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non plus à côté, mais au sein même de la communauté. C'est ce que nous démontrera plus tard, avec la dernière évidence, l'histoire du communisme chez les modernes. Contentons-nous en ce moment de citer quelques mots de Jean-Jacques Rousseau, un des adversaires les plus violents qu'ait eus parmi nous la propriété, l'admirateur passionné de Sparte et de sa constitution sauvage. « Il y a telles positions malheureuses où l'on ne peut conserver sa liberté qu'aux dépens de celle d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre, que l'esclave ne soit extrêmement esclave. Telle était la position de Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous n'avez point d'esclaves, mais vous l'êtes; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter cette préférence, j'y trouve plus de lâcheté que d'humanité (1). »

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(1) Contrat social, liv. III, chap.. 15.

CHAPITRE III

Du communisme sous l'influence des idées chrétiennes : opposition radicale du communisme et du christianisme; communautés ascétiques et hérétiques; frères

moraves, anabaptistes, quakers, etc.

Des écrivains éminents de l'école socialiste ne se lassent pas de répéter que le communisme est sorti du christianisme; qu'il est le christianisme même dans toute sa pureté et l'application la plus complète, l'expression la plus vraie du principe évangélique de la fraternité humaine rien n'est plus contraire à la vérité. L'Évangile ne contient pas un mot qu'on puisse tourner contre la propriété; il ne s'élève pas une fois contre les prétendues injustices de l'ordre social, il ne représente pas les riches comme des opprimés; il se place au-dessus de ces distinctions sans les attaquer, en conseillant aux uns la résignation, aux autres le sacrifice, à tous l'abnégation d'euxmêmes, la charité et l'amour. L'amour, voilà le principe sur lequel repose toute la morale de Jésus-Christ,

et ce principe ne contredit pas celui de la justice et du droit, comme aussi il ne saurait le remplacer. Que je m'efforce, comme l'Évangile le prescrit, d'imiter la bonté de Dieu, qui fait luire son soleil sur les bons et les méchants: Ut sitis filii Patris vestri qui in cœlis est, qui solem suum oriri facit super bonos et malos (1); cela ne fera pas disparaître la différence du bien et du mal; cela n'ôtera rien à l'homme vertueux de son mérite et n'empêchera pas le méchant d'être coupable. Que j'aime ceux qui me haïssent, que je pardonne à ceux qui m'ont offensé, que je prie pour mes persécuteurs, cela pourra-t-il faire que la haine ne soit pas un mauvaís sentiment, l'offense que j'ai reçue une méchante action, et la persécution de l'innocent un crime? De même, quand je partage mes biens entre les pauvres, il n'en faut pas conclure que je n'aurais pas eu le droit de les conserver et que les pauvres à qui j'en fais don n'ont fait que recouvrer ce qui leur a toujours appartenu. S'il fallait interpréter ainsi le précepte évangélique, où donc serait l'amour? où serait le sacrifice? On ne peut sacrifier ce qu'on n'a pas, on n'est pas généreux en payant ses dettes. Mais faisons un pas de plus; supposons cette idée traduite en fait; figurons-nous une société où c'est la loi qui donne en se substituant à ma place, et pour parler plus exactement, où per

(1) Saint Mathieu, V, v, 45.

sonne n'ait rien à donner ni rien à recevoir, où tous soient courbés sous le même niveau, attachés au même joug, et sacrifiés corps et âme, intelligence et force, à l'État, reconnaîtrons-nous sous un tel régime ce libre élan du cœur qu'on appelle la charité? La charité toute seule ne peut pas servir de base à un gouvernement, à un ordre social, et là où elle est forcée, elle se change en servitude. Le christianisme et le communisme, loin de se confondre, sont donc complétement opposés l'un à l'autre. Le premier se fonde sur l'amour et par conséquent sur la liberté, le second sur la contrainte; le premier commande la résignation, le sacrifice; le second, la spoliation. Il n'y a, en effet, aucun ménagement à garder au point de vue de ce dernier système. Si la propriété individuelle est illégitime, ou, comme on l'a dit plus crûment dans ces derniers temps, si lạ propriété est un vol, il ne faut pas hésiter à la détruire; il faut que les victimes de cette antique iniquité obtiennent une prompte réparation; et c'est cette œuvre de confiscation et de violence qui serait le fruit le plus accompli de la charité chrétienne!

Il y a dans le christianisme un autre point de vue auquel nous sommes obligés de nous arrêter. La morale de l'Évangile ne se renferme pas toujours dans les conditions de l'humanité. Fondée, comme je l'ai dit plus haut, sur le seul principe de l'amour et ne voyant que Dieu qui soit digne d'être aimé, elle semble ou

blier quelquefois ce qu'il y a de divin dans les créatures, elle respire le mépris le plus profond pour la vie, pour la société, pour ce monde, et s'emporte jusqu'au mysticisme. Tel est certainement le caractère qu'elle présente quand elle nous défend de prendre aucun souci de notre nourriture, de notre vêtement, et du toit qui doit nous couvrir; quand elle ne veut pas que la pensée et le travail du jour s'étendent aux besoins du lendemain; quand, nous montrant les oiseaux du ciel toujours assurés de leur subsistance et les lis des champs, quoiqu'ils ne travaillent pas et ne filent pas, vêtus avec plus de splendeur que Salomon dans sa gloire (1), elle nous conseille d'imiter leur imprévoyance et de nous confier tout entiers à la bonté divine. C'est dans le même esprit qu'elle nous dit de vendre ce que nous possédons et d'en partager le prix entre les pauvres, afin de nous amasser dans le ciel un trésor qui ne nous manque pas au jour du besoin, dont les voleurs ne puissent pas approcher et qui soit à l'abri des vers (2). C'est dans le même esprit qu'elle nous exhorte à livrer notre joue aux insultes, à faire l'abandon de notre bien, non-seulement aux pauvres, mais aux voleurs; à donner notre manteau à qui nous a pris

(1) Saint Mathieu, chap. VI, v. 25-36; saint Luc, chap. XII, v. 22-30.

(2) Saint Luc, chap. XII, v. 33.

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