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la confarréation, est l'image symbolique de la communion d'une même chair. Le pain est la nourriture de l'homme, l'aliment de sa chair; dès la plus haute antiquité, la manducation d'un même pain fut le symbole de l'union des corps et de la communion des âmes.

Melchisédec, roi de Salem et sacrificateur du Dieu très-haut, fait apporter du pain et du vin pour sanctionner son alliance avec Abraham1. Les noces mystiques du Seigneur Jésus-Christ et de l'Église sont consacrées par les divins mystères de l'Eucharistie.

Ainsi, dans la symbolique des prêtres étrusques empruntée aux traditions des premiers hommes, la manducation par les époux d'un mème gâteau de froment Farreum spiritualisait leur union; leurs enfants en naissant étaient sacrés ; eux seuls pouvaient parvenir aux hautes fonctions sacerdotales, parce que eux seuls avaient un père et une mère légitimes devant la religion: Liberi patrimi et matrimi2.

Dans l'histoire de la propriété, le fait n'est qu'un accident, le droit est le principe. Dans la Genèse, l'Éternel donne à l'homme la domination sur la terre et les animaux . Jehovah accorde aux Hébreux la terre de Chanaan; c'est le principe spirituel du droit qui préexiste et domine le fait matériel.

1. Genèse, chap. XIV, vers. 18.

2. Tacit. hist. IV. 53. Festus, cfr. Heineccii Antiquit. Rom. lib. I, tit. X, § v.

3. Genèse, I, 28.

Dans la Rome primitive, le droit de propriété sur le sol ne pouvait s'acquérir qu'en observant les rites consacrés par la religion; ce n'était pas l'homme matériel qui acquérait ce droit par la possession et par le travail; c'était le principe spirituel du moi humain, l'âme, qui s'emparait du sol, tandis que la charrue ouvrait le sillon qui allait entourer l'enceinte sacrée ; si un impie franchissait ces limites il était maudit et dévoué aux Dieux: Sacer-esto' et il subissait la peine des sacriléges symbolisée dans le mythe de Remus.

Le culte constatait et consacrait ainsi le principe spirituel du droit de propriété ; l'âme s'incarnait dans le sol et le citoyen de Rome pouvait dire ce champ, c'est moi.

« La propriété » dit Ballanche « est une institution divine: les déclamations du dernier siècle contre le mien et le tien ne peuvent soutenir le regard de la raison, malgré le secours que l'éloquence de Rousseau a daigné leur prêter. L'homme fait le sol; la terre, c'est lui.

« Le langage, la société, la propriété sont choses identiques'.

Les lois primitives de l'Hindoustan accusent les

1. Qui aliter, vel secus faxit sacer esto (FESTUS POMP.), cfr Brissonii de formulis, p. 129.

Celui qui violait la limite sacrée des héritages, était impie envers le Dieu Terme (Jupiter terminalis) et dévoué aux dieux ainsi que les bœufs attelés à sa charrue (Festus verb. term. cfr) (CHASSAN, Symbolique du droit, p. 195, et FUSTEL. DE COULANGES, la Cité antique, p. 77.

2. Palingénésie sociale, 2e part. p. 215, édit. 1833.

mêmes traditions. « La femme,

dit Manou, « est considérée par la loi comme le champ, et l'homme comme la semence'. » Par une inversion hardie que nous retrouvons à Rome, ce n'est pas le droit de propriété qui est comparé au mariage, c'est le mariage qui est comparé à l'union de l'homme et du sol.

A l'entrée de sa demeure, l'époux romain demandait à l'épouse: Qui es tu ? Elle répondait : ubi tu gaïus, ego gaïa; là où tu es le laboureur, je suis la terre ensemencée. C'est que, dans les idées cosmogoniques de l'Hindoustan, de l'Iran, de l'Égypte, des Hébreux et de tous les peuples de la haute antiquité, le droit de propriété était antérieur au mariage. L'être éternel, possédant l'exis tence en soi, fait jaillir les mondes de son sein; ces mondes lui appartiennent ; la création de l'univers est le fondement du droit de propriété. La grande àme éternelle ensemence son champ infini, s'unit à la matière et donne naissance à tout ce qui se meut et brille d'une étincelle de vie; là est le fondement et le type sacré du mariage.

Ces antiques croyances se perpétuent non-seulement dans les formes symboliques du droit; elles s'imposent sur les dispositions fondamentales des lois de la famille, de la propriété et des successions. Le premier chapitre de cet ouvrage mon

1. Lois de Manou, liv. IX, § 33.

2. Voy. MICHELET: Origines du droit français, p. 20. Djâyà, nom sanscrit de l'épouse (Manou, IX, 8, se retrouve dans la Gaia romaine.

trera leur puissance sur la constitution de la pa

renté.

L'Immortalité de l'âme est le fondement du droit de succession. Les antiques lois de l'Hindoustan disent: « Un mari, en fécondant le sein de sa femme, y renait sous la forme d'un fœtus, et l'épouse est nommée Djâyà, parce que son mari naît (Djâyâté) en elle une seconde fois 1. » L'âme du fils, émanation de l'âme du père, possède l'héritage par continuation; le corps périt mais l'âme demeure. C'est ce qu'exprimait avec énergie l'adage de nos vieilles coutumes: Le mort saisit le vif2.

Ces croyances devaient engendrer le culte des ancêtres, qui, dans la suite, comme tous les dogmes religieux, dégénéra en idolâtrie. Le champ dont le fils héritait appartenait toujours au pèreet aux ancêtres; les offrandes et les libations consacraient le droit de propriété, non des vivants, mais des morts, des âmes immortelles.

« Deux choses, dit M. de Coulanges, sont liées étroitement dans les croyances comme dans les lois des anciens; le culte d'une famille et la propriété de cette famille. Aussi était-ce une règle sans exception, dans le droit grec comme dans le droit romain, qu'on ne pût acquérir la propriété sans le culte ni le culte sans la propriété. La religion prescrit, dit Cicéron, que les biens et le culte de cha

1. Lois de Manou, liv. IX, § 8.

2. LOISEL, Institutes coutumières, liv. II, titre V, S I. Le grand coutumier de France dit: Le mort saisit le vif son hoir. Edition Laboulaye, p. 306.

que famille soient inséparables, et que le soin des sacrifices soit toujours dévolu à celui à qui revient l'héritage.

A Athènes, voici en quels termes un plaideur · réclame une succession : Réfléchissez bien, juges; et dites lequel de mon adversaire ou de moi doit hériter des biens de Philoctémon ei faire les sacrifices sur son tombeau. Peut-on dire plus clairement que le soin du culte est inséparable de la succession? Il en est de même dans l'Inde; « la personne qui hérite, quelle qu'elle soit, est chargée de faire les offrandes sur le tombeau 1. »

1

Ainsi le dogme de l'immortalité de l'âme n'était pas seulement, dans les sociétés antiques, une croyance ou une opinion; l'immortalité de l'âme fut, est et sera toujours la société elle-même, se manifestant dans le mariage, la propriété et les successions.

Si l'âme n'était pas immortelle, comment toutes les sociétés humaines seraient-elles fondées sur cette immortalité? quelle preuve plus puissante et plus irrésistible!

La négation des principes religieux, leur rejet, prouvent mieux encore, peut-être, que la croyance en l'immortalité de l'âme est la vie des sociétés humaines. Il n'existe pas un seul peuple qui ne croie à l'existence de l'âme immortelle, même en rejetant la notion d'une divinité quelconque, ainsi que

1. La Cité antique, p. 84. Cicer. de legibus, II, 19, 20. Isée, VI, 51, Lois de Manou, IX, 186.

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