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termes obfcurs & impropres. Toutes ces causes réunies le rendirent odieux. Les dévots de toutes les religions tirerent avantage de l'obscurité de les écrits, quoique la plupart du tems elle ne fut que dans l'ignorance avec laquelle ils donnoient une interprétation impie à des principes qu'ils ne comprenoient pas ; & des conféquences d'une nature très-allarmante furent injuftement tirées de ces principes mal entendus , peu généreusement imputées à ces principes, malgré fes déclarations pofitives & la teneur générale de fes doctrines. On le fit paffer pour un Panthée, pour un matérialifte, pour un athée, termes qui dans ce tems étoient regardés comme lynonimes. Des torrens d'invectives furent vomis contre lui, au point que fon nom, toutes les fois qu'il étoit prononcé, réveilloit l'idée d'un monftre.

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Dans le commencement du premier dialogue Philolaus eft représenté comme ayant adopté le langage injurieux, en ufage du tems que ce philofophe fleuriffoit dédaignant la lecture des ouvrages d'un impie, d'un athée avoué, du profeffeur d'une aveugle néceffité d'un ennemi de la révélation, d'un détracteur de toute reli gion, d'un membre dangereux & gangre né de la fociété. Théophron, ami de Philolaus, diffipe ces préjugés vulgaires, en lui expofant quelques-unes des principales particularités de la vie de Spinola, telles

que les a rapportées Colerus, miniftre luthérien à La-Haye. & contemporain du phi-lofophe. Cet auteur a rendu le témoignage le plus avantageux de l'excellence du caractere de Spinola, l'a repréfenté dans toute fa conduite, fans exception, comme un modele à imiter, comme uniffant à des qualités douces, la plus grande fermeté, & une probité à toute épreuve dans les fituations les plus critiques & les plus fortes tentations. Colérus apporte, qu'avant que Spinola ne fut chaffé de la fynagoge, on lui avoit offert mille écus par an pour affifter de tems en tems au culte public, afin de paffer pour un membre nominal de la communauté des Juifs. Il rejetta cette offre avec dédain. Il refufa encore d'être l'héritier d'une fortune confidérable au préjudice des héritiers naturels, & il apprit l'art de polir les verres à lunettes, afin de ne dépendre de perfonne. On cite encore plufieurs anecdotes de cette nature.

Pour prouver que la conduite irréprochable de Spinofa ne tenoit pas à un principe d'orgueil & de vanité, ne provenoit pas de l'ambition de le faire chef d'une fecte, de même qu'elle n'étoit pas non plus uniquement la fuite d'un excellent caractere & d'une heureufe conftitution, mais pourtant le résultat d'un plan arrêté, conçu d'après des fentimens honnêtes & le fruit de beaucoup d'études & de recherches, Theo

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phron cite un paffage du Tractatus de intellectus emendatione de Spinofa. Dans cet ouvrage, l'auteur paffe en revue toutes les chofes, toutes les pourfuites dans lefquelles les hommes placent le fouverain bien, & déclare que pour lui il fe propose de se conformer à la nature dans le feps le plus philofophique de ce terme. Ayant ainfi détruit les préjugés & excité la curiofité de Philolaüs, fon ami lui recommande d'étudier les ouvrages de Spinofa, & traces les regles fuivantes pour les lui rendre plus intelligibles. 1°. Se rendre familiers les écrits de Descartes, que Spinola avoit étudié avec foin, & des notions duquel il avoit nourri fon efprit. Cela, dit-il, diffipera plufieurs obfcurités de ftyle, & adoucira plufieurs expreffions qui paroiffent dures & offenfantes. 2°. Porter une attention convenable à la forme mathématique dont il revêt fes raifonnemens, forme qu'il a adoptée d'après Delcartes, & qu'il a pouffée fort loin. 3°. Appeller à fon fecours la philofophie moderne; avec elle il fera aifé de réfoudre d'une maniere fatisfaifante, plufieure propofitions qui paroiffent paradoxales; elle rendra compte de plufieurs de fes erreurs, & prouvera que quelques-uns de fes principes font la bafe de vérités universellement

reçues.

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Dans le fecond dialogue, on fuppofe que Philolaus a lu les ouvrages du philofophe,

& il déclare qu'il eft parfaitement convain cu que, quoique Spinola ait pu fe tromper dans les explications, il a été profondément pénétré de l'idée que toute perfection, toute vertu, toute félicité confifte dans la connoiffance & l'amour de Dieu. Toutefois il eft embarraffé de la propofition fuivante, qui fait la bafe da Spinofif me, & qui a été la principale pierre d'achoppement & le point central de toutes les cenfures. Il n'y a qu'une fubftance, & cette fubflance eft Dieu; toutes le chofes ne font que des modifications en lui. Théophron éclaircit cette propofition en ces ter

mes:

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« Spinofa prend le mot fubftance dans fa fignification la plus fimple & la plus parfaite; chofe néceffaire, puifqu'il parle le langage mathématique, & propofe une idée fimple comme le fondement de fa théorie. Quel le eft la propre fignification du terme fubftan ce? N'exprime-t il pas ce qui fubfifte par lui feul, ce qui a en lui même la caufe de fon exiftence? Il feroit à fouhaiter que cette fignification fimple & précise fût admife dans tou tes les écoles de philofophie. A proprement parler, aucune chofe de ce monde n'eft une fubftance; car elles dépendent toutes les unes des autres mutuellement, & en derniere ana1yfe, de Dieu, qui, dans un fens relevé, eft la feule fubftance. Le mot de modification paroît dur. & impropre, par conféquent, il ne peut pas espérer d'entrer dans la langue des philofophes. Mais fi l'école de Léibnitz peut appeller la matiere une apparence de fubftance, pourquoi ne pafferoit-on pas à Spinosa un ter

me plus dur? Les fubftances de ce monde font tenues en union par la Puiffance Divine comme elles doivent leur existence à cette même Puiffance. Elles repréfentent auffi, fi vous voulez, des apparences modifiées de la Puiffance Divine, chacune fuivant la place qu'elle occupe, le tems de fa durée, & des organes, dans lefquels, ou avec lefquels elle fe montre. La phrafe, employée par Spinofa, eft concife; elle donne de l'unité & de la fimplicité à fon fyftême, quelqu'étrange qu'elle paroiffe à nos oreilles. Elle vaut encore mieux que les caufes occafionnells de Descartes, qui lui ont donné naiffance; expreffion bien plus impropre, & qui néanmoins eft reçue depuis longiems. La philofophie léibtienne l'échangea enfuite contre une autre, qui est mieux fonnante, à la vérité, mais qui n'eft pas exempte de difficultés : je veux parler de l'harmonie préétablie de toutes chofes. Vous voyez, mon ami, qu'aucune héréfie ne se cache fous ces différentes expreffions. L'une peut être plus impropre que l'autre; mais dans le fait, ce qu'on peut leur reprocher, c'eft de ne pas nous apprendre grand'chofe. Nous ne favons pas ce que c'est que puiffance, pouvoir, ni comment -ils operent; encore moins pouvons nous comprendre comment la puiffance a pu produire quelque chofe, & comment elle fe communi. que à toutes les chofes, conformément à leur nature. Mais c'eft une vérité que tout esprit conféquent eft forcé de reconnoître, que tous les êtres dépendent d'une cause indépendante, tant pour leur existence que pour leurs rapports, ainsi que pour l'exercice de leurs propres forces».

La difcuffion roule enfuite fur la pofition que la fubftance indépendante n'eft pas une caufe tranfitoire, mais perfiftente & perma

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