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deaux, c'est la généralité des citoyens de cette ville qui viennent vous retracer les calamités qui affligent la Martinique,et solliciter les secours que l'humanité réclame de votre justice. La position des colonies empire chaque jour : Saint-Domingue est dans une agitation générale. La Martinique est plongée dans la plus grande désolation. Les secours que vous avez décrétés ne sont pas encore partis. Les vaisseaux armés depuis longtemps dépérissent dans l'inaction. Les ennemis de la Révolution s'applaudissent de leurs succès. Toute la France est étonnée du peu d'intérêt que l'on met à une affaire aussi importante. On serait tenté de croire qu'on se fait un jeu barbare du massacre de nos frères et de la ruine de la métropole.

Le prédécesseur du ministre actuel, pressé d'envoyer des forces pour rétablir l'ordre à la Martinique, avait expédié le vaisseau la Ferme, sous les ordres du sieur de Rivière. D'après ses instructions sans doute, il vient d'y manifester les principes les plus inhumains et les plus coupables. Les pièces ci-jointes vous feront connaîire la conduite odieuse du sieur de Rivière. Vous le verrez refuser d'entendre les députés de tout le commerce de France, qui ne venaient vers lui que comme des amis pour lui porter des paroles de paix. Mais sans les écouter, craignant qu'ils ne vinssent un jour déposer contre lui, à la face de la nation, d'une cruauté réfléchie et sans exemple, vous le verrez envelopper Saint-Pierre du côté de la mer afin d'ôter tout espoir de fuite et de salut à ceux qui auraient pu échapper au fer homicide de leurs assassins. Les malheurs de la Martinique sont peut-être sans remède. Peut-être cette vaste colonie n'offre-t-elle aujourd'hui qu'un vaste monceau de ruines et de cendres. Dans cette perplexité, nous ne pouvons garder le silence. Ce n'est pas notre intérêt personnel, ce n'est plus le désir de conserver à la métropole des richesses dont la perte est peut-être irréparable; c'est la pitié, c'est l'humanité qui nous forcent à vous presser, au nom de la patrie, de la Constitution elle-même, de prendre dans votre sagesse le moyen de faire exécuter, le plus promptement possible, le décret que vous avez rendu les 12 octobre et 27 novembre derniers; de demander l'envoi direct à Saint-Domingue des forces qui sont destinées pour cette colonie. Mais attendu la longueur des armements, le temps nécessaire pour Te départ d'un grand nombre de bâtiments, le peu de vitesse de leur route combinée, la nécessité d'un prompt secours dans la Martinique, la conduite odieuse du commandant de la Ferme, les dangers de toute espèce qui entourent nos frères, nous vous prions, Messieurs, avec la même instance, qu'il soit expédié, sans retard et sur-lechamp, un vaisseau de ligne, chargé de porter vos décrets et les ordres du roi dans cette île infortunée, sous le commandement d'un capitaine connu par son dévouement à la Constitution, et revêtu d'une mission particulière, pour soustraire cette île aux ordres sanguinaires de M. de Damas, et y commander en attendant l'arrivée du général et des forces décrétées.

« Enfin nous vous demandons d'ordonner que les sieurs de Rivière et de Damas viennent sans délai vous rendre compte de leur coupable conduite. Ce sont, Messieurs, les seuls moyens qui, dans ces moments de douleur de la colonie, puissent la consoler. (Interruptions.) Il faut qu'on sache partout qu'on ne peut plus attenter impunément à la fortune, à la vie, à la liberté des Français.

« Délibéré en l'assemblée générale du commerce à Bordeaux, le 17 janvier 1791. »

M. Nairae. Voici maintenant, Messieurs, le procès-verbal qui constate les faits dénoncés.

Plusieurs voix: Nous demandons le renvoi au comité colonial.

(Ce renvoi est ordonné.)

M. Nairac. Je demande à lire le procès-verbal.

M. Voidel. Et moi je demande que M. Nairac soit rappelé à l'ordre pour insister contre un décret; le renvoi vient d'être décrété.

M. Nairac. Je demande alors que le comité soit tenu de faire son rapport dans une séance très prochaine.

(L'Assemblée ordonne que le comité fera son rapport jeudi soir.)

M. Dauchy, au nom du comité des contributions publiques. Messieurs, il s'est élevé à Strasbourg une difficulté relativement à un droit, qui s'est perçu jusqu'à ce jour dans cette ville, sous la dénomination de umgelt. Ce droit purement féodal dans une partie de l'Alsace a été supprimé par vos décrets; mais sous ce même nom, il se perçoit un autre droit non pas purement féodal, mais en grande partie domanial.

Vous avez, par votre décret du 29 septembre dernier, prorogé la perception de tous les octrois au profit des villes, communautés d'habitants et hôpitaux. Nous avons cru que la perception de ce droit devait également avoir lieu à Strasbourg pour la partie qui n'était pas féodale. La municipalité et le département en font la demande expresse.

Nous vous proposons, en conséquence, le décret suivant:

« L'Assemblée nationale, vu les pétitions de la municipalité et du conseil général de la commune de Strasbourg, la délibération de l'administration du département du Bas-Rhin, et sur le rapport de ses comités des finances et des contributions publiques, décrète :

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Que jusqu'au moment très prochain où le nouveau régime des contributions publiques sera établi, la commune de Strasbourg est autorisée à faire percevoir à son profit, sur le débit en détail des boissons, la moitié des droits perçus jusqu'à l'époque de la suppression du droit de umgelt. »

(Le projet de décret est adopté.)

M. de Tracy. Je demande à rendre compte en deux mots à l'Assemblée d'un fait dont elle sera satisfaite d'être instruite et je la prierai de renvoyer l'affaire au comité de Constitution, pour lui présenter ses vues sur la pétition à laquelle elle donne lieu. C'est le procureur syndic du district de Moulins qui m'écrit:

On est pénétré de reconnaissance pour l'Assemblée nationale lorsqu'on considèrè les heureux effets de l'établissement des bureaux de paix. C'est un bienfait inestimable pour les peuples. J'ai vu avec attendrissement différentes séances où cinquante particuliers, tous sur le point de s'entr-égorger, faute de s'entendre, se sont conciliés; et, du train dont cela va ici, il paraît constant que les juges de district auront peu d'affaires dans les grandes villes et seront presque sans fonctions pour la majeure partie :

dès le mois prochain, il n'y aura pas vingt instances.

« Le préambule est pour vous inviter à proposer à l'Assemblée qu'on adjuge aux juges conciliateurs le salaire d'un commis scribe. Il est inpossible que le secrétaire tienne aux expéditions à donner, et, à défaut de ce secours, les honnêtes gens chargés du mandat honorable tendant à empêcher leurs concitoyens de se ruiner, se trouveraient forcés dans les grandes villes à renoncer au métier. »

Messieurs, j'ai été charmé de pouvoir vous dire cette bonne nouvelle; et, quant à la résolution à prendre, je supplie l'Assemblée de m'autoriser à renvoyer cela au comité de Constitution.

(L'Assemblée décrète ce renvoi.)

M. le Président fait part à l'Assemblée d'une lettre de M. de Lalonde, de l'Académie des sciences, à laquelle se trouve joint un mémoire sur l'Afrique.

(L'Assemblée en ordonne le renvoi à son comité d'agriculture et de commerce.)

M. Leleu de la Ville-aux-Bois. J'ai reçu de la commune de La Fère, département de l'Aisne, l'adresse suivante dont je vais donner lecture à l'Assemblée (1):

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Messieurs, vous avez fait entendre la voix de la raison, et la nation française est libre. Vous avez renversé d'une main hardie l'ouvrage de l'orgueil et du despotisme. Vous avez aboli les droits honteux acquis par l'usurpation, maintenus par la force et qui ne présentaient au peuple que l'idée flétrissante de la servitude; vous avez reconnu les droits éternels que la nature a donnés à tous les hommes, et posant les bases de notre Constitution sur des fondements inébranlables, Vous avez rendu au titre de citoyen sa dignité, qu'un esclavage de 13 siècles semblait lui avoir ravie.

Voilà vos titres à la reconnaissance de ceux que l'amour de la patrie enflamme, de ceux qui connaissent le prix de la liberté, et qui, fiers d'exister actuellement sous un gouvernement qui la leur assure, vivront pour la maintenir, et sauront mourir pour la défendre.

Il suffit de porter les yeux sur vos travaux pour apprécier les obstacles sans nombre que vous avez eu à surmonter; environnés de dangers toujours renaissants, vous les avez prévus et bravés, vous avez déjoué les manoeuvres de l'intrigue; rien, enfin, n'a pu lasser votre courage; la pensée que vous travaillez au bonheur d'une grande nation vous a toujours soutenus, et, certes, rien ne pouvait arrêter des hommes pénétrés de cette sublime idée.

« Recevez les hommages de la commune de La Fère, et son adhésion entière à vos décrets. Persuadée que la liberté consiste dans l'obéissance absolue aux lois émanées des représentants du peuple librement choisis, elle renouvelle aujourd'hui le serment qu'elle a prêté le 14 juillet dernier, d'être fidèle à la Constitution et de la défendre jusqu'au dernier soupir.

Nous ne pouvons, Messieurs, terminer cette adresse, sans vous faire connaître le patriotisme des ecclésiastiques fonctionnaires publics de cette commune. Ils se sont tous empressés de prêter

(1) Nous empruntons ce document au journal Le Pointdu-jour, t. XVIII, p. 343.

authentiquement le serment de fidélité à la Constitution; plusieurs, même, avaient prévenu votre décret; nous rendons tous aujourd'hui solennellement hommage à leur patriotisme, que l'esprit de la religion qui les anime a plutôt affermi que détruit chez eux. »

L'ordre du jour est la discussion du projet de décret sur les droits de traites, présenté par les comités d'agriculture et de commerce et des contributions publiques (1).

M. Goudard, rapporteur (2). Messieurs, j'ai rendu compte des objets compris dans le tarif des traites qui avaient éprouvé quelques discussions dans les deux comités réunis d'agriculture et de commerce et des contributions publiques. Je demande à l'Assemblée s'il y a quelques membres qui aient des observations à présenter?

M. Nairac. Messieurs, quoique vous ayez déterminé un ordre de discussion du tarif des traites, je ne crois pas que vous ayez prétendu exclure les observations que l'on peut faire sur le tarif en général.

M. Rewbell. Je demande à faire une observation sur l'ordre de la discussion.

Le tarif est une branche du revenu public trop compliquée pour pouvoir être approfondie dans les circonstances actuelles, où tout nous impose la loi de décréter un tarif provisoire quelconque et de laisser à l'expérience des législatures qui nous suivront le soin de réformer ce qui sera vicieux.

Ainsi, je demande que la discussion ne porte pas sur l'ensemble du tarif.

M. Goudard, rapporteur, donne lecture de l'article relatif aux charbons de terre, qui est ainsi conçu :

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Nous sommes arrivés, du moins je le crois, au moment où nos marchands, secouant la honte d'avoir été aussi peu industrieux, et d'avoir si mal profité de l'avantage que leur position leur donne sur les manufactures étrangères, ne voudront plus devoir à la fiscalité ce que l'ardeur et l'industrie peuvent leur procurer. Il est de fait qu'un manufacturier,occupé en partie et favorisé par la prohibition, ne se donnait aucune peine ni aucun mouvement pour étendre sa manufacture.

Je proposerai quelques observations particulières sur le tarif. Cette discussion sera aride, mais il s'agit ici des manufactures, de l'intérêt de votre agriculture et de votre commerce; et l'Assemblée sent depuis longtemps combien ces objets sont dignes de son attention; je me renfermerai dans la classification.

Je commence par l'article du charbon de terre. Nous avons beaucoup d'excellentes mines de charbon dans plusieurs de nos anciennes provinces et particulièrement dans le bas Languedoc et dans le Quercy; ces mines ne sont point exploitées, quoique susceptibles de l'être. Malgré les bonnes qualités de leurs charbons, ces exploitations ne sont point faites, parce que dans l'hiver les chemins qui conduisent à ces mines sont impraticables, et que dans l'été les eaux des rivières sont si basses qu'elles ne peuvent pas porter de bateaux. Ces deux inconvénients, auxquels on aurait pu remédier avec 600,000 livres, s'opposent à la descente des charbons à Bordeaux où il s'en fait une très grande consommation. La ville de Bordeaux, ne pouvant se dispenser de se servir de charbón, en tire de l'Angleterre qui, par là, entretient une navigation de 200 vaisseaux destinés uniquement à les importer, et il sort annuellement pour cette fourniture, un million de Bordeaux qu'il serait très aisé de faire gagner aux provinces qui avoisinent cette ville. Il y a lieu de croire que l'Assemblée prendra ces objets en considération, lorsque le comité d'agriculture et de commerce lui fera son rapport sur les mines du royaume.

Le comité propose un droit de 6 livres sur le charbon par tonneau de 22 quintaux, jusqu'à ce que les choses aient changé de face, et que nos mines soient en une activité réeile. On doit regarder le charbon de terre comme matière première nécessaire à nos raffineries, à nos verreries, à la forge. Je demande donc à cet égard que le droit soit supprimé ou du moins soit extrêmement réduit à ce titre nous devons avoir la préférence. On doit d'ailleurs déterminer le poids en tout ou en partie autrement que par tonneau de 22 quintaux, Je demande, en conséquence, que l'on change aussi la manière de percevoir sur cette marchandise.

M. Goudard, rapporteur. Nous avons pensé que l'augmentation du droit sur le charbon favo risait l'exploitation de nos mines, sans empêcher nos manufactures de s'en fournir pour leur besoin.

M. Nairao. Je répondrai à M. le rapporteur qu'il n'est pas ici question de l'intérêt des mines, et que d'ailleurs il n'y a pas de mines qui fournissent du charbon de terre à Bordeaux,

M. Roussillon. J'observe à M. Nairac qu'il se trompe en disant qu'il n'y a pas de mines qui fournissent de charbon à Bordeaux, et que ce serait nécessairement détruire cette exploitation que de vouloir supprimer le droit modique de 6 livres imposé sur le charbon venant de Tétranger. Le

comité s'est attaché à mesurer ce qui convenait nos manufactures et à l'exploitation de nos mines. Dans l'Albigeois, il est très vrai qu'il y a des mines de charbon même très abondantes; mais l'exportation à Bordeaux ne peut se faire commodément parce que la rivière n'est pas navi. gable. Vous ne pouvez encourager vos manufactures qu'en adoptant le plan du comité.

M. Goudard, rapporteur. L'opinion de M. Nairac ne ne paraît pas fondée, parce qu'il est fort aisé de mesurer la contenance des bâtiments et de l'évaluer à 2,200 livres par tonneau. Dans la différence du droit, nous avons distingué les provinces qui peuvent être facilement approvisionnées d'avec celles, dont l'approvisionnement coûte beaucoup de frais de transport. C'est pourquoi, d'une part, nous avons mis le droit à 6 livres et, de l'autre côté, à 10 livres. Nous proposons même d'exempter les départements de la Meurthe et de la Moselle, parce qu'ils ne pour raient pas être approvisionnés de charbon sans des frais considérables.

(L'article du comité est adopté.)

M. Goudard, rapporteur, donne lecture de l'article relatif aux soles:

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M. Goudard, rapporteur. Quoique les soies étrangères soient nécessaires à nos manufactures, nous avons cru devoir les assujettir à un impôt modique, car on se rappelle que les soies payaient 22 sols.

Seulement nous observons que l'Assemblée doit prendre en considération les torts que cela peut occasionner à la ville de Lyon qui avait payé, comme je l'ai déjà dit dans mon rapport, 18 millions pour ce droit.

M. Germain. J'applaudis aux dispositions de notre comité; je voudrais seulement que les fleurets qui s'emploient dans les étoffes communes soient réduits à 5 sols,

(L'article du comité est adopté.)

M. Goudard, rapporteur, donne lecture des ar ticles relatifs aux huiles; ils sont décrétés comme suit:

Huiles de poissons.

« Les huiles venant de tous autres pays que les Etats-Unis d'Amérique continueront d'être prohibées;

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M. Goudard, rapporteur. Les fabricants d'aciers de Rives, dans le département de l'Isère, demandent l'entrée des gueuses de Savoie en franchise. Ce qui a décidé le comité, c'est que les fabricants de fer du Hainaut ne pourraient pas soutenir la concurrence avec les autres fabriques du royaume, s'il y avait le moindre droit sur les gueuses qu'ils sont obligés de tirer de l'étranger.

M. d'Aubergeon de Murinais. J'approuve très fort le projet du comité, qui veut que les gueuses ne payent aucune entrée dans le royaume. Il est très nécessaire que nous fassions entrer des fers en gueuse de matière première sans aucune espèce d'impôt.

Mais, d'un autre côté, je crois très utile de forcer un peu les droits d'entrée sur les fers en verges et en barres. Le droit proposé est trop modique; pour ménager les Anglais et faire gagner quelques-uns de nos commerçants, on oublie, on sacrifie les intérêts de tous les maîtres de forge du royaume, et, par contre-coup, le véritable intérêt du peuple français.

M. de Boislandry soutient la disposition présentée par le comité et invoque, à l'appui de son opinion, le traité passé avec l'Angleterre.

M. de Custine. Je me rends aux raisons de M. de Murinais. Le traité de commerce de la France avec l'Angleterre ne peut point servir de règle à l'égard de toutes les autres nations. Ce traité a encore 7 années à durer, au bout desquelles il expirera, et alors les Anglais reprendront le tarif que vous aurez fait pour toutes les nations; et il est très essentiel, et pour la perfection de votre minéral en France, et pour l'exploitation de mines de fer qui peuvent plus qu'aucune autre, contribuer à la richesse de la nation, de mettre un taux plus haut au tarif de leur entrée dans le royaume, et je demande, en conséquence, que le droit porté sur le minéral d'Angleterre soit au moins triple de ce qu'il est porté sur le tarif.

M. Roussillon. C'est surtout dans les fers en barres, rondins, feuillards qu'il faut favoriser nos fabriques, sans écraser de droits les fers qui nous viennent de l'étranger, lorsqu'ils nous sont nécessaires. Je pense qu'il faudrait porter le droit à 2 livres sur les fers en barres, et à 21. 10 s. sur les fers en verges, y compris la marque des fers.

(L'amendement est adopté.)

Un membre propose une exception en faveur des plombs.

(Cet amendement n'est pas adopté,)

L'article est décrété comme suit :

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M. Lavie. L'article des huiles de poissons a été traité dans un moment où il y avait tant de bruit que je vous jure qu'on n'a rien entendų. Je demande que l'article soit rapporté, parce qu'il fait une lésion énorme à notre commerce et à nos pêcheries. On a permis par cet article-là d'entrer à 3 livres le quintal des huiles étrangères. Nous avons abandonné par là toute la pêche aux Hollandais. Nous devons être Français avant d'être Alsaciens : ce sont les députés du commerce de l'Alsace qui l'ont emporté dans le comité. Je sais que ma province trouvera à redire à ce que je dis; mais c'est mon devoir, et je le fais en présence d'Alsaciens. (Applaudissements.)

M. Bégonen. J'ai quelques observations à faire, que je crois importantes, sur l'introduction et l'admission dans le royaume, des huiles de baleine et de poissons des Etats-Unis. Je supplie l'Assemblée de m'écouter, elle en fera ensuite ce qu'elle jugera à propos.

Messieurs, la pêche de la baleine était jadis

une des branches importantes de l'industrie et de la navigation française. L'incurie de l'ancienne administration, le défaut d'encouragement et de protection, compensés avec l'activité des Anglais et des Hollandais, et secondant merveilleusement

l'industrie de ces peuples qui prodiguèrent à cette pêche les encouragements et les primes, nous ont fait perdre l'usage où nous étions d'avoir les meilleurs harponneurs de l'Europe et les plus habiles pêcheurs de la baleine. Le parlement britannique surtout a prodigué des gratifications qui se sont quelquefois élevées à 1 million de livres par an sur une branche de commerce qui n'emploie guère en ce pays que 1 million et demi de capitaux, mais qui forme les plus excellents marins.

C'est à l'aide de ces sacrifices qu'elle a conquis cette navigation sur la France, et qu'elle a eu la gloire de donner encore en cette occasion un grand exemple aux nations commerçantes et maritimes.

Notre ministère a du moins senti cette perte et a saisi l'occasion de rappeler en France, s'il était possible, cette branche de navigation. En 1786, il attira les habitants de l'île Nantucket dans l'Amérique septentrionale, très versés dans cette pêche, et les fixa à Dunkerque, sous certaines conditions qui forment un véritable traité entre la France et cette colonie des Nantuckois. Une de ces conditions est l'imposition d'un plus fort droit sur les huiles étrangères, lorsque celles de la pêche des Nantuckois suffirait aux besoins du royaume. C'est sur la foi de ce traité qu'ils se sont transportés à Dunkerque avec leurs familles.

Maintenant pour mettre sous les yeux de l'Assemblée les lois rendues depuis ce temps sur l'admission ou la prohibition des huiles étrangères, le 29 décembre 1787, un arrêt du conseil avait fixé à 7 livres 10 sols par barrique de 520 livres pesant les huiles de baleine spermaceutiques, provenant de la pêche des Etats-Unis d'Amérique avec 10 sols par livre en sus, et à 3 livres 15 sols par quintal les huiles étrangères.

Bientôt, par l'effet de ce modique droit, le royaume fut inondé d'huiles étrangères. Le gouvernement craignit avec raison le renversement de son établissement naissant des Nantuckois à . Dunkerque; il sentit la nécessité de la préserver d'une aussi dangereuse concurrence, et de repousser en conséquence les huiles étrangères, qu'il avait inconsidérément admises. Ce fut l'objet de l'arrêt du conseil rendu le 28 septembre 1788, qui prohiba l'entrée des huiles de poissons et de baleine venant de l'étranger.

Les Etats-Unis, qui se trouvaient compris dans cet ordre, ne se tinrent pas tranquilles. Ils alléguèrent que les huiles nantuckoises ne suffisaient pas encore à la consommation nationale, et sous ce prétexte ils obtinrent, par un arrêt du 16 noyembre, suivant que leurs huiles continueraient à entrer, mais provisoirement, ce qui s'interprète naturellement jusqu'à ce que la pêche nationale établie à Dunkerque pût suffire pour la consommation du royaume. Or, Messieurs, je vous annonce que cette époque est vraiment arrivée. Les pêcheurs établis à Dunkerque ont leur magasin rempli de plus de 2 millions de pesants d'huile de poisson dont ils ne peuvent trouver le débouché, et cette immense provision va être augmentée par 26 ou 27 bâtiments dont ils attendent le retour.

Voilà donc dans nos mains une provision de deux années pour les besoins de nos manufac

tures; et si vous adoptez sous un modique droit, celui de 5 livres par quintal qui vous est proposé, les huiles de la pêche des Etats-Unis, vous allez ruiner vos pêcheurs nantuckois, qui, ne vendant pas le produit de leur pêche, ne pourront réarmer leurs navires; et ne doutez pas que les pêcheurs américains ne soient portés à faire sur leurs huiles tous les sacrifices momentanés que les circonstances pourront exiger, pour contribuer autant qu'il dépendra d'eux à la chute de l'établissement de Dunkerque, qu'ils ne voient qu'avec un œil d'inquiétude et de jalousie, parce qu'il rivalise une branche importante de leur commerce, et qu'il leur indique déjà le terme fatal du débouché de leur pêche en France.

Je vous avoue, Messieurs, que je ne puis concevoir que ces réflexions aient échappé à vos comités, ou s'ils les ont envisagées qu'ils n'aient pas craint de mettre en parallèle l'intérêt des manufactures avec l'intérêt national. Je vous observe, Messieurs, que l'intérêt de vos manufactures est à couvert, que les Nantuckois sont approvisionnés, que déjà íls embarquent un grand nombre de marins qui se forment à leur école; que si la nation a un reproche à faire aux ministres du temps passé, c'est d'avoir laissé perdre cette pêche. Vous vous exposeriez à un double reproche si, méprisant les leçons données par l'expérience, vous la compromettiez de nouveau, et je vous préviens, Messieurs, que pour cette fois ce serait sans retour et sans espoir de le recouvrer jamais.

Je vous observe que le droit de 5 livres que vous propose le comité et la gratification de 50 livres par tonneau de mer accordée aux Nantuckois équivalant à 21. 10 s. le quintal, n'établit en faveur de nos pêcheurs nationaux qu'un faible avantage de 7 1. 10 s. par quintal, incapable de les mettre à l'abri des efforts d'une rivalité infiniment active, entreprenante, jalouse, moins entravée, moins imposée, et par cette double raison moins chère que la navigation française.

Je demande à votre comité des impositions s'il ignore ou s'il sait comment les Anglais traitent les huiles provenant de la pêche des Etats-Unis. Je dois vous dire, Messieurs, que l'Angleterre ne les admet qu'avec un droit équivalant à 24 livres le quintal. Et votre comité ne craint pas de vous proposer seulement un droit de 3 livres par quintal i et observez que ce n'est pas le besoin de la nation ou l'intérêt de vos manufactures qui l'avait conduit à cette funeste condescendance, puisqu'il vous propose de prohiber de pareilles huiles venant des pays étrangers, de la Hollande, des villes anséatiques et autres peuples du Nord.

Je demande au comité si, pendant qu'il est prêt à faire des concessions gratuites aux EtatsUnis, il est informé comment la nation française y est accueillie et traitée? Je vous annonce qu'au mois de juillet dernier, tandis que votre comité caresse ainsi les intérêts des Américains, le congrès a imposé votre navigation comme toutes les navigations des royaumes étrangers. Il s'en faut bien que je blâme une telle mesure, qui tend à favoriser sa propre navigation, que son devoir est de protéger; mais je dis que vous devez pour votre propre intérêt, pour l'intérêt d'une pêche très abondante en France, traiter les huiles des Etats-Unis comme toutes les huiles étrangères. Vous le devez non seulement pour l'intérêt de la chose même, mais encore par des considérations générales et politiques.

Je prévois que la France, tôt ou tard, et peut

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