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qui se trouvaient à Paris de se disposer à partir dans trois jours pour aller rejoindre leurs régiments, sous peine d'être cassés.

Tous les particuliers des provinces du royaume qui se trouvaient logés dans les auberges ou en chambre garnie et qui n'étaient venus à Paris que pour agioter dans la rue Quincampoix, eurent aussi ordre d'en partir dans huit jours et de se retirer chez eux, sous peine d'être privés de leurs emplois, dont l'exercice était négligé et comme abandonné.

- On assurait que M. le duc de Lauzun avait vendu son hôtel qui était ci-devant l'hôtel de Créquy, situé sur le quai des Théatins, pour la somme de dix-huit cent mille livres à un riche actionnaire; mais que M. le marquis de Biron, lieutenant général des armées du Roi et premier écuyer de M. le duc d'Orléans, prétendait faire casser ce contrat de vente à son profit, par retrait lignager, à cause de madame son épouse, qui est nièce du même duc de Lauzun.

La demoiselle de Chasseray, qui était l'une des filles qui étaient au service de feu madame la Dauphine duchesse de Bourgogne, ayant beaucoup profité sur les actions, acheta le petit hôtel de Noailles, proche les Jacobins de la rue Saint-Honoré, pour en jouir sa vie durant, et en paya une somme de cent cinquante mille livres à madame la duchesse de Noailles, à qui cette maison était revenue après la mort de M. l'abbé d'Estrées, nommé à l'archevêché de Cambrai, qui mourut dix-huit mois après avoir payé une pareille somme à cette duchesse pour en jouir aussi sa vie durant.

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'Antonin Nompar de Caumont, comte et duc de Lauzun, né en 1632, mort en 1723; mari de mademoiselle de Montpensier. Il légua son immense fortune à Charles-Armand-Antoine, duc de Biron, son petit-neveu.

rue Plâtrière, vis-à-vis la communauté des filles de sainte Agnès, qui appartenait à M. d'Armenonville, secrétaire d'État, moyennant la somme de douze cent mille livres qu'elle lui paya, et M. d'Armenonville convint avec elle de lui payer vingt mille francs par an pour le loyer de cette maison, qu'il continuerait d'occuper le reste de sa vie.

La dame Chaumont acheta des héritiers de feu M. le chancelier Boucherat, son hôtel de la rue Saint-Louis au Marais et leur en paya un million, et peu auparavant elle paya huit cent mille livres pour la terre et seigneurie de Vitry-sur-Seine, quoique cette terre ne rapportât ordinairement que huit mille livres de rente au marquis de La Fare à qui elle appartenait, et qui avait épousé la fille du sieur Paparel, trésorier de la maison du Roi, qui pour ses malversations fut relégué au château de Saumur et ensuite à l'abbaye de Laon.

Le 3 de ce mois, le jeune duc de La Trémouille mourut de la petite vérole, âgé de douze ans. Par la mort de ce jeune seigneur, le prince de Tarente se vit héritier de tous les biens de la maison de La Trémouille et succéda à la charge de premier gentilhomme de la chambre du Roi, dont il devait faire les fonctions en attendant que le feu jeune duc son neveu fût en âge de l'exercer.

M. le duc d'Albret et M. le comte de Broglie eurent ordre quelques jours auparavant de rester chacun dans leur hôtel avec défense d'en sortir; on disait pour avoir tenu quelque discours au sujet de M. Law, contrôleur général des finances.

-On disait aussi que peu auparavant, le comte de Broglie, qui ne pouvait rien dissimuler, étant à la table de M. le duc d'Orléans, avait dit : « Votre Altesse Royale sait bien que je ne suis pas un mauvais physionomiste. Puis regardant fixement le sieur Law qui était aussi à la même table, continua de dire: « Suivant les règles de la physionomie, il me paraît qu'avant six mois M. Law sera

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pendu par ordre de Votre Altesse. » On peut s'imaginer si cette prédiction plut à M. Law, qu'elle regardait personnellement, et si tous ceux qui l'ouïrent en furent surpris.

Le sieur Jones, habile fondeur anglais qui travaillait ici à l'Arsenal depuis quelques années, avait trouvé le moyen d'engager plusieurs Anglais qui avaient beaucoup d'adresse et d'expérience à manier le fer et à fondre les métaux, en leur faisant espérer de grands avantages.

- On écrivait de Londres que les négociants avaient porté leurs plaintes au roi d'Angleterre et au Parlement, de ce que trois de leurs vaisseaux allant à la Caroline avaient été arrêtés en chemin par plusieurs corsaires dont l'un était français; et que ces corsaires les avaient obligés de leur donner une grande partie de leurs marchandises et des provisions et munitions dont ils étaient chargés; sur quoi les négociants insistaient d'en faire plainte à la cour de France pour en avoir satisfaction, qu'autrement il faudrait user de représailles.

On a oublié, ce semble, de dire ci-devant que pour préliminaire du traité de paix entre la France et l'Espagne, le cardinal Alberoni avait reçu ordre de ne plus paraître devant Leurs Majestés Catholiques et de sortir du royaume d'Espagne dans un espace de huit jours, et qu'après son' départ, le Roi Catholique avait révoqué la nomination que Sa Majesté lui avait accordée de l'archevêché de Séville et qu'on y avait nommé l'évêque d'Osma, qu'on avait rappelé de l'exil où il avait été confiné par les intrigues d'Alberoni, aussi bien que le marquis de Castanedo qui avait été relégué à Gênes, où Sa Majesté lui avait en même temps fait toucher une remise de cinq cents pistoles pour lui faciliter son retour à Madrid.

Le 10, le Roi conféra l'abbaye de Saint-Amand, qui vaut quarante-cinq mille livres de rente, à M. le cardinal de Gesvres, archevêque de Bourges, que l'on disait aussi nommé pour aller à Rome gérer les affaires de France, à

T. II.

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la place du feu cardinal de La Trémouille, qui jouissait de cette abbaye, et qui avait laissé, assurait-on, pour cinq cent mille livres de dettes.

Les trois nuits du 1er, 2 et du 3 de ce mois, il parut en l'air, au-dessus de la ville de Rouen, un phénomène extraordinaire qui semblait être un feu terrible qui répandait une fumée fort épaisse et fort puante, ce qui causa beaucoup de frayeur aux habitants de la ville et des

environs.

- La bourgeoisie de Rouen prit encore une autre alarme dans le temps de ce phénomène, sur ce que le bureau qu'on y avait établi se trouvait manquer d'espèces pour acquitter les billets de banque que les particuliers y présentaient, ce qui causa quelque émotion, mais qui fut bientôt apaisée par la présence du premier président du parlement de Rouen, qui fit porter ce qu'il avait chez lui d'espèces monnayées pour acquitter les billets de ceux qui paraissaient en avoir le plus besoin, et l'intendant se contenta de dépêcher un exprès à M. le duc d'Orléans pour lui donner avis de cet incident; sur quoi on n'avait point tardé de voiturer des espèces de Paris à Rouen, afin que le bureau n'en manquàt pas si tôt.

On en voitura aussi en même temps à Lyon, à Bordeaux et en d'autres villes considérables pour éviter de pareils inconvénients. Toutes ces précautions des directeurs de la Banque ne purent néanmoins remédier au peu de confiance qu'on avait alors déjà presque partout le royaume à ces sortes de billets, principalement à Bapaume, à Péronne, à Arras, où très-peu de gens voulaient les recevoir en payement pour la sommé qu'ils portaient. A Lille on ne les prenait qu'à raison de dix-huit livres par cent de perte. En Champagne et en Bourgogne, ceux qui avaient du vin, du blé, de l'avoine et d'autres marchandises, aimaient beaucoup mieux les garder dans leurs magasins, dans leurs caves et dans leurs greniers, que de

recevoir du papier de cette espèce en payement au lieu d'argent comptant qu'ils préféraient, malgré les diminutions et les décris fréquents qui arrivaient souvent aux

monnaies.

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Le 4, après diner, M. le duc d'Orléans étant arrivé au conseil de Régence, dit au Roi : « Sire, vous n'avez plus de guerre; le roi d'Espagne veut et demande la paix aux conditions qu'il plaira à Votre Majesté de lui prescrire. Le Roi, là-dessus, dit : « J'en suis bien aise, monsieur, voilà une bonne nouvelle que vous m'annoncez aujourd'hui le premier, dont je vous remercie; je le veux bien aussi et vivre en bonne intelligence avec le roi d'Espagne, mon oncle, préférablement à toute autre puissance. »> Cette repartie du Roi, qui parut naturelle et ingénue, et pour ne lui avoir été nullement suggérée, fut admirée de tous ceux qui étaient au conseil et même de M. le Régent, qui ne put s'empêcher, disait-on, d'en faire un éloge à la sortie du conseil et de déclarer : « Cela me persuade beaucoup de la bonté du génie du Roi, de son juste discernement et de l'inclination naturelle qu'il a pour le roi d'Espagne son oncle, en quoi je remarque la force de la nature, dont les liens me paraissent indissolubles, laquelle inclination ne peut être que très-avantageuse à la France et à l'Espagne, par l'union qui se pourra faire des deux couronnes et par une ligue perpétuelle offensive et défensive entre les deux nations, qu'il ne sera pas difficile de conclure, étant certain que les Espagnols en général la souhaitent et la demandent depuis longtemps pour leur sûreté particulière, et qui pourra se faire plus tôt qu'on ne pense, quoi que l'Angleterre et la Hollande principalement puissent faire ou dire pour en empêcher l'exécution. » Les courtisans qui étaient avec Son Altesse Royale admirèrent son discours, et un d'entre eux s'échappa de dire « Je souhaite de bon cœur que ce que vous venez de déclarer arrive incessamment pour la tranquillité non

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