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un peu plus loin la charrette entra dans les anciens chemins, encore tout coupés de mollières, de trous remplis d'eau et de profondes ornières. Force fut au conducteur de se diriger lentement et avec la plus grande prudence au milieu de ces obstacles. Heureusement le maître et le cheval connaissaient assez la route pour se conduire mutuellement les yeux fermés par la seule impulsion d'un souvenir presque instinctif. Le père Brévin cependant jetait de temps en temps un regard contrarié sur le ciel assombri de grands nuages, qui ne laissaient voir ni le scintillement encore froid des étoiles, ni la clarté douteuse qui précède le lever de la lune ou suit le coucher du soleil.

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Je crois que nous allons avoir de la pluie, dit-il, mais faut espérer que nous serons rendus chez nous auparavant. C'est gênant de n'avoir pas de lune. La nuit est noire en diable!

- Elle serait levée que nous ne pourrions la voir, répondit Rose; le ciel est si couvert! Nous sommes bien en retard! Il aurait mieux valu rester moins longtemps chez Jouault.

Bah! bah! reprit le bonhomme sans vouloir convenir de ses torts, nous ne sommes pas les seuls par les chemins à cette heure-ci, sans compter les pêcheurs qui embarquent justement quand les autres se couchent. J'ai mené le métier dans ma jeunesse, vois-tu ; c'est pourquoi je ne crains pas l'obscurité si fort que tant d'autres.

Je pense pourtant que vous êtes content d'avoir quitté cet état-là, reprit Rose; tous ceux qui le mènent se plaignent de travailler trop rudement pour peu de profit.

-Bah! dit encore le bonhomme, excepté le métier de bourgeois, il n'y en a guère où il ne faille travailler dur pour gagner son pain. Un pêcheur courageux et ménager peut mettre de l'argent de côté tout comme un autre. Ils ont toujours à dire que nous vendons leur poisson à Nantes plus cher que nous ne leur payons. - Nous ne les volons pourtant pas. Est-ce qu'il n'y a pas des pertes à subir, le cheval à nourrir, la carriole à payer, et nos peines, nos soins, notre argent à risquer? - Et cependant ils se plaignent tous si fort qu'il

n'y aura bientôt plus de pêcheurs à Passay, si ça continue. Les fils abandonnent le métier de leurs pères; on en voit qui veulent devenir poulaillers sans avoir seulement un sou vaillant, les autres prennent des états. On m'a dit à l'auberge tout à l'heure qu'André Lécuyer y avait passé ce soir, allant en Bretagne où il est embauché pour un an.

Dans ce moment, la petite charrette descendit dans un trou, d'où le cheval eut quelque peine à la tirer, malgré les coups de fouet et les encouragements de son maître, et le père Brévin attribua à cette violente secousse le léger tremblement de la voix de la jeune fille pendant qu'elle répondait.

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- Pour trois mois seulement, mon père, à ce qu'on m'a dit à moi. Dans ce temps-ci les bons ouvriers ne manquent point d'ouvrage, et je ne pense pas qu'il ait besoin de s'établir hors de la paroisse pour en trouver. - C'est un honnête garçon, que tout le monde aime. Humph! reprit le bonhomme, pendant qu'une nouvelle ornière couchait la charrette presque sur le côté, oui! — On l'aime mieux que son père; mais ça n'est pas beaucoup dire. Jean Lécuyer, le père Gaffou, comme on l'appelle, ne vaut guère. Sa femme, la mère d'André, était meilleure que lui; aussi il lui en a fait voir de rudes à la pauvre défunte! Je ne blâme pas le jeune homme d'avoir quitté son père; le vieux était trop dur. — Pourtant, depuis qu'il n'a plus sa femme et son fils, il va de mal en pis. Il n'y a plus moyen de faire d'affaires avec lui.

(La suite à la prochaine livraison.)

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JULES D'HERBAUGES.

NOTICES ET COMPTES RENDUS

L'ABBÉ JEAN-MARIE DE LA MENNAIS, par l'auteur des Contemporains. -Edition populaire, avec portrait et autographe. - Paris, Bray et Retaux, 1876. In-18. Prix : 0, 80 c.

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Ce petit volume, comme l'indiquent son titre et le nom de celui qui l'a écrit, est une esquisse anecdotique de la vie si utile et si pleine du fondateur des Frères de l'Instruction chrétienne. L'auteur, dans sa dédicace au R. F. Cyprien, supérieur général des Frères, explique comment un séjour prolongé en Bretagne lui a fait connaître l'Institut, et lui a inspiré le regret de n'avoir pas, depuis longtemps, esquissé le portrait de Jean de la Mennais, en regard de celui de Féli, compris dans la première série des Contemporains. C'est de cette pensée qu'est né le petit volume publié aujour d'hui. Il est écrit avec une profonde et respectueuse sympathie, et pour le Fondateur et pour l'Institut des Frères, dans un style vif, et qui convient à l'anecdote familière, qui se retrouve pour ainsi dire à chaque page, recueillie dans les vivants souvenirs des Frères. « C'est, dit l'auteur lui-même, beaucoup moins mon œuvre que celle des élèves, des disciples reconnaissants et des pieux amis que l'abbé Jean de la Mennais a laissés en si grand nombre, non-seulement en Bretagne, dans le clergé de trois diocèses, mais dans la société laïque elle-même. Je n'ai fait que mettre en ordre leurs souvenirs, qu'analyser ou citer textuellement les notes fidèles, les détails authentiques et sûrs, que m'ont fournis le livre si complet de M. Ropartz, l'éloquente oraison funèbre de Mer de Lezeleuc, les Pèlerinages de M. Violeau, et la remarquable étude, publiée autrefois dans le Journal de Rennes, par M. l'abbé Guillou, ancien au

mônier de l'Institut de Ploërmel, maintenant archevêque de Portau-Prince. »

Ce petit livre aura, particulièrement en Bretagne et dans les autres pays où s'est répandu l'Institut des Frères, un succès populaire; c'est un crayon fidèle, qui ne saurait sans doute remplacer le portrait historique peint avec tant de soin et de vérité par M. Ropartz, et les études de Mer de Lezeleuc, de M. Hippolyte Violeau, de M. de la Gournerie; qui, au contraire, donnera à tous le désir de connaître, et dans ses grandes lignes, et dans ses œuvres vivantes, une des figures les plus vénérables et les plus sympathiques du siècle.

LOUIS DE KERJEAN.

LA VIE, LES MIRACLES ET LES ÉMINENTES VERTUS DE SAINT BRIEUC, premier évesque de l'évesché appelé de son nom Saint-Brieuc; ensemble la translation des reliques dudit saint Brieuc, plus les remarques et observations nécessaires pour l'intelligence d'aucunes difficultez qui se trouvent en cet œuvre, par L.-G. de la Devison, chanoine en l'église cathédrale de Saint-Brieuc. A Saint-Brieuc, par Guillaume Doublet, imprimeur et libraire, 1627. Réimprimé par L. Prud'homme, 1874, in-12 de xvij-224-46, pp., avec une lettre-préface de Mer David.

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LA VIE, LES MIRACLES ET LES ÉMINENTES VERTUS DE SAINT GUILLAUME, évesque de Saint-Brieuc, par L.-G. de la Devison, chanoine en l'église cathédrale de Saint-Brieuc. A Saint-Brieuc, par Guillaume Doublet, imprimeur et libraire, 1627. - Réimprimé par L. Prud'homme, 1874, in-12 de lvj. 220-18-10 pp., avec une préface de M. S. Ropartz.

M. Ludovic Prud'homme, en prenant la succession des affaires de son père à la tête de l'établissement d'imprimerie qui honore depuis plusieurs générations la ville de Saint-Brieuc, par le soin typographique tout particulier qu'on remarque dans ce qui sort de ses presses, a eu l'heureuse idée de signaler son début dans l'art délicat des Etienne, des Alde, des Elzévirs et des Didot, en réimprimant deux livres rarissimes, édités jadis par son trisaïeul maternel, Guillaume Doublet, imprimeur et libraire à Saint-Brieuc. Cette

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réimpression a d'autant plus d'à-propos, que les deux livres dont nous avons reproduit plus haut le titre exact, avaient été écrits par un chanoine du diocèse, et qu'ils racontent la vie de deux saints qui ont illustré le siége épiscopal de la cité briochine. Aussi Mgr David, qui a bien voulu accepter la dédicace de cette nouvelle édition, pour laquelle il a écrit une lettre-préface fort spirituelle, a-t-il eu raison de dire que c'est là une œuvre doublement religieuse et patriotique. En conservant au livre sa forme typographique primitive, en reproduisant le style, l'orthographe, le format, les notes marginales, etc., M. Prud'homme a, de plus, fait revivre la physionomie authentique de l'œuvre, et les bibliophiles lui en sauront beaucoup de gré. Cette forme s'harmonise bien avec la touchante naïveté du bon chanoine La Devison, qui n'apporte pas dans la critique historique la méthode exacte et raffinée des Bollandistes et des Bénédictins, mais qui, « par un délicieux mélange de piété, de savoir et de candeur » (ce sont les paroles mêmes de Mer David), nous offre une lecture des plus attachantes.

Louis Fromet de La Devison, dit M. Ropartz dans l'excellente et substantielle notice qu'il a écrite, avec son érudition ordinaire, pour la Vie de saint Guillaume, a eu cette mauvaise ou peut-être cette bonne chance, que, jusqu'à la présente réimpression, ses livres étaient absolument introuvables: lui-même est resté fort inconnu, et toutes les recherches de M. Ropartz pour découvrir éxactement le lieu et la date de sa naissance ont été infructueuses. Il est néanmoins probable qu'il naquit dans la paroisse de Saint-Brieuc-deMauron, aujourd'hui du diocèse de Vannes, vers l'année 1573. On ne sait rien de sa jeunesse, et le premier document officiel qui parle de lui est la date de sa réception au chapitre de Saint-Brieuc, le 9 mai 1621, qu'il quitta en 1627, pour devenir simple recteur de Romagné, près Fougères, où il écrivit une vie de sainte Anne, suivie d'un traité des miracles. Mais nous ne voulons pas déflorer la savante étude de M. Ropartz sur le bon chanoine: c'est un véritable voyage à la découverte au travers de pays complétement inconnus, effacés de la carte par la poussière des vieux parchemins; c'est un véritable modèle de biographie consciencieuse, où la patience du

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