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L'examen de ces débris des ouvrages de J.-B. Gresset, au quel je viens de me livrer, se rattache plus qu'on ne pourrait le croire à l'histoire de son fils; car il est permis de penser que ces écrits furent la première mine dans laquelle Gresset trouva les principes sévères d'honneur et de vertu qui devinrent la règle de toute sa vie. Guidé par la piété d'un père éminamment religieux, Gresset suivait donc sans effort, dès sa plus tendre jeunesse, la route que lui traçait l'auteur de ses jours, et si les succès littéraires qu'il obtint de bonne heure et qui lui donnèrent accès dans le monde, le détournèrent un instant du but vers lequel la Société de Jésus essaya de le diriger, on le vit bientôt revenir vers ce but par un autre sentier et s'y maintenir jusqu'à sa dernière heure, malgré les sarcasmes de Piron et de Voltaire ; peut-être même le désir de se dérober à ces sarcasmes, ainsi qu'à la jalousie de l'auteur d'OEdipe (1), fut-il une des causes qui le

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(1) M. Louis du Bois, dont j'ai déjà fait connaître l'extrême obligeance (voyez ci-devant le Discours préliminaire), a bien voulu compléter à mon égard ses premières communications littéraires, en se chargeant d'examiner avec des yeux de linx mon farrayo biographique et bibliographique. Indépendamment des nombreuses corrections qui ont été le résultat de sa consciencieuse critique, il a fait sur quelques parties de cet Essai différentes observations d'autant plus importantes pour l'histoire littéraire, qu'elles contredisent mes opinions sur le caractère des principaux écrivains du XVIII. siècle et sur leur conduite envers Gresset.

Ainsi, par exemple, la jalousie de l'auteur d'OEdipe a provoqué de la part de M. Louis du Bois les réflexions suivantes, que beaucoup de lecteurs trouveront sans doute plus justes que mon allégation de jalousie :

Je crois ce mot bien injuste et bien dur; on pourrait lui appliquer son » propre vers:

» De qui dans l'univers peut il être jaloux?

» Voltaire, en 1734, déjà célèbre par OEdipe, Mariamne, la Henriade, » Charles XII, les Lettres Philosophiques, Zaïre, Adélaïde du Guesclin, etc., pouvait-il être jaloux de l'auteur de Vert-Vert? Et en 1747, l'auteur de la » Mort de César, du Fanatisme, de Mérope, etc., ne pouvait pas l'être du

déterminèrent à s'ensevelir dans la retraite, sur les bords de la Somme, retraite que notre poète n'abandonna plus une fois qu'il eut goûté tous les charmes de la vie de famille dont son père lui avait également donné l'exemple.

En voyant les corrections portées par Gresset sur les manuscrits de son père, on pourrait croire que son intention première avait été d'en faire jouir le public; mais si cette pensée est venue lui sourire un moment, ne doit-on pas admettre aussi que l'esprit d'humilité chrétienne qui lui fit garder en portefeuille une grande partie de ses ouvrages, enveloppa sans doute dans la même proscription la succession littéraire dont il était dépositaire, et de laquelle malheureusement il ne reste plus que des lambeaux; car si ce qui est perdu ne fut pas compris par Gresset dans l'auto da-fé qu'il crut devoir faire de son portefeuille avant de mourir,

» poète distingué qui avait enrichi la scène française de l'excellente comédie » du Méchant. Voltaire ne fut pas jaloux de Gresset, pas plus que des deux » Rousseau; il s'était fâché contre J.-B., homme peu estimable, et qui pro» voqua le juste ressentiment de Voltaire; il fut prévenu contre Gresset, ami » et confident de J.-B. Rousseau, et qui d'ailleurs ne répondit pas comme il le » devait aux prévenances polies de la lettre du 28 mars 1740. Vraisemblable>ment, comme il arrive d'ordinaire, des intermédiaires malveillants aigrirent » le mal. Il y a lieu de croire que Gresset, qui écrivait (v. ci-après chap. 111): » Voltaire, qui se croit le conquérant de la littérature, n'en est que le don » Quichotte, etc., ne devait guères cacher ces opinions de la plus révoltante › injustice, et que par conséquent, irritable comme tous les poètes, Voltaire, » qui en était assurément informé, devait se sentir profondément blessé. Ce>> pendant, sauf les vers du Peuvre Diable, que je trouve fort injustes, vous » voyez l'auteur de la Henriade écrire å Berger, . c10 janvier 1736 : J'ai lu la » Chartreuse, c'est je crois l'ouvrage de ce jeune homme où il y a le plus » d'expression, de génie et de beautés neuves, etc. Cette bonne opinion me >> semble bien confirmée quatre ans après, dans la lettre de Voltaire à Gresset, >> auquel il dit : Votre tragédie marque, comme vos autres ouvrages, un génie neuf et tout entier à vous. Le reste de cette belle lettre, dont je vous dois la

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» connaissance, me semble faire un grand honneur aux deux poètes.

» L. D. B. »

comme on le verra dans la suite, il est vraisemblable du moins, que les deux malles remplies de manuscrits trouvées dans la maison qu'il occupait au moment de son décès, et qui s'égarèrent dans les mains de M. Duméril, contenaient sans doute aussi des papiers ayant appartenu à l'auteur de l'Art de bien vivre, ce qui me fait doublement déplorer le triste résultat de l'abus de confiance dont M. Duméril s'est rendu coupable, et qui a privé la république des lettres d'une foule de documents précieux au moyen desquels il aurait été plus facile de suivre Gresset dans les différentes phases de sa vie, à partir du jour où il quitta la maison paternelle pour entrer au noviciat des Jésuites,

CHAPITRE II.

1726 à 1755.

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« GRESSET, dit le père Daire (1), fit ses humanités dans le » lieu de sa naissance, et dans le collége alors occupé par les Jésuites, qui, frappés de ses progrès rapides et de la vivacité » de son esprit, concurent dès les premières années le projet » de l'incorporer dans leur société. Il entra parmi eux en 1725, » à l'âge de seize ans,» avec le consentement de ses parents, qui avaient pu juger mieux que d'autres des dispositions heureuses qu'il importait à leur fils de cultiver; aussi ne furentils point fâchés de le voir se choisir lui-même une école où s'étaient formés, pour la retraite et pour le monde, tant d'hommes d'un mérite distingué (2).

Le père Lagneau exerçait alors l'une des premières places de la société au collége d'Amiens, et il était intimement lié avec le père de Gresset, ce qui l'engagea nécessairement à surveiller d'une manière toute particulière l'éducation du fils de son ami; et c'est sans doute à l'influence qu'exerça le professeur sur l'âme de son élève qu'on doit attribuer la décision prise par notre poète, sans avoir de vocation, assure M. Renouard (3), d'enrichir de ses talents la compagnie de Jésus.

On verra plus tard que le père Lagneau conserva toujours pour Gresset un vif attachement, et que ce dernier, à l'époque

(1) Vie de M. Gresset, page 2.

(2) Lettre de M. de Wailly à Dalembert, du 3 octobre 1777.

(5) Vie de Gresset, page 6.

la plus brillante de sa vie littéraire, eut la rare modestie d'attribuer tous ses succès à ce premier maître, qui avait su, disait-il, lui apprendre à penser.

Placé sur la même ligne que les Bougeant, les Jouvanci, les Ducerceau, etc., Gresset s'assujettit comme eux à montrer ce qu'il venait d'apprendre; ainsi, après avoir fait son noviciat, c'est au collége de Louis-le-Grand, à Paris, qu'il vint achever ses études, et, suivant le très-bon usage des Jésuites, dit M. Renouard (1), il en recommença le cours, en professant lui-même le humanités à Moulins, à Tours et à Rouen; et c'est sans doute pendant qu'il était dans la première de ces villes qu'il fit pour des pensionnaires qui allaient souhaiter la fête d'une supérieure de je ne sais quelle communauté, les vers suivants :

. Je pourrais vous louer, je n'ose l'entreprendre;

» On connaît vos sentiments:

>> Vous aimez mieux, en fait de compliments,
Les mériter que les entendre.»

"De tous les biographes de Gresset, M. Renouard est le seul qui nous ait fait connaître que dans chacune de ces villes (2) <«< il annonça de rares talents, soit par des sermons, dont quel» ques-uns existent encore, dit-il, et méritent d'être conservés,

au moins en manuscrit (3), soit par des compositions des>> tinées pour les exercices publics des colléges, mais qui » n'avaient aucunement l'empreinte scolastique. »

D'après une déclaration si positive, on doit croire que M. Renouard a entre les mains plusieurs des productions de

(1) L. C.

(2) L. C., page vj.

(3) Je n'en ai point trouvé dans les papiers qui m'ont été communiqnés par MM. Gresset.

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