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La jalousie de Voltaire, en voyant notre jeune poète s'asseoir hardiment au Parnasse, bien près de la place (1) qu'il y occupait alors, ne fut pas le seul fruit amer que Gresset recueillit de la publication de Vert-Vert: ayant pris au sérieux les innocentes plaisanteries du poète, le saint troupeau de Mme. de Chantal (2) adressa ses plaintes aux chefs de l'ordre dont Gresset portait l'habit, par l'intermédiaire de M. Chauvelin, alors garde-des-sceaux, qui avait une sœur parmi les filles de Saint François de Sales. Notre auteur fut alors obligé de quitter Paris, où ses études de théologie l'avaient fait revenir sur les bancs de l'école, pour aller expier sa gloire dans la solitude de La Flèche.

C'est à cette circonstance que l'on doit la relation du voyage qu'il fit pour s'y rendre, et dont le manuscrit, qui s'est conservé, dit le P. Daire (3), est adressé à Mme. du Perche de Tours, qu'il voulut revoir avant d'aller s'enterrer dans son collège, où on lui donna, par une espèce de dédommagement, la chaire de rhétorique (4).

Pour donner plus de valeur à sa Vie de Gresset, le P. Daire eut soin d'y insérer ce voyage, qui jusqu'à lui était resté inédit, et c'est là qu'à l'exemple de M. Renouard, tous les éditeurs des œuvres soi-disant complètes de notre poète, n'ont pas manqué d'aller copier ce badinage écrit avec la plume de Chapelle, et dont malheureusement le P. Daire n'a

(1) Gresset alors bien près de Voltaire! en 1734! J'en appèle. M. L. du Bois.)

(Note de

(2) Béatifiée en 1751, par Benoit XIV, Mme. de Chantal fut canonisée par Clément XII, en 1767. (Note de M. de Crouy.)

(3) Vie de Gresset, page 8. J'ai vainement cherché ce manuscrit dans les papiers du docte Célestin dont j'ai fait l'acquisition à la vente de la bibliothèque de M. Caussin de Perceval.

(4) Lettre de M. de Wailly à Dalambert.

pas donné le commencement, qui se composait, à ce qu'il paraît, d'une chanson en patois tourangeau (1). Dans une autre chanson, qui faisait également partie de ce voyage, ajoute notre biographe, Gresset dit galamment à Mme. du Perche (2), que La Flèche est un Paris pour lui, puisqu'il reste dans le voisinage du lieu qu'elle habite.

C'est sans doute à l'époque où Gresset se délassait des ennuis du professorat dans la société de Mme. du Perche, que sa muse lui inspira la romance qui commence par ce vers:

Adieu paisible indifférence, etc.,

et les couplets ayant pour titre Quatorze ans, qui existent dans toutes les éditions de ses œuvres, depuis 1785 qu'ils parurent dans l'Almanach des Muses (3).

On doit également rapporter au même temps les chansons qui se trouvent dans deux petits volumes de son écriture (4), portant la date de 1734. Chacune de ces chansons est précédée d'une croix figurée de cette manière +, et suivie d'un signe particulier en forme de paraphe, qui distinguent chaque

(1) On retrouva, dans l'Almanach Littéraire de 1780, page 156, deux autres passages qui avaient été également retranchés par le P. Daire, et que M. Renouard n'a rétablis qu'en partie.

(2) Vie de Gresset, page 8.

(3) Voyez page 6

(4) Ces deux volumes m'ont été communiqués avec beaucoup d'obligeance par M. Boullet, aujourd'hui premier président de la cour royale d'Amiens, qui les possède à titre d'héritage de famille; ils sont intitulés : « Mélanges choisis » de chansons bachiques, érotiques, satiriques, guerrières; de bergères, bru » neltes, pèlerines, papillons, branles, vaudevilles, airs d'opéra et de can»tates, extraits des meilleurs sottisiers d'Europe. » Deux volumes in-18; le premier de 107 feuillets, et le deuxième de 104.

pièce d'avec celles qui appartiennent aux auteurs dont Gresset donne les noms sur le verso de la couverture (1). Parmi les chansons de Gresset, voici celles dont il convient de faire une mention particulière :

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(1) Les voici dans l'ordre adopté par Gresset: Mle, de Scuderie, Mme. Deshouillières, Mme. de la Suze, Blot, Des Barreaux, Coulanges, Lainez, La Chapelle, M. le Régent, Vergier, Lamotte, Régnier-Desmarest, Pavillon, Segrais, ett,, Bougeant, Brumoy.

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Le plaisir vous séduit, son appas est trompeur. >> Il nous flatte un instant par sa douceur frivole; » Mais tel que l'abeille il s'envole,

> Et laisse en s'envolant l'aiguillon dans le cœur.»

4o.

« Doux rossignols, sous ces feuillages

> Vous chantez votre heureux amour.
» Et de vos tendres ramages
• Vous réveillez tour-à-tour

» Les échos de ces bocages.

» Hélas! petits oiseaux, hélas!

Si vous sentiez mes maux vous ne chanteriez pas, •

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Il paraîtrait, d'après une lettre que Gresset écrivit de Paris à sa mère, le 18 novembre 1734, que son exil à La Flèche ne fut pas de longue durée.

Voici la copie de cette lettre, qui m'a été communiquée par M. Gresset l'aîné:

«Ma très-chère Mère,

» Voilà qui n'est en vérité point édifiant : dater une lettre * d'une heure après minuit, temps auquel une vertueuse » mère de famille doit, comme la femme forte, goûter dans » le sein du repos la douceur des songes évangéliques ; ⚫ temps auquel une jeune prosélite doit tranquillement som» meiller et rêver pieusement. De telles nuits marquent des ⚫âmes beaucoup trop éveillées; et assurément, si je me › mêlais de me scandaliser, ma délicatesse serait bien dé» concertée par un pareil dérangement, surtout après la grande et pompeuse retraite. C'est donc là que sont venus » aboutir tant d'affectueux sentiments! c'est donc en vain » que le vertueux P. Fleuriau, l'apôtre des Gentils, a labouré, semé, arrosé, voilà donc sa moisson! il a prié, exhorté, menacé, tonné, cassé sa flûte, et cependant je ne vois point de changement; on continue; autrefois on se » couchait à minuit, et depuis la retraite on est devenu plus » méchant d'une heure.

D

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» Je parie, ma Mère, que vous avez été à la retraite en partie pour braire, car enfin c'est quelque chose de si doux » que de braire de temps en temps !... Pour toi, Thérèse (1), » tu as été aux méditations pour courir, tu y es restée pour voir, tu en es revenue pour critiquer, n'est-il pas vrai ? Non, dites-vous? comment, non; quoi, vous mentez, petite fille; je charge votre bon ange de vous donner ce soir » la discipline depuis dix heures jusqu'à minuit.

Je m'étonne qu'on se plaigne (2) de mes lettres; je ne » crois pas avoir passé dix jours sans écrire; mais plaignons

(1) Madame de Toulle.

(2) M. L. du Bois pense qu'il y a ici quelques mots d'oubliés Ne serait-ce pas de la rareté?

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