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les carrefours & cafés de Paris, quelquefois même dans le monde, pour fe répandre dans le parterre & dans les loges, & pour blâmer ou applaudir au gré de celui qui l'affemble. On peut juger des lumieres d'un ficcle par le plus ou moins d'afcendant que la cabale amie ou ennemie a pris fur l'opinion publique, & par l'efpace de tems qu'elle a foutenu de mauvais ouvrages, ou qu'elle en a déprimé de bons. Le chef d'une cabale amie eft ordinairement un connoiffeur, un amateur qui veut être important, & n'eft fouvent que ridicule. Le chef de la cabale ennemie eft prefque toujours un envieux, lâche & bas, mais ardent, & doué d'une éloquence populaire; il parle avec facilité, il pronon ce; il décide, il tranche; if annonce avec impudence qu'il connoît ce qu'il n'a point vu; ou s'il ne peut médire de l'ouvrage. il déclame contre l'auteur, l'accufe d'orgueil, d'infolence, & le peint quelquefois des plus noires couleurs, afin de le rendre odieux. J'ai oui parler, continue l'auteur, dans ma jeuneffe,d'une fcene qui peut ner l'idée de cette efpece de ligueurs. Dans un café que les gens de lettres fréquentoient alors, un de ces chefs de cabale, fe déchaînoit contre le jeune poëte dont on alloit jouer la piece. L'un de ceux qui l'écoutoient, lui demanda s'il connoiffoit set homme. Affurément, dit-il, je le con

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nois, & je m'intéreffois à lui; mais fa présomption opiniâtre me l'a fait aban donner. La piece qu'il donne aujourd'hui, il me l'a lue je lui en ai montré les défauts; mais ileft fi plein de lui-même, qu'il n'a rien voulu corriger. J'ai eu tort, lui répondit le jeune homme; mais, Monfieur, ce n'eft pas affez de connoître les gens, il faut les reconnoître.

Du refte, dans un ficcle où le goût eft formé, ces cabales fi effrayantes pour de jeunes poëtes ne leur font du mal qu'un moment; jamais un bon ouvrage n'y a fuccombé, & c'eft ce que doivent fçavoir ceux qui entrent dans la carriere, pour n'être point découragés. La cabale en faveur des talens médiocres, ne leur eft guere plus utile; elle les foutient quelques jours; mais ils retombent avec elle, & à la longue rien ne peut empêcher l'opinion publique d'être jufte, & de marquer à chaque chofe le degré d'admiration, d'eftime ou de mépris qui lui est dû. ( Idem.)

Œuvres de Bernard Palify, revues fur les exemplaires de la bibliotheque du roi, avec des notes. Par MM. Faujas de Saint-Fond & Gobet. In-8°. A Paris, chez Ruault. 1777. (Prix, broche en carton, 12 liv.)

A chymie réduite en art, & la phyfi

jours, une grande révolution dans l'hiftoire naturelle: à l'aide d'obfervations multipliées & conftantes, une nouvelle fcience a été créée. Mais les premiers pas des hommes de génie qui ont ouvert la carriere dans tous les arts, dans toutes les fciences, font prefque toujours effacés par ceux qui les fuivent, & qui, faifissant facilement leurs découvertes, s'emparent de leur gloire; telle étoit la deftinée de Palify, lorfqu'enfin fes idées, après avoir dormi près de cent ans, fe font éveillées dans l'efprit de plufieurs fçavans, & ont fait la fortune qu'elles méritoient; heureux d'avoir trouvé dans M. de Fontenelle, un philofophe qui fentît fon mérite, lui rendît juftice, & fît revivre fon nom: l'édition complette de fes ouvrages, qui manquoit à l'hiftoire naturelle, acheve aujourd'hui de le faire connoître. Ce fut un homme rare, doué d'un génie ob

fervateur, avide de fçavoir, infatigable fait pour concevoir des idées neuves, & pour tout voir par fes yeux. Simple potier de terre, il ne fçavoit ni le grec, ni le latin; mais une paffion décidée pour s'inftruire lui fit chercher dans tout le royaume, les monumens de l'antiquité & de l'hiftoire naturelle; voyageur curieux & attentif, rien n'échappoit à fes regards; dédaignant la fcience des livres, il épioit partout la nature; on eft étonné de l'étendue de fes connoiffances, & il ne les devoit qu'à lui-même; né dans le quinzieme fiecle, il ne lui manqua, peutêtre, que d'être né plus tard, pour être le Buffon du nôtre. Il fut le premier qui ofa dire dans Paris, & à la face de tous les docteurs, que les coquilles foffiles, qu'on avoit prifes jufqu'alors pour des jeux de la nature étoient de véritables coquilles, & qu'elles ont été dépofées autrefois par la mer, dans les lieux où elles fe trouvent raffemblées; il foutint que des animaux, & furtout des poiffons avoient donné aux pierres figurées, toutes leurs différentes figures, & il défia hardiment toute l'école d'Ariftote d'attaquer fes preuves. La nature l'avoit formé phyficien & philofophe. Nous ne pouvons mieux faire connoître à nos lecteurs le mérite de cet homme, extraordinaire, qu'en mettant fous leurs yeux l'article intereffant qui le concerne dans l'Encyclopédie..

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Paliffy, qui prenoit le titre d'ouvrier en terre, & d'inventeur des ruftiques figulines du roi, & du connétable de Montmorency, montre dans fes différens ouvrages tant de fagacité, une méditation fi féconde fur les obfervations, une dialectique fi peu commune, une imagination fi heureuse, un fens fi droit, des vues fi lumincufes , que les gens les plus formés par l'etude peuvent lui envier le degré de lumiere auquel il eft parvenu fans ce fecours, & cette tournure d'efprit qui l'a fait réfléchir avec fuccès, non-feulement fur les arts utiles & agréables, tels que l'agriculture, le jardinage, la conduite des eaux, la poterie, les émaux, mais même fur la chymie, l'hiftoire naturelle, la phyfique. La forme même de fes ouvrages annonce un génie original. Ce font des dialogues entre Théorique & Pratique, & c'est toujours Pratique qui inftruit Théorique, écoliere fort ignorante, & indocile, & fort abondante en fon fens ».

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Les éditeurs n'ont rien négligé de ce qui pouvoit intéreffer la curiofité, soit au fujet de la perfonne, foit fur les écrits de Paliffy. M. de Saint-Fond eft auteur des fommaires qui font à la tête des dialogues, ainfi que des obfervations fur la marne, de l'effai fur la terre figillée, & de toutes les notes diftinguées par une lettre initiale; M. Gobet, fecrétaire du con-. feil de Mgr. le comte d'Artois, a fourni

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