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faict de moy mesme, ils eussent toujours estime qu'on ne me les

eust pas redemandé, sy je n'eusse voulu les rendre.

Je viens donc à la chose qui a deux parties, l'une la reprise des sceaux, l'autre ce qui l'a accompagnée, touchant l'exempt, les archers, et ce qui suit. Je ne diray point icy les termes dans les quels cela s'est passé, parce que come j'ay dit, cela requiert un discours à part, qui apartient plus à une narration des choses, qu'aux considérations que je rapporte icy.

La première partie de cette action qui a esté de reprendre les sceaux, m'a esté une telle joye et contentement que rien ne la peut diminuer, non pas effacer, et je ne m'en souviens jamais que je n'en aye pareille joye; je ne pense pas en avoir jamais eu davantage, et mille rencontres se passent qui m'en font souvenir avec sentiment de l'heur que j'ay d'en estre deschargé; et quoyque la rudesse de la suite ayt esté extrêmement grande, cela ne peut diminuer l'aise de ceste. descharge.

Quant à la manière, elle a esté rude;-mais j'y ay reçu une des plus grandes grâces de Dieu que j'aie jamais eue qu'il me souvienne : j'y ay eu les plus violens exercices intérieurs que je pense avoir jamais receu, et en sorte que ce que je souffrois ne m'estoit rien, et la mort m'eust esté fort agréable.-Par quatre différentes fois en un jour, par les chemins, l'exempt qui me conduisoit, qui restoit à la portière dans mon carosse, me parust avec l'horreur d'un diable : je ne veux pas dire qu'il y eust transformation du visage, qui est de soy mesme bien fait; mais j'ay remarqué que ces quatre fois il me parust s'y plein d'horreur, que j'en estois tout hors de moy, me semblant que ces horreurs estoient menace de quelque chose d'estrange: mais à mon avis c'estoient effects de l'esprit maling qui me vouloit faire perdre l'espérance, come, autant qu'il me souvienne, il est vray que j'ay esté bercé en ceste ac

tion entre l'espérance et la confiance. D'autres fois, une particulièrement, j'ay esté par les chemins poursuivy de frayeurs et espouventements sy estranges, que sŷ Dieu ne soutenoit on ny pourroit subsister: ce n'est pas de la mort, car on la choisiroit pour sortir de là: ce n'est pas de l'enfer; c'est ce que je ne sçaurois dire, qui tient l'ame en un tel épouvantement quelle est perdue et ne scait quedevenir. J'ay estimé qu'il y a quelque chose de cela dans Job, au treizième chapitre, où parlant à Dieu, il luy demande deux choses devant qu'entrer en raison avec luy: Esloignés, dit-il, votre main de moy, c'est-à-dire, ne m'afligés pas: Formido tua non me terreat. J'estime que l'on aura interprété cela dans un sens comun et ordinaire, car pour l'entendre autrement il y faut de l'expérience, et je considère que Job ne l'entend pas de la crainte, à cause de ses péchés, car il se justifie : il peut estre entendu aussy de la crainte que porte la majesté de Dieu qui se communique come il lui plaist et scait bien rabaisser et estonner la créature quand il veut. Quoi que ce soit, je dis ce qui se passa,qui est bien estrange. - Je voyois à toute heure ceux qui me conduisoient venir parler à l'oreille de l'exempt au carosse: je demandois où nous allions, on me disoit n'en scavoir rien, qu'on le sçauroit à une lieue de là. J'avois toujours devant moi cet archer, jour et nuit : on commendoit à mon cocher d'advancer, mais sans me parler on menaçoit mes gens en ma présence et hors d'icelle; on renvoyoit les uns, on retranchoit mon train, et plusieurs autres manières qui me tenoient en un tel étonnement que je ne faisois autre chose que me soubmestre intérieurement à tout ce que Dieu voudroit ordonner. C'estoit donc là l'exercice auquel j'estois, et néanmoins je cognoissois que Dieu me faisoit par ces voyes une grande grâce; en sorte que par trois fois, par les chemins, j'ai eu crainte actuelle et sensible que mon afliction passast; ce qui me semble fort

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remarquable, ces sentiments venoient à contretemps, hors la pensée de ces choses, en sorte que je jugeois qu'ils estoient envoyés droitement dans l'âme.

J'ay eu encore une fois ceste pensée à Lisieux, mais non pas si forte, ny sy distincte : l'effet de ceste affiiction, come il me semble, et dès le commencement, a esté que Dieu m'ayant mis en lieu où je pouvois servir à son esglise et à ses serviteurs, voyant que mon âme s'y endomageoit, m'en a retiré par ceste manière rude et violente pour me faire ouvrir les yeux, sans pour cela diminuer le soing des œuvres auxquelles il pourvoira par autre voye, et ne les laissera pas come j'espère. Et cecy me semble un grand mystère de la grâce et de la conduite de Dieu; à scavoir, que la bonté et amour de Dieu, est telle qu'ayant mis une créature en son ouvrage, encore qu'elle y travaille utillement, voyant neantmoings que ceste âme s'y endomage, et en sorte qu'il est malaisé qu'elle reçoive lumière de son endomagement dans la mesme chose, il prive son ouvrage de ceste âme, de peur qu'elle ne s'y perde et ne laisse pas de pourvoir à son dit ouvrage par autre voye. Cela bien considéré me semble une grande chose et un merveilleux amour; et j'ay eu cela sy instinctivement en l'esprit, sy nettement et sy fortement, que je ne m'en puis pas aisément départir, sy ce n'est qu'il y eust quelque erreur en ce que je dis que je ne voudrois pas soutenir. Or j’ay recognu le dommage que je recevois, se faire sy délicatement et sy subitement que je ne pense pas que je m'en fusse jamais aperçu, sinon après une grande diminution de la grâce et un - grand dégast en l'ame, dont à mon avis je n'eusse pas recognu l'origine. J'estime que vous mesme ne l'avez pas recognu, car vous n'eussiez pas obmis de men parler, mais ce n'est pas icy qu'il faut dire ce que c'est; cela est à s'entretenir.

Ainsy je recognois et ressens la grâce provenante et la con

duite particulière de Dieu en ceste action, après plusieurs expériences de ma vie passée aux quelles j'ay eu subject de de recognoitre la mesme conduite.

L'assistance que jay eu depuis, m'a faict mieux espérer, car, par la grâce de Dieu, je n'ay jamais eu pensée de vouloir mal à ceux qui en peuvent être cause; je me suis trouvé tranquile à tout ce qu'on a voulu faire de moy.-Dieu m'a fait la grâce de ne point me laisser quitter la comunion; et se sont passé diverses choses en mon âme bien notables.

L'afliction, à la balance du monde, est bien grande, passant tout d'un coup en des conditions sy contraires aux autres, ce qui n'est pas mauvais à remarquer; à scavoir d'une condition pleine d'afluence et fréquence de personnes, vous recherchant et honorant, à une solitude la plus grande qui se puisse dire; car mes gens propres ne m'ozoient parler bas, je dis ceux qui servoient à la chambre; les autres n'osoient entrer en la chambre, et ne le font encore qu'à disner et souper, en présence de ceux qui nous gardent; de façon que c'est come n'y entrer pas, car il ne se dit rien que tout haut. Je passe encore d'une liberté entière, c'est-à-dire en la condition en la quelle j'estois, à une captivité telle que vous voyez : et j'ay esté à tel point que, mesme pour les nécessités, — j'avois la présence d'un archer; ce qui m'a pensé causer beaucoup de mal, par la retenue, causée de la pudeur, telle fois quatre et cinq jours de retenue.- Je passe encore de la plus grande autorité du royaume, il n'y en a point de plus grande ny plus estendue fondée en charge que celle-là, et me trouve en la plus basse subjection, soubs le dernier de tous les archers, auxquels je ne contredisois à tout ce qu'ils vouloient que je fisse.

Et le dernier, est d'une grande abondance de moyens, pour m'entretenir en ma condition. Je me trouve en une fort grande pauvreté, spécialement en retenant le nom que je ne

puis ny ne dois quitter; et par la grâce de Dieu, je suis sy tranquille en tout cela, que je ny ai aucune peine : j'essaye à régler les choses selon que je puis, et c'est la grâce qui m'en donne la force et sa lumière qui m'y soutient, et j'en ai quelque expérience.

J'ày réglé mes heures, afin qu'il n'y en ait aucune en la quelle l'ennuy me puisse prendre je me lève à six heures et suis habillé à sept; et à sept heures précisement je me mects à l'oraison jusques à huict, où je n'ay pas grande paine, encore que j'eusse tant discontinué cet exercice estant en continuelle action. A huict heures, je dis les litanies de Jésus et les petites heures de l'office de Notre-Dame, et puis j'employe le reste de l'heure à quelque lecture de la Bible, ou autre.

A neuf heures, je vais à la messe et communie par la grace de Dieu, cela jusqu'à dix heures; de là, j'emploie le temps à la Bible: une fois je lis l'histoire du Vieil Testament, un autre fois, le Nouveau Testament, et lis tous les jours un chapitre du petit livre de l'Imitation de Jésus-Christ; entre onze heures et douze, je disne, et depuis disner je me repose volontiers; quand j'ay d'autres occupations je diminue où retranche celle-cy, hors le chapelet, jusques entre deux heures et trois, et me mects sur le lit, soit pour reposer un peu, soit pour entretenir mes pensées, soit pour dire mon cha pelet tous les jours; et j'ay pris ceste maniere pour diversifier l'exercice et pour soulager ma vueue, qui se lasse a toujours lire, et principalement pour me soustraire a la vueue d'un archer qui estoit là toujours présent à me regarder, dont je me deslivrois un peu me jettant sur le lit et faisant tirer les rideaux; car cela a duré plus d'un mois que jour et nuit j'avois toujours un archer présent.

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A trois heures, je dis vepres et complies de Notre-Dame et les litanies d'elle mesme, puis je passe le reste à me pour

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