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* L...., tu n'agis pas en homme de ton âge,

Lorsqu'en tes jeunes ans faisant un choix si sage
»Tu quittas du barreau le stérile embarras,

» Et que sur B...., réglant tes premiers pas,
» Loin des âpres sentiers où languit la science,
»Tu te jettes aux champs de l'heureuse finance..
Crois-moi, laisse jaser ces esprits ennuyeux

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Qui, dans leur triste humeur sottement glorieux,
» S'estiment de grands clercs en posant pour maxime
Qu'il ne faut s'enrichir que d'un gain légitime,

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» Et méprisent les biens, les plaisirs, la grandeur,

» Pour un je ne sais qui, qu'ils appellent l'honneur.

Le poète, après avoir conseillé à Mr. L.... de n'avoir aucun égard à cette morale, poursuit ainsi :

■ Non, je n'approuve pas cet esprit orgueilleux

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Qui croyait assez bien partager ses neveux,

» Leur laissant, disait-il, l'exemple de sa vie.

» Que sa morale soit à La Trappe applaudie,

» Mais dans le monde, enfin, l'argent! vive l'argent!

» Pourvu qu'on en amasse, il n'importe comment,

» Il en faut. Ainsi parle un usurier habile,

» A qui de l'agio la manœuvre facile

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Fit en moins de six mois, par un heureux talent,

» Faire de dix cinquante, et de cinquante cent.
Le peuple en vain jaloux du mérite qui brille,
>> Lui reproche tout haut la hotte et la mandille,
Et comple par ses doigts ses vols et ses larcins;
Crois-tu qu'il persévère en ses discours malins?
» Bientôt tu le verras, à soi-même contraire,
» Révérer le fripon devenu secrétaire.

Par suite de cette variation de l'opinion: ajoute le satirique :

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Devint le prix d'un fourbe et d'un fripon rusé.
On vit l'usure en robe et la fraude en hermine;

. Avec nos vieux Catons le partisan (1) opine,
» Et Thémis y reçoit ceux qu'avecque raison

» Elle enverrait bien mieux placer à M......

Après cette apostrophe, l'auteur revient ironiquement à une morale moins sévère, et dit qu'il ne faut pas censurer avec tant d'aigreur celui :

Qui sait percer la foule où le sort l'a placé.
» Mais c'est un scélérat, un fripon!... et qu'importe;
Caton de la fortune en vain frappe à la porte:
» Comme un insecte vil faudra-t-il donc ramper ?

La fortune mène donc à tout, et elle seule

» Adoucit l'Evangile, en élargit la voie.....

» Oui, le riche en ce monde, aussi bien que dans l'autre

» Est toujours sûr, ami, de trouver un apôtre;

» L'or, de droit, est exempt des plus sévères lois,

» Le jeûne de nos jours est devenu bourgeois.

Enfin, le poète finit par dire à son novice financier :

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Ainsi, sans t'effrayer d'un remords ridicule,

» Retourne à tes brebis et tonds-les sans scrupule

Plusieurs Épîtres suivent immédiatement les Satires; la première, relative à la simplicité des goûts du poète, est adressée à M. Bignon, intendant de Picardie, et nommé prévôt des marchands de Paris. Il était fils puîné du fameux avocat général Jérôme Bignon; après les fonctions administratives qu'il exerça tant en Picardie qu'à Paris, il fut nommé maître des requêtes et président au grand conseil.

(1) Celui qui fait un traité avec le Roi pour des affaires de finance. (Voyez le Dictionnaire de l'Académie.)

Après avoir prouvé que la vie de Paris ne peut lui convenir, l'auteur ajoute:

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Près des fertiles bords de la paisible Somme,

Où, sans louer le Ciel, jamais on ne te nomme,

» Sous un rustique toit construit à peu de frais,

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Bignon, j'ai rencontré le bonhenr et la paix,

. Ces plaisirs innocents, cette joie épurée....

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Qu'on goûte rarement sous de riches lambris,

Et dont le sage seul sait connaître le prix.

Là, foulant mollement les fleurs de nos prairies,

Je viens entretenir mes sages rêveries;

J'interroge mon cœur, et, juge rigoureux,

Au poids de la raison je pèse tous mes vœux. »

La seconde Épitre a pour objet le mauvais emploi du temps, et cette propension des hommes à oublier toujours la fragilité de leur existence. En effet,

a A voir tous leurs projets, leurs vœux, leurs espérances,
» Leurs craintes, leurs travaux, leurs soins, leurs prévoyances,
"On dirait que d'accord avecque le Destin,

» Il doit de l'univers leur laisser voir la fin....

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Cependant, sans arrêt, et se hâtant toujours,

» Le temps passe et s'en fuit d'un insensible cours,

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A l'espace borné, marqué pour notre vie,

Chaque jour, chaque instant retranche une partic.

« Le hasard,

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A souvent en un jour renversé son ouvrage,

» El tel qu'il a comblé de trésors et d'honneurs,

>> Trébuche tout-à-coup au faîte des grandeurs.

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Mais prêcher aux humains ces vérités sévères,

» C'est rappeler un moine à ses règles austères,

» Et citer aux prélats les antiques canons......

Dans l'Épitre adressée à M. le prince Charles de Lor

raine, et relative à l'orgueil qui est souvent l'apanage de la vanité bourgeoise, on distingue les pensées suivantes :

Une vertu superbe eut fait haïr Caton.

» J'aime à voir sous le dais briller la modestie.
Pour moi, je sais de l'homme écarter l'appareil,

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Et voir d'un œil hardi des taches au soleil....

J'ose dans un haut rang mépriser la sottise,

Et dire de chacun, après un roi fameux :

Est-il plus grand que moi, s'il n'est plus vertueux? »

Parmi les différentes Épîtres, on distingue surtout celle qui porte cette singulière adresse: au Mais; elle commence ainsi :

C'est toi, dangereux Mais, que je veux critiquer.

Ne te lasses-tu pas de mordre et de piquer?

» Te verra-t-on toujours, guide en l'art de médire,

• Au milieu d'un éloge amener la satire?

Après cette exposition, le poète cite plusieurs éloges qui se terminent par le mot fatal Mais; puis il ajoute :

• Ainsi la Médisance, avec art composée,
› Prenant un long détour, se glisse déguisée,
» Par un air de franchise en impose à l'esprit,

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Et fait croire le mal par le bien qu'elle a dit....

Toujours quelque défaut défigure le bien,

» Le Mais partout se fourre et chacun a le sien........ ›

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Dans l'Épître adressée à un partisan sur les plaisirs champêtres, se trouve le passage suivant, qui me semble une imitation assez heureuse de la fameuse strophe de Malherbe, qui se termine par « Et la garde qui veille, etc. »

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«En vain de ses faveurs la fortune nous couvre.

L'audacieux chagrin monte jusques au Louvre,

Et malgré les soldats qui veillent à l'entour,

» Va tourmenter un Roi dans le sein de sa cour.....
» Tout un peuple de soins l'environne et le suit....

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Ainsi, le Ciel changeant les faux biens qu'il octroye, >> Fait moissonner le deuil où l'on sema la joie....

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Indépendamment des Satires et des Épîtres dont je viens de citer quelques passages, le père de Gresset a encore laissé :

1o. Un poème en grands vers et en six chants, qui a pour titre l'Art de bien vivre.

Ce poème n'est pas susceptible d'analyse, attendu qu'il se compose seulement d'une suite de préceptes moraux, analogues à ceux de l'Évangile et de l'Imitation de Jésus-Christ, qui tendent tous à nous faire envisager la position de l'homme en ce monde comme un simple état transitoire pour arriver à la vie éternelle, qui seule doit occuper la pensée du chrétien; l'Art de bien vivre est donc celui qui le conduit par la ligne la plus droite au but qu'il a le désir d'atteindre.

Quelques citations me suffiront pour donner une idée de la morale religieuse de l'auteur.

Le démon, dit-il, ne manque jamais de détourner l'homme de la route du bien :

C'est lui qui relevant l'éclat de la victoire,
» Enflamme les héros du désir de la gloire,
»De soins et de projets remplit l'ambitieux,
>> Rend l'avare inquiet, le savant curieux,
» Et du but véritable habile à nous distraire,
» De l'objet le plus vain fait notre grande affaire;
» Ou bien, pour amuser la riche oisiveté,

» Le plaisir sur ses pas est toujours aposté,

» Escorté des présents, des jeux, des sérénades,

» Des théâtres, des bals, des folles mascarades.

. Ainsi l'homme couvert de nuages épais,

» Vit dans le faux bonheur d'une trompeuse paix ;
» Sans regarder le terme où finit son voyage,
» Il s'occupe des biens placés sur son passage;

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