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» voit que 21 ans lorsqu'il fit la pièce où le nom de Rollet » est employé, et ce nom flétri en ce temps-là par une in» formation publique, estoit devenu tellement le synonime de fripon parmi ses confrères, que cette expression passoit déjà en proverbe dans le public. Il n'en arrivera jamais » ainsi du titre de censeur sauvage que vous lui appliquez. » Et je vous avouerai que le principal motif qui m'a engagé » à vous écrire aussi librement que j'ai fait à ce sujet, est la crainte qu'on ne retorque contre vous, quand vos ou» vrages paroîtront en corps, l'accusation que vous faites » contre lui, car de tourner en ridicule des poètes ridicules, » de fronder des romans, des opéras, des vers d'amoureux » et d'autres balivernes de cette nature, capables de corrom» pre le cœur aussi bien que l'esprit, cela ne passera ja» mais pour une médisance parmi les gens qui pensent; » mais de taxer de médisance un homme en possession de la » vénération publique, et à qui la France a l'obligation du » goût qui la distingue de toutes les nations de l'Europe. Pardonnez-moi, monsieur, si je dis que les gens sages de » votre siècle et de la postérité où vos ouvrages ne sauroient › manquer de parvenir, ne vous le passeront jamais. Ajoutez » à cela que tous ces malheureux auteurs pour qui vous té>moignez tant de compassion, ont esté eux-mêmes les aggresseurs de M. Despréaux, qui n'a jamais répondu à leurs » invectives et à leurs calomnies que par des plaisanteries, » telles que vous les voyez répandues dans la IX. Satire et » dans tout le reste de ses ouvrages, qui certainement n'ont ⚫ rien de sauvage ni qui puisse mettre le lecteur en mauvaise » humeur. Pardonnez-moi encore une fois la franchise avec laquelle je vous parle, et qui ne provient que de la tendre » et cordiale amitié que votre mérite m'a inspirée, et de

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» l'intérest sincère que je prends à votre gloire, qui m'est

plus chère que la mienne, personne, je vous jure, n'es

⚫ tant avec une passion plus véritable et une estime plus par

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faite que je le suis, monsieur, votre très-humble et très

obéissant serviteur.

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Signé: ROUSSEAU. »

Rousseau était d'autant plus intéressé à défendre, dans écrivains de son temps, qu'il venait de faire paraître les trois cette circonstance, la conduite tenue par Boileau envers les avec beaucoup d'acrimonie dans celle adressée au Père BruEpitres dont j'ai parlé plus haut, et qu'ayant attaqué Voltaire sur l'exemple de Despréaux, pour justifier les écarts de sa de deux jours, il ressentait d'avantage le besoin de s'appuyer moy, en poussant l'hyperbole jusqu'à l'appeler un rimeur plume qui provoquèrent malheureusement, comme nous l'avons vu, cette diatribe attribuée à Voltaire, et dont la véhémence dépassa toutes les bornes imposées à la critique lit

téraire.

Gresset n'ayant pas donné une édition de son Épître à ma muse, postérieure à celles de 1736, le retranchement du passage sur Boileau, qu'exigeait Rousseau, n'a jamais eu lieu.

L'automne de l'année 1736 venait à peine de faire jaunir les ombrages du magnifique parc de Chaulnes, dessiné par Le Notre, que Gresset, dont la muse était inépuisable, livrait encore à la presse son Epitre écrite de la campagne au Père ***, que Prault cependant ne donna au public qu'en 1737 (1).

On ne fut pas long-temps à savoir que les trois étoiles représentaient le nom du Père Bougeant, et que la date du 20 novembre, précédée des deux lettres A. C ***, voulait dire que cette épître avait été terminée vers l'époque indiquée au château de Chaulnes (2),

(1) Paris, in-12 de 32 pages.

(2) Mon ami, M. Beuchot, dans ses notes manuscrites sur Gresset, qu'il a bien voulu mettre à ma disposition, pense que ce C*** désigne Chiverni, terre près de Blois, dont on lui a mandé que les jardins ont été dessinés par Le Notre.

Cette épître, quoiqu'inférieure peut-être à la Chartreuse, » dit M. de Wailly, en a cependant toute la richesse et le » brillant coloris (1). »

L'opinion émise par le parent et l'ami de Gresset, fut également celle de l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité, qui rédigeait en chef, à cette époque, une feuille littéraire (2), dans laquelle, essayant de donner à la critique des balances à peu près égales, il crut pouvoir exécuter facilement ce projet, en exprimant toujours ses jugements avec un certain air de politesse et au moyen de termes mesurés, que ses confrères n'employaient pas ordinairement ; mais l'amour propre des auteurs, et surtout le genus irritabile vatum, furent rarement satisfaits des décisions du Pour et Contre. L'abbé Prevost disait donc à ses contemporains (3):

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« Après quelques vents contraires, tels qu'il ne s'en élève » que trop dans l'océan littéraire, elle vient de paraître heu» reusement pour ne plus ressentir que le zéphir de la fa» veur (4) et des applaudissements. Rappelez-vous les éloges qu'on a donnés aux plus beaux endroits de la Chartreuse, » et ne craignez pas de les accorder, presque sans exception, » à toutes les parties de la nouvelle épître. Peut-être quel» que juge sévère qui ne voudra point d'esprit d'enjouement » et de grâces, sans ordre et sans régularité, reprochera-t-il » au poète de s'être livré aux caprices d'une muse un peu volage. Je veux dire qu'on pourrait se plaindre de ne pas » trouver le dessein de la pièce assez marqué, et qu'elle paraît manquer par conséquent d'une certaine unité. Mais

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J'ai tout licu de croire que ma conjecture en faveur de Chaulnes est beaucoup plus probable, puisque Gresset y passa une partie de l'année 1736.

(1) Lettre à d'Alembert.

(2) Le Pour et Contre. - Paris, Didot, 1733 à 1740; 20 vol. in-12. (3) Tome XI, page 21.

(4) Mots soulignés par l'abbé Prevost.

» ne cherchons point si scrupuleusement des règles où l'on » nous prodigue des beautés... »

Après une citation, le critique ajoute :

« Du feu, de la vie, le molle et le facetum joints à toute la » chaleur qui respire encore, suivant l'expression d'Horace » dans les Chansons de la Muse OEolienne; voilà ce qui assure » à M. Gresset les acclamations de tous les partisans d'un si » bon goût. Ajoutez-y une diction ordinairement pure, élé>> gante, et une versification beaucoup plus exacte que celles >> de Lafare et Chaulieu, ses modèles. »

L'abbé Desfontaines fut plus sévère au sujet de cette Épître (4).

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« C'est encore ici, dit-il, comme dans l'Epitre à ma Muse, un tableau de la vie molle et oisive; l'auteur ne tarit pas sur ce voluptueux sujet, la liberté, l'indifférence, la pa»resse, et une certaine aimable ignorance dont il fait un

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éloge singulier, lui auront d'étranges obligations de vouloir >> bien leur consacrer ainsi sa personne et son talent. Les » vers de M. Gresset paraissent néanmoins composés avec un » soin, et quelquefois avec une espèce de contrainte, qui » s'accordent difficilement avec la paresse et la liberté. Quel » qu'estimable que soit sa versification, dont le style énergique et représentatif a quelque chose d'original, je ne puis » m'empêcher de dire ici avec cette honnête liberté que le >> goût autorise, qu'épris du tour nombreux, il néglige trop la précision et la clarté : les propositions incidentes accu» mulées s'embarrassent quelquefois dans ses périodes lon>> gues et traînantes, et, en général, son ouvrage, semé de >> plusieurs traits admirables, est plus brillant que léger. >> C'est par des vers qui semblent avoir gémi long-temps sur » l'enclume qu'il nous peint la molesse, l'indolence, les ris

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(1) Observations sur les Ecrits modernes, tome VII, p. 265.

et les jeux. D'ailleurs on n'aperçoit dans la pièce nouvelle ■ aucun but: Ce sont de jolis riens qui ne conduisent à » rien. »

Pour justifier la rigueur de sa critique, Desfontaines s'appule principalement sur cette raison, qu'il serait triste de voir un génie aussi heureux abandonné aux appas de la flatterie et à la séduction du mauvais goût; puis, pour mettre un peu de baume sur la blessure du poète, il ajoute :

« Mais si la sévérité intègre de la critique doit toujours, » suivant les lois de la politesse être tempérée, autant qu'il » est possible, par la douceur de quelques louanges équitables, est-il difficile d'en donner de cette sorte à M. Gresset? » pourrait-on se refuser à l'élévation de son esprit, aux agréments de son imagination, au choix heureux de ses ⚫ termes expressifs, à la délicatesse de son pinceau, à la har⚫diesse de ses traits, à la vivacité de ses couleurs, enfin ( ce » qui est très-remarquable) à l'honnête homme peint dans » tous ses écrits, et en particulier dans celui-ci. »

Desfontaines cite ensuite différents passages de l'Épître, pour justifier les éloges que sa plume vient de tracer, et principalement la tirade si touchante dans laquelle Gresset déplore la perte de son généreux bienfaiteur, l'évêque de Luçon,

perte d'autant plus sensible à tous les gens de lettres, » d'esprit et de goût, dit le critique, que la grandeur offre peu de Bussis.... »

L'opinion de J.-B. Rousseau sur cette Épître est d'autant plus remarquable, que la critique s'y trouve déguisée sous la forme de conseils, qui nous ont valu, sans doute, la belle composition du Méchant.

Bruxelles, le 4 février 1737 (1).

« Je n'ai reçu que ce matin, monsieur, la lettre que vous » m'avez fait l'honneur de m'écrire le 24 de l'autre mois.

(1) L'adresse de cette lettre porte: Rue des Bons-Enfants, à l'hôtel de Calais.

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