par MULLER, 1re collect., p. 13, édit. de Saint-Pétersbourg, 1776.)

mari entrait dans la famille de l'épouse, mais ne pouvait de sa propre autorité y faire entrer ses enfants d'une première union.

La tente appartenait à la mère; nul ne pouvait y entrer que par elle, et elle pouvait en chasser qui elle voulait : Sara expulse Agar et Ismaël'. La famille était donc maternelle.

La mère pouvait adopter les enfants du père et les faire passer sous sa tente; Rachel adopte Dan et Nephtali, et Léa adopte Gad et Acher'; les frères et sœurs consanguins ne pouvaient dans ce seul cas, s'unir entre eux; mais ce n'est pas parce qu'ils habitaient ensemble qu'il était défendu, dans ce cas, au frère d'épouser sa sœur consanguine; c'est parce qu'ils étaient, par l'adoption, frères et sœurs utérins, par conséquent appartenant à la même famille maternelle; l'habitation commune dans la même tente n'était qu'un fait matériel qui n'influait nullement sur le degré de parenté.

Montesquieu fait dépendre la parenté primitive de l'habitation commune. Les bonnes mœurs indispensables à l'établissement et à la conservation des familles, ne furent point le motif qui exclut l'union entre proches parents; un principe, sinon supérieur, du moins plus réel, fut l'organisation unitaire de la famille. Le père, la mère et les enfants se considéraient entre eux comme les

1. Genèse, XXI, 10.

2. Genèse, XXX, 6 et suiv.

3. Esprit des lois, liv. XXVI, chap. xiv.

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