Page images
PDF
EPUB

tout ce que je vous puis dire, sinon que vous vous pouvez asseurer que je suis de cœur et d'affection,

Mon frère,

Vostre très-affectionné frère à vous rendre service.
Le card. de RICHELIEU (1).

Je prie le sieur de Cahusac de ne retourner qu'avec vous.
De Lyon, ce 2 octobre 1630.

Parmi les principaux correspondants de Brézé, il ne faut pas oublier le surintendant des finances Bouthillier; voici une lettre de lui qui se rapporte, ainsi que la précédente, à la maladie du Roi. Louis XIII, cn le sait, avoit été attaqué d'une fièvre continue, dont les progrès devenoient si alarmants, que les médecins commençoient à désespérer de sa vie.

2. BOUTHILLIER (2) A MONSIEUR de Brézé.

Monsieur,

Vous aians escript assez amplement les 2 et 6 de ce mois, j'ay peu de chose à vous dire par la présente après la santé du Roy qui va, grâces au bon Dieu, s'augmentant de jour en jour. Hier Sa Majesté s'habilla comme n'aiant point esté malade, fut servie par les gentilshommes servants, et mangea de la viande solide. Sans la prière que luy fit la Reyne de ne pas sortir à cause d'un peu de pluye, je crois que la promenade eust suivi. C'est un miracle de voir le Roy si fort, aiant esté si malade, et aiant esté seigné sept fois et pris quatre ou cinq médecines. Un moindre courage ne feroit cela. Vous savez que Sa Majesté a passé l'eau il y a desjà trois ou quatre jours, et qu'elle est maintenant au logis de M. le comte bien mieux qu'à l'archevesché, l'air y estant beaucoup meilleur, et le logis aussy clair et gay que l'autre est obscur et mélancolique.

Vous aviez bien préveu que Monsieur le Surintendant retom

(1) Signature autographe,

(2) Claude Le Boutil hier devint surintendant des finances en 1632, mourut en 1655.

38

LE CABINET HISTORIQUE.

beroit målade. Il l'a esté à l'extrémité; mais grâces à Dieu, nous receumes nouvelles hier qu'il estoit du tout hors de danger. Je luy ay escript vostre appréhension avant sou grand mal, et j'envoie aujourd'huy le visiter.

Vous scaurés de Monsieur le mareschal de Schomberg que l'on est aussi déraisonnable à Ratisbonne (1) qu'en Italie, de sorte que le Roy ne pense plus qu'à faire la guerre, et à bien faire secourir Cazal. Je vous avoue que vous avez parfaitement bien fait de retourner pour un si bon sujet, mais je vous conjure d'avoir soing de vostre santé, recommandant à Dieu de tout mon cœur pour leṣurplus vostre personne. Toutes choses vont, grâces à Dieu, par deça, parfaitement bien, et vous pouvez vous assurer que pour vostre particulier, il ne se peut mieux. Si vous vous retenés de la fonction de la charge que le Roy vous a envoyée, je lourai votre modération et prudence, à laquelle toutefois vous ne ferez rien de contraire si vous en usez autrement.

Je seray toute ma vie, Monsieur, etc.

A Lyon, ce 9 octobre 1630.

BOUTHILLIER (2).

Empruntons une autre citation à l'excellente histoire de MM. Bordier et Charton, et ajoutons-y, par forme de commentaire, un billet du cardinal.

Richelieu s'occupa alors (après le supplice de Montmorency) de Gaston et de son allié, le duc de Lorraine. Un arrêt du parlement, le déclarant rebelle (30 juillet 1633), ordonna la confiscation du Barrois dont il refusoit l'hommage. Le Roi entre en Lorraine avec une armée; il assiége Nancy, qui lui est mise en dépôt par le traité de Charmes. Charles IV, pour éluder les engagements pris avec le Roi, cède ses États au cardinal François son frère. A cette nouvelle, le maréchal de la Force investit Lunéville, et occupe sans coup férir la Lorraine, abandonnée par ses princes, et qui devoit rester aux mains de la France jusqu'à la fin du xvi1° siècle (3).

(1) La paix fut conclue à Ratisbonne le 13 du même mois.

(2) Lettre autographe.

(3) T. II, p. 203.

Voici maintenant le billet (1):

3. LE CARD. DE RICHELIEU A MONS. DE BRÉZÉ.

Mon frère, je prens la plume pour vous faire sçavoir le bon succez du voiage du Roy en ces quartiers, qui a esté tel qu'après avoir bloqué Nancy, Mons. de Lorraine à mieux aymé remettre cette place entre les mains de Sa Majesté que de la luy laisser prendre, ce qu'elle eut faict asseurément. Je ne vous mande point d'autres particularitez, parce qu'il suffit de sçavoir que la plus belle et la plus grande place de la chrétienté pour la fortification est au pouvoir du Roy. Vous ferez part de cette bonne nouvelle à tous nos amis des lieux où vous estes, et cependant vous vous asseurerez que je suis et seray tousjours autant que vous le pouvez souhaiter,

Mon frère,

Vostre très-affectionné frère et serviteur.
Le card. de RICHELIEU.

Au camp, devant Nancy, le 12 septembre 1683.

L'ordre chronologique nous présente un autre correspondant du marquis de Brézé, je veux dire le baron de Charnacé, comme lui diplomate, et initié à tous les mystères de la politique de Richelieu. Les lettres de ce singulier personnage mériteroient les honneurs de la publicité; je n'en donne que deux spécimens, mais on conviendra qu'ils sont des plus curieux. Charnacé avoit la manie de passer pour un bel esprit, et il tomboit souvent dans le ton déclamatoire à la Balzac ; ce n'est certes pas là ce qui rend ses épîtres amusantes; mais il étoit sans cesse aux aguets, les oreilles ouvertes pour savoir tous les commérages de Saint-Germain, de Ruel ou du Palais-Royal. Heureusement pour nous, Brézé, avec qui il s'étoit lié d'amitié, se trouvoit obligé par les devoirs de sa place de vivre le plus souvent loin du pays du beau monde et des galanteries, et Charnacé, touché

(1) Signat, autog.

d'une compassion dont nous avons les bénéfices, lui expédioit de temps en temps de véritables gazettes nourries d'anecdotes et de détails plus ou moins édifiants. Nous sommes à la date de 1634; le beau-frère du cardinal-ministre avoit reçu le bâton de maréchal avec le gouvernement de Calais en 1632, peu après s'être signalé au combat de Castelnaudary; il étoit capitaine des gardes du corps, et, depuis 1633, chevalier du Saint-Esprit. Au moment où nous sommes, il ne prévoyoit pas encore les éventualités qui devoient bientôt (23 décembre) le conduire avec le maréchal de la Force en Allemagne au secours d'Heidelberg, assiégé par les impériaux.

4. CHARNACÉ A MONSIEUR DE BREZÉ.

Monseigneur,

A Fleury, ce 1er juin 1634.

Le déplaizir de n'avoir point l'honneur de vous treuver icy à mon retour de Paris, me retirant de la compagnie en la solitude des bois, me porte dans la considération du peu de contentement de cette vie, en laquelle nous voyons le moins ce que nous chérissons le plus, et où pour de bien légères raisons nous nous privons des choses qui valent sans comparaison plus et que nous estimons davantage que celles que nous embrassons, de quoy nul n'est plus fidelle tesmoin que moy, qui pendant mon exil de Hollande, protestois tous les jours, dans les regrets de n'estre plus auprès de vous, que si jamais je pouvois estre en France nulles considérations n'auroient le pouvoir de m'en esloigner; et lorsque j'y suis, et au lieu de vostre séjour, il faut pour mon malheur que vous vous en esloigniez, et que des choses de rien m'empeschent de vous suivre, pour demeurer malheureux autant que vous serez absent. Tout ce qui peut me consoler en cela est le souvenir que vous ne l'avez ainsi voulu, que cela vous exempte de beaucoup d'importunités, et que j'espère votre retour avant que l'on m'envoye d'ici d'où je n'entreprens point de vous dire les nouvelles de conséquence et du cabinet n'en ayant pas la connoissance, mais bien les communes et du grand chemin, et vous faire voir que je n'obmetterois point les autres, si elles étoient venues jusques à moy.

(1) Bayle, Dict., article Brégi,

Le brult venu à Paris de l'emprizonement de M. le duc d'Aluin (1) s'est trouvé véritable aussy bien que celuy de la feinte de maladie de M. de Rohan (2) pour ne pas venir en court où je pense qu'il sera demain ou samedy.-M. de Charost (3) payra ce mesme jour 85 mil escus pour la charge de capitaine des gardes à M. du Halier, et sera receu dimanche ou lundi.

L'abbé d'Elbènes vient présentement d'arriver de Bruxelles sous la ratification du traité fait icy par M. le duc d'Orléans qui pendant cette négociation (4), s'est engagé plus que jamais avec les Espagnols; aussi a-t-on fait revenir de Liége à Bruxelles mesdemoiselles de Simay à la prière de M. de Puylaurent, et la Reine mère se trouve plus mal que jamais de tous costez. M. d'Elbeuf est entièrement à elle jusques à en prendre pension ou du moins un brevet (5). Il a fait appeler M. de Puylaurent 4 contre 4: mais grâces à Dieu ils n'en sont venus aux mains (6); les Alemans n'en ont pas fait de mesme, Arneim ayant défait l'armée de l'empereur en Silézie, pris son canon, son équipage, 14 cornettes et 25 drapeaux. En Westphalie les troupes du landgrave de Cassel et du duc de Lunebourg (7) ont mis en déroute celles de la ligue catholique commandées par Brunnclausen et Gheler (8); en Hollande, l'on se prépare toujours, mais jusques icy nul ne se met en campagne, chacun demeurant en la possession de ce qu'il avoit si devant, aussi bien que les diables de Loudun qui sont tousjours, a dit M. de Londigné, és corps de ces pauvres religieuses, malgré M. de Poitiers et toute son eglize. C'est, Monseigneur, ce que M. de Bautru m'en a peu dire qui en doit estre bien informé (9). Je souhaiterois que vous le fussiez par les effets de ma servitude de l'affection et fidélité dont

(1) Charles de Schomberg, fils du maréchal de Craon (1601-1656). (2) V. les mém. de Rohan, et l'art. de la France protestante, vol. 8, p. 497. (3) Louis de Béthune, comte, puis duc de Charrot (1605-1681). – Sur lui, v. Saint-Simon, mém., t. IX, p. 428 et suiv.

(4) « Le 12 mai, Gaston venoit encore de signer avec le marquis d'Aytone un traité... Cet engagement solennel n'empêchoit pas Gaston de continuer ses négociations avec son père. » — Sismondi, Hist. de Fr., t. XXIII, p. 241.

(5) Charles II, duc d'Elbeuf, avoit été déclaré, en 1631, criminel de lèsemajeste.

(6) Sur Puylaurens et la princesse de Chimay. (Voir les Mémoires de Gaston, édit, Petitot, p. 154.)

(7) Celui à qui la légende attribue la mort du roi de Suède, à Lutzen.

(8) Wallenstein ne tarda pourtant pas à prendre sa revanche.

(9) On sait qu'Urbain Grandier, présumé l'agent du diable dons toute cette affaire, fut brûlé vif.

« PreviousContinue »