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rôle des contributions directes ne sont pas au nom des prétendues propriétaires d'aujourd'hui, mais bien au nom du Verbe Incarné ou de Mme Dupuy, supérieure. »

Certes, tout cela est bien grave et ne se concilie guère au premier abord avec l'affirmation que les prèteurs ont été de bonne foi, puisqu'il semble qu'il leur ait dû suffire de lire les titres dont ils devaient exiger la production pour vérifier l'origine de propriété, pour y voir ce que le tribunal et la cour, après lui, déclarent y être « jusqu'à l'évidence ».

Mais j'oublie, d'une part, que nous ne sommes pas ici un troisième degré de juridiction, que les appréciations de faits et d'intentions relèvent du pouvoir souverain du juge du fond et qu'elles échappent à notre contrôle et à notre censure (En ce sens : Faye, p. 184, no 166; Jur. gén., vis Bonne foi et Cassation, 403; Civ., 2, 18 mars 1889: Dal., 1889, 1, 308). « Attendu, porte cet arrêt, que l'arrêt attaqué déclare que Lagie a agi de bonne foi et n'a commis aucune dissimulation frauduleuse; que cette déclaration sur un point de fait est souveraine. »

Je sais pourtant que, si le juge du fait est investi du droit d'apprécier souverainement les circonstances qui peuvent dépouiller un fait de tout caractère délictueux ou frauduleux, sa déclaration à cet égard tombe sous votre contrôle lorsqu'elle est en opposition avec les constatations mêmes du jugement ou de l'arrêt (Voir notamment : Crim., 14 octobre 1854: Bull., 303; 31 janvier 1857 Bull., 39; 7 mars 1857 Bull., 179; Dal., 1857, 1, 517; 7 juillet 1859 Bull., 168; Dal., 1859, 1, 285; 28 juin 1862: Bull.. 159; Dal., 1862, 1, 305; 14 mai 1881: Bull., 125; Dal., 1882, 1, 89, etc., etc.). Et je me suis demandé si vraiment cette contradiction n'existait pas entre les constatations du jugement adopté par l'arrêt et la bonne foi déclarée des prêteurs. Mais, à y bien réfléchir, je ne le crois pas.

Remarquons en premier lieu que les motifs que je viens de relire se réfèrent à la revendication des dames Dupuy et autres et non à la situation des intervenants.

Ils nous donnent en second lieu l'impression des juges eux-mêmes, gens expérimentés, habiles à démêler, par l'étude des pièces et des faits, des intentions qui peuvent aisément échapper à l'examen bien moins éclairé des gens du monde, ignorants du droit.

Ne peut-on, du reste, s'expliquer fort bien l'appréciation de la cour d'appel? Non seulement la mauvaise foi ne se présume pas et n'a pas été démontrée dans l'espèce, mais encore, nous dit l'arrêt, « elle n'a pas même été alléguée » par ceux qui avaient la charge de l'établir. Et cela se comprend de soi si nous observons que la fraude ne pouvait exister qu'autant que les créances réclamées eussent été fictives et qu'il était indiscutable, tout au moins pour le sieur Bouquet, qu'il était bien un créancier sérieux et qu'il avait bien réellement versé les fonds dont il réclame le remboursement, puisqu'il les a versés, non pas à la congrégation elle

même, mais aux vendeurs jusqu'alors impayés de leur prix et qu'il s'est fait authentiquement subroger par eux dans leur privilège, conformément aux dispositions de l'article 1250 du Code civil. On s'explique bien que, dans ces conditions, le liquidateur s'en soit, au fond, rapporté à justice sur cette réclamation. D'autre part, les renseignements qu'il a dû recueillir sur place au regard de la demoiselle de Crussol d'Uzès, porteur d'un acte authentique attestant le versement des fonds à la vue du notaire, expliquent également qu'il n'ait pas même allégué qu'il n'y avait là qu'une créance fictive et qu'il s'en soit tenu à conclure à la nullité de l'hypothèque comme ayant été constituée a non domino.

Je ne puis oublier non plus que le prêt Bouquet est du 1er juillet 1891, le prêt de Crussol du 23 novembre 1900; qu'à ces deux dates la loi du 1er juillet 1901 et les présomptions d'interposition de personnes qu'elle a établies à l'égard des associés n'existaient pas encore, et que, dès lors, les créanciers sollicités de prêter leurs fonds aux dames Dupuy et autres se trouvaient en face de cette jurisprudence qui, tout en annulant tous les actes faits par les congrégations non autorisées, à raison de leur inexistence juridique, reconnaissait pleine capacité aux membres de ces congrégations considérés ut singuli et validait aussi bien les actes à titre gratuit faits à leur profit que les actes à titre onéreux auxquels ils étaient parties, tant que la preuve n'était pas faite à leur encontre qu'ils n'étaient que personnes interposées au profit de la congrégation. « On ne peut se refuser, disait à ce sujet M. Gide (Droit d'association en matière religieuse, p. 372, 373, 375) à admettre cette règle sans être réduit à sanctionner de véritables spoliations... L'annulation des contrats où figure un religieux serait un danger pour les tiers, sans compter qu'on finirait par frapper ainsi les religieux d'une véritable incapacité... En fait, toutes les fois que quelqu'un signe un engagement au nom d'un tiers, on suppose que celui qui a signé a entendu s'obliger personnellement. » Le sieur Bouquet et la demoiselle de Crussol d'Uzès pouvaient donc fort bien, dans ces conditions, avoir cru traiter avec les vrais maîtres de l'affaire.

Mais, nous dit alors le pourvoi, n'est-ce pas tout au moins le cas d'appliquer ici les dispositions mêmes de l'article 17 de la loi de 1901 ? Cet article édicte la nullité de tous actes ayant pour but de permettre aux congrégations de se soustraire aux prohibitions légales. Il institue, en outre, une présomption légale d'interposition de personne au profit de la congrégation à l'encontre de tout associé à qui ont été consentis une vente, un prêt, fait un don ou un legs. Et tout cela opère rétroactivement et s'applique aux actes antérieurs à la promulgation de la loi de 1901 (Civ., 8 février 1904 Dal., 1904, 1, 117; Civ., 3 et 4 juin 1907). L'hypothèque est, à n'en pas douter, un de ces actes que vise l'article 17: il suffirait aux congrégations religieuses d'avoir hypothéqué tous leurs immeubles pour une somme égale ou supérieure à leur valeur réelle pour échapper, grâce à la connivence des créanciers, aux prohibitions légales. Nous sommes

donc bien dans le domaine de l'article 17. Les dames Dupuy et autres étant dès lors de plein droit présumées personnes interposées, sauf preuve contraire qui n'est pas et ne peut pas être faite, le ministère public et le liquidateur ont le droit de s'en prévaloir pour réclamer l'annulation de l'hypothèque et du privilège qu'elles ont consentis.

J'ai déjà répondu par avance à cette deuxième branche du moyen. Sans doute, l'argumentation serait invincible si nous avions à faire à un stratagème imaginé pour tourner la loi. C'est pour y remédier que le législateur a, en effet, édicté l'article 17: il lui a suffi de démasquer les prête-noms en établissant contre eux une présomption, jusqu'à preuve contraire, d'interposition de personnes et de donner à cette présomption un effet rétroactif.

Mais si telle est incontestablement la portée de l'article 17, tant vis-à-vis des prète-noms que vis-à-vis de la congrégation, quel va donc être le sort des tiers qui ont traité avec les personnes présumées interposées? En ce qui touche ceux qui ont contracté avec elles postérieurement à la loi de 1901, pas de difficulté. Ils connaissaient la loi nouvelle : ils ont dû savoir que derrière leur cocontractant se trouvait une congrégation dissoute de plein droit et soumise, par l'article 18, à un mode spécial de liquidation. S'ils ont passé outre, ce ne peut être qu'en pleine connaissance de cause et dans un but inavouable. La nullité de l'acte leur est certainement opposable. Mais que décider pour les tiers qui ont traité avant la loi de 1901? Le pourvoi prétend leur appliquer l'effet rétroactif de l'article 17. Encore convient-il d'en bien préciser la portée. Sa seule conséquence sera de faire appliquer la présomption légale d'interposition à raison de son caractère d'ordre public aux actes que ces tiers ont passés avec les associés, c'est-àdire de faire traiter ces tiers comme si leur cocontractant avait été la congrégation elle-mème. Or, n'ai-je pas démontré que, si ces tiers sont de bonne foi, ils ne peuvent se voir opposer par le liquidateur l'inexistence juridique de cette congrégation; qu'ils peuvent, au contraire, invoquer contre lui son existence de fait qui a porté le législateur à reconnaître la validité des aliénations qu'elle a consenties, des dettes qu'elle a contractées avant la promulgation de la loi? L'article 17 réserve donc nécessairement les droits des tiers de bonne foi. Et ce n'est pas pour nous surprendre. Ne s'agit-il pas uniquement, en effet, pour lui, d'atteindre les actes destinés à assurer frauduleusement la perpétration de la mainmorte, à l'exclusion des conventions auxquelles la sincérité de leur auteur enlève tout caractère suspect et tout effet contraire à la volonté de la loi? L'article 18 ne fait que confirmer la mème idée lorsqu'il va jusqu'à autoriser, dans les cas et sous les conditions qu'il précise, la revendication par le congréganiste lui-même des biens et valeurs qu'il a apportés ou qui lui ont été donnés ou légués depuis son entrée au couvent. Comment traiter moins bien le créancier hypothécaire qui est étranger à la congrégation, qui a versé ses fonds et contribué, au même titre que l'apporteur associé, à l'accroissement du patrimoine de la congrégation? Comment le dépouiller de sa créance et de l'hypothèque qui la garantit?

Ces seules considérations suffisent à mon sens pour écarter le pourvoi, sans que nous ayons à invoquer ici la maxime error communis facit jus, dont certaines cours d'appel ont entendu faire la base de leurs décisions et qui ne nous semble pouvoir être, à aucun titre, invoquée quand il s'agit des congrégations religieuses non autorisées dont l'incapacité légale n'a jamais pu être sérieusement méconnue par personne et n'a pu, par suite, prêter à cette erreur universelle et invincible sans laquelle il ne peut être question d'invoquer le brocard latin.

Telles sont les conclusions auxquelles je m'arrête, convaincu fermement qu'elles répondent aussi bien au texte qu'à l'esprit de la loi du 1er juillet 1901 et qu'elles ne sont que l'application, à notre espèce, des principes généraux qui dominent toute notre législation et des règles supérieures de l'équité toujours conformes, quoiqu'en puissent prétendre des esprits superficiels, au droit sainement compris, et raisonnablement interprété. Je conclus au rejet des pourvois.

Conformément à ces conclusions, la Cour de cassation a rendu l'arrêt suivant :

La Cour,

Joint, à raison de leur connexité, les pourvois 54778 et 55044;

Et d'abord sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi formé par le procureur général de Bourges, sous le n° 54778, et tirée d'un défaut de qualité :

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, devant la cour d'appel, le ministère public ne s'est pas renfermé dans le rôle de partie jointe, mais qu'il est intervenu comme partie principale en vue d'exercer l'action directe que lui attribue la disposition finale de l'article 17 de la loi du 1er juillet 1901; qu'il a pris à cet effet des réquisitions préalablement communiquées aux parties et auxquelles celles-ci ont répondu, tant par des conclusions dùment signifiées que par des développements oraux à l'audience avant la clôture des débats; que, dès lors, il a qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt qui a statué sur ses réquisitions;

Par ces motifs,

Rejette la fin de non-recevoir;

Au fond:

Sur l'unique moyen dudit pourvoi, en tant qu'il vise la partie de l'arrêt relative aux dames Dupuy, Bonnet, de la Bonnefon et Malabard :

Attendu que, si la disposition finale de l'article 17 de la loi du 1er juillet 1901 autorise le ministère public à provoquer l'annulation de tous actes ayant eu pour objet de permettre aux associations de se soustraire aux dispositions de ladite loi, énumérées dans le premier alinéa du même article, notamment des actes au moyen desquels une congrégation religieuse se serait constituée sans autorisation, contrairement aux prescriptions des

articles 13 et 16 de cette loi, le ministère public, lorsqu'il agit, doit suivre les règles du Code de procédure civile, et, par suite, ne peut porter en cause d'appel une demande qui n'aurait pas subi le premier degré de juridiction; que, d'autre part, il est sans qualité pour formuler une demande qui intéresserait, non l'ordre public, mais simplement les opérations dont le liquidateur est chargé;

Attendu que, dans l'espèce, le litige a porté en première instance uniquement sur l'action en revendication introduite contre le liquidateur par les dames Dupuy et autres, se disant propriétaires du groupe d'immeubles qui avait été le siège de la congrégation non autorisée du Verbe Incarné ;

Attendu que le tribunal, après avoir examiné les divers actes d'acquisition invoqués par les revendicantes, a rejeté leur prétention en se fondant, entre autres motifs, sur ce que, ayant entendu acquérir, non pour leur propre compte, mais pour celui de la congrégation, elles n'avaient été, en réalité, que des propriétaires apparentes, simples prête- noms de la congré gation elle-mème, et qu'elles n'avaient acquis par là aucun droit personnellement sur les immeubles litigieux;

Attendu que, sur leur appel, le ministère public a demandé la confirmation du jugement de première instance, et a demandé, en outre, que les actes susdits fussent expressément déclarés nuls, « en tant qu'ils conféreraient aux appelantes des droits personnels sur les immeubles dont il s'agit »; que, comme conséquence de cette nullité, il a demandé à la cour d'appel de décider que les dames Dupuy et autres ne pouvaient prétendre à aucun droit sur ces immeubles;

Attendu que la cour a confirmé le jugement par adoption de ses motifs, et a décidé par là même que les actes invoqués par les appelantes ne leur avaient conféré aucun droit sur lesdits immeubles; que les critiques du pourvoi sur ce point sont donc sans fondement;

Attendu que, par un second chef de ses réquisitions, le ministère public a demandé que les appelantes fussent condamnées à rendre compte des fruits ou revenus qu'elles auraient indûment perçus, et à remettre leurs titres de propriété ;

Mais attendu que cette demande se référait à des mesures dont le liquidateur était exclusivement chargé; qu'elle ne pouvait être formée par le ministère public;

Attendu que, dans ces circonstances, l'arrêt a décidé à bon droit qu'il n'y avait pas lieu d'étendre les termes du jugement, alors que le liquidateur s'était renfermé jusqu'à présent dans son rôle de défendeur à l'action en revendication, et que, d'autre part, il appartiendrait à ce liquidateur d'aviser ultérieurement aux incidents qui pourraient se produire dans les opérations dont il a la charge; qu'en statuant ainsi, l'arrêt, qui, d'ailleurs, est motivé, n'a violé aucun des articles de loi visés par le pourvoi;

Sur l'unique moyen du pourvoi no 54778, en tant qu'il vise la partie de l'arrêt relative aux interventions de Bouquet et de la demoiselle de Crussol

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