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AVANT ET DEPUIS L'INSURRECTION DU 18 MARS

AVANT-PROPOS DE LA TROISIÈME ÉDITION

Ce petit écrit a vu le jour pour la première fois en 1848, presqu'au lendemain de la révolution de février, quand le communisme était prêché officiellement au Luxembourg par un des membres du gouvernement provisoire et allait essayer de s'imposer à la république naissante par les sanglantes journées de juin.

Grâce à l'intérêt qu'il empruntait aux événements, il fut appelé bien vite aux honneurs d'une seconde. édition qui ne tarda pas à être épuisée.

Aujourd'hui, après un intervalle de plus de vingtdeux ans, je m'aperçois avec douleur qu'il n'a rien perdu de son opportunité, et, sur les instances de quelques amis, sur leur offre généreuse de prendre sur eux toutes les charges et tous les soucis de cette publication, je me décide à le faire réimprimer.

Qu'y a-t-il, en effet, de changé dans notre situation? Le danger qui nous menaçait, il y a près d'un quart de siècle, est toujours le même; seulement il est devenu plus pressant et plus général. Le communisme dirige ses attaques, non-seulement contre la société française,

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mais contre la société européenne. Il ne se contente plus de parler et d'écrire, il livre des batailles. A l'insuffisance de ses arguments il supplée par le chassepot et le canon lorsqu'on a commis l'imprudence ou qu'on a été forcé par les malheurs de la guerre de lui livrer des armes.

Oui, c'est le communisme, associé avec plus ou moins d'art aux passions politiques de Quatre-vingt-treize, qui, pendant ces trois ou quatre dernières années, a inspiré les orateurs des clubs parisiens et fait la fortune. des candidatures radicales. C'est le communisme qui a dicté les règlements et les programmes de la Société Internationale des travailleurs, et c'est lui que les missionnaires et les fondés de pouvoir de cette association redoutable promènent impunément de ville en ville et de congrès en congrès. Enfin, le doute n'est plus permis aux plus aveugles: s'abritant sous un nom équivoque et profitant de la faveur attachée aux franchises municipales pour élever son pouvoir sur les débris de la société, c'est le communisme qui, dans la fatale journée du 18 mars, s'est installé à l'Hôtel de Ville de Paris. C'est lui qui, depuis bientôt deux mois, sous les yeux et à la satisfaction, peut-être avec le concours d'un ennemi victorieux, tournant à notre ruine les instruments mêmes de notre défense, opprime et déshonore, remplit de désespoir et de deuil notre malheureuse capitale.

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Ceux-là sont dans une grande erreur qui, invoquant . au hasard la loi du progrès et la faisant intervenir sans distinction dans toutes les choses humaines, s'imaginent qu'il y a une différence entre le socialisme de nos jours et le communisme d'autrefois. Communisme et socialisme, on ne saurait assez le répéter, ne sont que des noms différents d'une seule et même chose. Le communisme, suivant les temps, suivant les lieux, suivant l'esprit des générations auxquelles il cherche à s'imposer, peut changer de forme et de langage, il ne change pas de principes, et ses conséquences, quand il lui est donné de les réaliser, demeurent invariables. Il supprime la propriété, il supprime la liberté tant civile que politique, il supprime la famille. On peut dire qu'il supprime la personne humaine et, par conséquent, la conscience morale de l'homme pour mettre à sa place la toute-puissance, la tyrannie collective et nécessairement irresponsable de l'Etat.

Cette substitution de l'Etat à l'individu ou, si je puis m'exprimer ainsi, cette expropriation complète du dernier par le premier, voilà, si vous prenez la peine de les analyser, ce que vous trouverez au fond des maximes, des revendications et des formules socialistes les plus accréditées de notre temps.

Ainsi, par exemple, toutes les écoles par lesquelles, depuis bientôt un demi-siècle, le socialisme est repré

senté parmi nous, l'école de Saint-Simon, celle de Charles Fourier, le communisme pur, le mutuellisme, sont d'accord sur ce point que les souffrances et la misère des classes laborieuses prennent leur source dans la liberté de l'industrie, principe d'une concurrence illimitée, et qu'il est temps d'y mettre un terme par l'organisation du travail.

Mais si le travail, perfectionné sans cesse par le temps et par l'expérience, ne réussit pas à se donner lui-même peu à peu les lois les plus propres à le régler, quelle autre puissance que l'Etat pourra lui imposer tout d'un coup l'organisation qu'il réclame? L'Etat organisant le travail, c'est l'Etat qui dispose souverainement des capitaux, des instruments et du personnel de l'industrie, soit agricole, soit manufacturière; c'est l'Etat dirigeant à son gré, avec une autorité sans bornes, nonseulement toutes les forces matérielles de la société, mais les facultés de l'intelligence, l'activité de l'âme et de la pensée. L'Etat sera le maître unique, absolu, des hommes et des choses, des biens et des personnes. Nous serons en plein communisme, et le communisme lui-même ne pourra s'établir et se conserver que sous la règle du despotisme.

Un autre principe mis en circulation et soutenu avec opiniâtreté par le socialisme contemporain, c'est la gratuité du crédit; c'est pour tous les membres de la

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