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téraire de Gresset, précieux héritage de famille qu'ils sont jaloux de conserver intact, et dont l'aliénation ne pouvait être dans leur pensée.

Telle sera ma réponse à ceux qui se croiraient autorisés à regarder ce travail comme une infraction à la volonté manifestée par Gresset de dérober ses œuvres posthumes à la publicité; j'ajouterai en outre que la prescription de plus d'un demi-siècle suffit pour annuler toute résolution du genre de celle que prit Gresset sur le bord de sa tombe. Persister dans cette idée, ce serait commettre envers la postérité un véritable vol littéraire, en lui dérobant la connaissance des écrits avoués par le bon goût, et qui sont susceptibles de ramener dans la route du vrai nos jeunes successeurs égarés à la suite des Ronsards et des Dubartas du xix'. siècle, qui ont pris le grotesque pour enseigne de leur singulière école (1), sous le prétexte d'imiter la nature, et de saisir la vérité partout où elle se trouve s'établissant donc en permanence à la Morgue et sur l'échafaud des condamnés, c'est dans la fange de la société qu'ils ont été chercher les personnages de leurs monstrueuses compositions.

Espérons que ces erreurs littéraires cèderont enfin à l'empire du temps, et qu'une lueur de raison, en perçant les épaisses ténèbres qui obscurcissent maintenant toutes les avenues du temple des Muses, finira par y laisser pénétrer la vérité : les reflets de son miroir frappant alors sur les statues des faux dieux, feront crouler l'argile dont elles se composent, ne laissant debout que ces marbres des génies qui, tels que celui de Gresset, ont toujours eu pour guide un heureux naturel,

. Et la grâce plus belle encor que la beauté. » (2).

(1) Voir la préface de Cromwell, drame par Victor Hugo, page x11. (2) La Fontaine, Adonis.

ESSAI HISTORIQUE

SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES

DE

GRESSET.

CHAPITRE PREMIER.

1709 à 1725,

VOLTAIRE n'avait pas quinze ans (1) quand Gresset (JeanBaptiste-Louis) vit le jour, dans la capitale de la Picardie, le 29 aoust 1709 (a). Ainsi, ces deux poètes peuvent être considérés comme les derniers rejetons de ce grand siècle

(1) Il est né le 21 novembre 1694.

(2) Aucun des biographes de Gresset n'ayant donné la date précise de sa naissance, je crois devoir joindre ici une copie de son acte de baptême: Extrait du Registre des Baptêmes, Mariages et Sépultures de la paroisse de Saint-Firmin-en-Castillon d'Amiens, pour l'année 1709.

« Le vingt-neuf aoust mille sept cent neuf, j'ai baptisé Jean-Baptiste» Louis, fils né en légitime mariage de M. Jean-Baptiste Gresset, conseiller » du Roi, commissaire-enquêteur de la ville d'Amiens, et de madame Cathe»rine Rohault, ses père et mère; le parrain, M. Louis Hugot, marchand à » Amiens; la marraine, madame Marguerite Daussy. Ainsi signés: Marguerite » Daussy, Louis Hugot, Gresset, et Louis Méseyer ».

auquel Louis XIV imposa la majesté de son nom, et qu'il traversa avec tant de gloire, entouré par cette foule de personnages illustres qui, dans tous les genres, rivalisèrent à l'envi avec ceux dont les actions et surtout les écrits vainqueurs du temps (1) signalèrent les glorieuses époques des Périclès, d'Auguste et de Léon X.

Les Jésuites qui avaient été chargés de l'éducation du jeune Arouet, présidèrent aussi à celle de Gresset; mais tandis que les maîtres de l'un lui annonçaient, dès sa plus tendre jeunesse, comme le rapporte Condorcet (2), qu'il serait un jour en France le coryphée du déisme; ceux de l'autre, au contraire, se plaisaient à reconnaître que les précieuses semences de la Religion avaient jeté de profondes racines dans l'âme de leur élève, et qu'il ne quitterait jamais le sentier de la vérité vers lequel ses vertueux parents s'étaient attachés à le diriger.

Jean-Baptiste Gresset, son père, conseiller du Roi, commissaire enquêteur-examinateur (3) au Baillage et Présidial d'Amiens, par provisions du 17 mars 1708 (4), était fils de Jean Gresset et de Marie-Anne Hugost, qui vivaient encore, à ce qu'il paraît, vers 1695; et suivant les archives du Baillage, Jean Gresset avait alors auprès de lui un frère nommé François; enfin, s'il faut en croire le P. Daire (5), la famille Gresset tirait son origine de l'Angleterre, et M. Renouard (6)

(1) Expression de Voltaire. Voyez édition de M. Beuchot. - Paris, Lefèvre, in-8°., 1833, tome XIV, page 392.

(2) Voyez sa Vie de Voltaire, même édition, tome Ier, page 121.

(3) Voyez, au sujet de cet office de judicature et de robe longue, suivant l'expression du temps, le Dictionnaire de Trévoux, au mot enquêteur, et l'Encyclopédie de Diderot, à celui de commissaires-enquêteurs-examinateurs.

(4) Notice manuscrite de dom Grenier sur Gresset, dans son Histoire de Picardie.

(5) Vie de M. Gresset, page 2.
(6) Notice sur Gresset, page 1.

avance que c'est dans le cours du XVII. siècle qu'eut lieu l'établissement de cette famille en Picardie, et qu'elle y contracta des alliances avec les habitants les plus notables d'Amiens.

L'hymen de J.-B. Gresset fut assez fécond, puisqu'indépendamment de son fils aîné Jean-Baptiste-Louis, il eut encore neuf enfants, d'après ce que rapporte l'ancien bibliothécaire des Célestins (1); mais les recherches les plus exactes ne m'ont fait découvrir que les suivants :

1o. Géneviève-Catherine-Françoise, née en 1714, entrée comme postulante dans le couvent des Augustines d'Amiens, le 24 mars 1729, où elle mourut le 18 mars 1731, après avoir été ornée du voile noir au moment d'expirer.

La perte de cette sœur inspira à Gresset, alors âgé de vingtdeux ans, l'Ode (2) qui, dans les différentes éditions de ses œuvres, est indiquée comme adressée à une Dame, sur la mort de sa fille, religieuse à A.....

Cette Dame est sa mère, dont il cherche à calmer la douleur :

Près d'un tombeau prosternée

Voulez-vous pleurer toujours » ?

lui dit-il; puis, faisant allusion au voile noir dont je viens de parler, il ajoute, dans la quinzième strophe:

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(2) C'est la VI. de l'édition de 1811. Je citerai toujours cette édition dans le cours de mon travail, quand il sera question des OEuvres primitives de Gresset, parce que c'est sur le texte adopté par l'éditeur M. Renouard, que j'ai collationné les anciennes éditions et les manuscrits qui ont été mis à ma disposition.

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Enfin, la note destinée à expliquer le texte de cette strophe, porte:

« Elle était sur le point de faire profession : elle prononça >>> ses vœux avant d'expirer ».

Ce qui se rapporte parfaitement au fait consigné dans l'obituaire du couvent des Augustines d'Amiens, que j'ai été à même de consulter.

2o. Marguerite-Françoise, née le 13 mai 1715, qui entra dans le même couvent, après la mort de sa sœur, le 21 septembre 1731; elle y fit profession le 4 octobre 1733, et y mourut le 30 décembre 1759, âgée de quarante-quatre ans, six mois et vingt-sept jours.

3°. Marie-Thérèse, née le 22 janvier 1717, morte peu de temps après son frère aîné, le 25 mars 1778. Elle avait épousé, après le décès de ses parents (1), M. Marié de Toulle (Isidore-Florimond), chevalier de Saint-Louis, ancien capitaine-commandant au régiment de Grammont, qui mourut en 1792. Il faisait partie de l'Académie d'Amiens depuis le 1er. octobre 1750.

Gresset eut la plus vive affection pour Mme. de Toulle; et je reviendrai sur l'étroite amitié qui l'unissait également à son frère, quand il sera question de l'épître que Gresset lui adressa à la suite d'une grave maladie, pendant laquelle il reçut de sa sœur les soins les plus tendres.

<«< Aux vertus, aux qualités d'un esprit vif, dit M. Re

(4) Lettre de M. Gresset l'ainé, du 15 février 1835.

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