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des divisions intestines qu'ils se flattaient de le détruire, soit par la force des baïonnettes étrangères, soit par la seule puissance des factions.

Certes, les légitimistes doivent craindre la république autant que les amis du pouvoir actuel; mais il semblait à quelques-uns que cette république redoutable était un moyen de salut pour la cause du droit divin. C'était par les excès qu'entraîne l'usage d'une liberté sans frein qu'ils voulaient dégoûter les peuples de nos institutions sagement libérales; c'était en poussant les principes à leurs dernières conséquences qu'ils prétendaient nous ramener au point de départ. Ainsi, des hommes aveuglés par la haine, et qui, dans l'intérêt de la légitimité, remuaient les passions de la populace, surtout à Paris, n'étaient pas retenus par la crainte de livrer la France aux convulsions de l'anarchie.

Mais il ne faut pas rendre tout le parti solidaire de ces odieux calculs : ce serait de l'injustice. Il y a, parmi les légitimistes, beaucoup d'hommes honorables, trop attachés à leur pays pour s'associer à ces manœuvres criminelles.

Les machinations étaient l'œuvre de partisans exaltés et d'intrigants qui, dans toutes les circonstances analogues, usurpent la mission d'agir au nom de leur cause, et souvent la compromettent au lieu de la servir utilement.

D'ailleurs, ce n'était guère qu'à Paris qu'elles pouvaient se pratiquer; sur les autres points, c'està-dire dans les petites localités, les habitants se con

naissent trop pour qu'il soit possible de dissimuler ses véritables sentiments politiques.

Ainsi, tandis que le parti dont il est question se servait dans la capitale de ses propres moyens et des forces empruntées aux autres factions pour détruire le gouvernement, il n'agissait que sous sa bannière dans le midi de la France et dans l'ouest.

Des rixes fréquentes avaient lieu dans nos provinces méridionales, et des bandes armées commettaient chaque jour des attentats contre les pro priétés et contre les personnes dans la Vendée et les départements limitrophes.

C'est là surtout que la légitimité s'occupait de réunir des forces imposantes; c'est là que, longtemps d'avance, on préparait un soulèvement général pour offrir à la duchesse de Berry l'appui d'une armée libératrice. Les bandes de chouans, qui, sans attendre l'arrivée de la princesse, se livraient à tant d'actes de brigandages, n'obéissaient pas sans doute à la volonté supérieure ; c'étaient des hommes impatients, indisciplinés, qui, sous prétexte de servir Henri V, voulaient s'enrichir des dépouilles de leurs victimes, et quelquefois satisfaire des vengeances personnelles.

Mais la narration de ces faits en détail me conduirait trop loin, et je rentrerai dans ma spécialité pour dire que les agens légitimistes recrutaient, à Paris, vers le milieu de l'année 1831, les anciens militaires ayant appartenu aux régiments suisses et à la garde royale, pour les envoyer dans l'ouest.

Le comte Geslin était un des embaucheurs les plus actifs; il fut arrêté, ainsi qu'une soixantaine des hommes enrôlés par lui. Ils se trouvaient encore tous en prison lorsque j'arrivai à la préfecture, et ne tardèrent pas à passer en cour d'assises, où plusieurs furent condamnés.

En même temps que ces embauchages s'effectuaient, on n'épargnait pas l'intrigue auprès des ouvriers inoccupés: on leur donnait des secours; on rassemblait en sections tous les gens attachés autrefois au service du château, tous les employés des administrations publiques et particulières, congédiés après juillet; on leur distribuait des instructions et des armes; on préparait enfin le soulèvement qui éclata dans la nuit du 2 février 1852, que l'on désigne sous le nom de complot des Prouvaires. J'en raconterai ultérieurement les détails principaux.

Les sommités du parti ne concouraient d'abord que faiblement à ces menées; bientôt un comité supérieur s'organisa pour donner l'impulsion dans la capitale, et entretenir une correspondance active dans les départements. Douze personnages le composaient; mais, comme des preuves assez positives pour être produites au grand jour n'ont pas été recueillies contre eux, et quoique j'aie à cet égard une entière conviction, puisée dans les renseignements qui me parvenaient, je dois m'abstenir de les nommer. Seulement, et attendu que des journaux en ont parlé, ainsi que j'aurai occasion de le dire par

la suite, je crois pouvoir, dès ce moment, noter que M. le maréchal de Bellune était indiqué par les agents légitimistes comme prenant une part active à la direction de leurs intrigues.

Là ne se bornaient pas les dangers qui menaçaient nos institutions et les embarras qui entravaient la marche du pouvoir.

Non-seulement les partis politiques dont je viens de retracer la position s'étaient mis en état de conspiration permanente, et faisaient naître des soulèvements périodiques, mais encore de nombreux novateurs essayaient l'application de leurs utopies dans les matières civiles et religieuses on voyait s'établir le saint-simonisme, dont les doctrines, proportionnant la fortune et la condition de l'homme à son intelligence, portaient atteinte aux droits de propriété consacrés par notre législation, et mettaient en question l'inviolabilité et la force du lien conjugal en prêchant le dogme immoral de la communauté des femmes.

Un père suprême, plus infaillible que le pape, que ses apôtres devaient respecter et vénérer comme l'image de la divinité, s'attribuant seul le droit de déterminer, par lui-même ou par ses délégués, la portée et la nature des capacités, se faisait l'arbitre absolu de la répartition des biens et des jouissances terrestres. Il va sans dire que, d'après son incommensurable supériorité intellectuelle, il devait se faire une bien large part.

Au reste, je ne mets pas en doute la bonne foi

et surtout les talents des saint-simoniens. On trouvait là des hommes très-remarquables, qui depuis ont fait preuve, dans d'autres carrières, d'une intelligence peu commune.

C'était par la persuasion seulement que les saintsimoniens faisaient des prosélytes; et je dois leur rendre cette justice qu'ils ont toujours déféré, sans résistance active, aux injonctions de l'autorité. Mais peut-on garantir, si leur nombre, qui n'a pas excédé six mille, s'était élevé à cent mille, que cette aggrégation eût montré la même soumission, le même respect pour les organes de la loi? Qui nous dit que dans ce cas les saint-simoniens n'auraient pas pris un caractère politique, qu'ils ne seraient pas devenus les auxiliaires des factions, pour renverser l'ordre établi, et chercher, dans les accidents d'une réorganisation, à faire prévaloir leurs théories?

Nous avions en outre les phalanstériens, sectateurs des idées creuses de Fourrier, ayant pour organe propagandiste un journal, le Phalanstère, comme les disciples de Saint-Simon avaient le Globe, et visant à remanier la société de fond en comble.

Politique, religion, sociabilité, tout était repris en sous-œuvre, tout était remis en question. Un nouveau schisme inquiétait l'Église, par l'érection de celle qui, prenant le titre d'Église française, introduisait dans les liturgies notre langue usuelle. Ce tableau, que je crois fidèle, présente les di

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