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voilà pourquoi il invoque indifféremment les principes les plus opposés. Dans l'antiquité il s'appuie sur la différence des races, sur l'inégalité naturelle des hommes, ou le droit de la guerre et de la force. Après la naissance du christianisme, il ne parle que de charité et d'amour. Sous l'empire de la philosophie et de la raison modernes, il se réclame surtout de la liberté. Ajoutons que le communisme de Babœuf est le seul conséquent; car s'il est vrai que la propriété, injuste et spoliatrice par elle-même, est la mère de toutes les iniquités et de toutes les violences, la cause de toutes les douleurs qui déchirent l'humanité, la source impure de la corruption et des vices qui la rongent, pourquoi la souffrir un seul instant? Pourquoi le bien de tous, les droits de tous, les droits de la justice, de la raison, de la pitié elle-même, seraient-ils sacrifiés plus longtemps à l'égoïsme de quelques-uns? Puis il ne s'agit pas seulement de ceux qui prêchent cette théorie et du degré de logique ou de franchise qu'ils y apportent; il faut penser aussi à ceux qui l'écoutent. Or pourquoi les masses, que vous montrez comme opprimées, dépouillées, exploitées par quelques-uns, et ravalées au niveau des bêtes de somme, condamnées au vice et à l'infamie autant qu'à la souffrance, garderaient-elles quelque ménagement pour leurs oppresseurs? Ne serait-ce pas supposer que les riches les ont privées aussi de leur raison? J'admire vraiment ces

nouveaux apôtres du communisme qui, dans un langage plein de candeur et presque onctueux, nous assurent que leur triomphe sera l'œuvre de la persuasion, que les gentils et le peuple de Dieu, je veux dire les riches et les pauvres, seront également convertis, et à l'aspect de la Jérusalem nouvelle, de la céleste Icarie, se réuniront dans un éternel baiser de paix. Cette foi robuste et ces sentiments évangéliques, je veux bien les croire parfaitement sincères; mais que nous importent les hommes? Quel intérêt avons-nous à savoir s'ils sont bons ou méchants, clairvoyants ou aveugles, dissimulés ou convaincus? Nous nous occupons de leurs systèmes et des effets qu'ils peuvent produire sur la société dont ils attaquent les bases. J'ajouterai, pour finir, que le communisme conséquent ne s'arrête pas à Babœuf. Babœuf voulait conserver la famille; on dit que lui-même, dans son intérieur, en pratiquait toutes les vertus; mais la famille repose sur des sentiments et sur des devoirs, plutôt que sur des relations matérielles. Elle a pour conditions, d'une part, l'autorité et le sacrifice; de l'autre, la soumission et la reconnaissance, la génération morale, c'est-à-dire l'éducation, encore plus que la génération physique. Rien de tout cela ne peut exister dans un ordre social où le sacrifice est impossible par l'abolition de la propriété; où l'autorité paternelle et la reconnaissance filiale sont supprimées par l'éducation commune. Le dernier

mot du communisme est dans la Bible de la liberté, l'Assomption de la femme et d'autres œuvres de la même espèce.

CHAPITRE VI

Conclusion.

Lorsqu'on embrasse dans leur ensemble les systèmes et les faits qui viennent de passer sous nos yeux, on se trouve conduit à un certain nombre d'observations générales qui, si je ne me trompe, sont d'un sérieux intérêt, non-seulement pour la société francaise, mais pour la société européenne de notre temps.

On remarquera d'abord que le socialisme, par conséquent le communisme, qui en est le dernier mot, loin d'être un progrès de la raison humaine et la condition inévitable des générations à venir, n'est qu'un retour à de vieilles erreurs, à des rêves suranés ou à des essais malheureux, constamment répudiés par le bon sens et par la conscience des peuples. Toutes les idées qu'il nous présente depuis cinquante ans comme de hardies, de salutaires ou de séduisantes nouveautés, l'organisation du travail, le droit au travail, le travail attrayant, la réhabilitation de la chair

et l'émancipation des passions, la suppression de l'inégalité des hommes par la suppression de la propriété; nous les avons rencontrés dans quelqu'hérésie religieuse, dans quelque roman philosophique ou quelqu'utopie révolutionnaire dont le nom même ne peut plus être retrouvé qu'avec effort. Elles sont aussi anciennes que l'envie, que la sensualité, que la paresse; car elles ne sont le plus souvent que ces passions elles-mêmes érigées en principes et transformées en droits.

Voici une seconde observation à laquelle ne manqueront pas de s'arrêter les esprits attentifs. Ainsi qu'on a pu s'en convaincre par les doctrines de Mably, de Morelly, de Babœuf et des anabaptistes du seizième siècle, le but que le communisme poursuit avant tout, c'est l'égalité de tous les membres du corps social. Mais l'égalité, telle qu'il la comprend, telle qu'il la veut et la promet à ses adeptes, est de toutes les chimères créées par l'imagination des utopistes la plus irréalisable et la plus malfaisante. L'égalité, si on la transporte hors du droit, si on la considère comme un niveau identique imposé aux faits, je veux dire au degré de pouvoir, de bienêtre, d'influence, d'instruction, de valeur personnelle qu'on veut mesurer aux hommes réunis en société; l'égalité entendue de cette manière est absolument

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