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On ne sait pas exactement à quelle époque l'Acadie a été découverte. Ce qui seul paroît certain, c'est que, dès le commencement du XVIe siècle, les Basques, les Bretons, les Normands faisoient la pêche de la morue et de la baleine. dans les parages de Terre-Neuve. Quelques-uns même avoient pénétré dans le golfe de Saint-Laurent et atteint les rivages acadiens. Le P. Biard parle d'un Thomas Aubert, de Dieppe, qui fit le voyage de la Nouvelle-France en 1508. Le nom de ce hardi pêcheur devint populaire en peu de temps, parce qu'il avoit ramené des sauvages qu'il montroit à la foule curieuse et empressée. Deux ans auparavant, c'est-àdire en 1506, un nommé Jean Denys, de Honfleur, avoit également touché le continent américain; mais, comme il n'en avoit rapporté que des poissons et des cartes géographiques, il ne reçut pas les mêmes applaudissements, dit le P. Biard. Il demeura à peu près inconnu. Toujours est-il que la France employoit en 1517 un grand nombre de navires à la pêche dans les eaux où se perd le fleuve de Saint-Laurent. On a gardé la mémoire d'un essai de colonisation que fit en 1518, au nord de l'Acadie, le baron de Léry et de SaintJust, vicomte de Gueu. Comment échoua cette aventureuse entreprise? on l'ignore. La tradition rapporte que le baron de Léry laissa ses pourceaux et ses vaches dans l'île de Sable, faute de pouvoir les nourrir; ce qui permet de supposer que sa navigation avoit été contrariée par les vents et qu'il en avoit mal calculé les hasards.

En 1534 enfin, nous avons des informations certaines et précises sur la découverte des contrées qui ont porté glorieusement, pendant un siècle et plus, le nom de la NouvelleFrance. C'est la date du premier voyage de Jacques Cartier. Après s'être avancé jusqu'à la baie des Chaleurs qu'il reconnut et qu'il nomma, l'intrépide navigateur rentra à SaintMalo le 5 septembre. L'année suivante, 1535, il repartit avec

trois vaisseaux qui avoient été armés par l'ordre exprès du roi pour cette expédition. Le dimanche, jour et fête de la Pentecôte, 16 mai, a-t-il écrit lui-même, du commandement du capitaine et du bon vouloir de tous, chacun se confessa, et reçumes tous ensemblement notre Créateur dans la cathédrale de Saint-Malo; après lequel avoir reçu, fûmes nous présenter au choeur de ladite église devant révérend père en Dieu, monseigneur de Saint-Malo, lequel, en son état épiscopal, nous donna sa bénédiction. »

Ce second voyage fut encore plus heureux dans ses résultats que le premier. Jacques Cartier découvrit le fleuve de Saint-Laurent et le remonta jusqu'à Québec. Il passa l'hiver parmi les sauvages; puis il revint en France au mois de juillet. Dans le compte qu'il rendit de sa navigation au roi, nous lisons une phrase qu'il est à propos de citer, parce qu'au début de nos grandes découvertes, elle est une expressión nette de l'esprit de la colonisation françoise dans ces parages Maintenant le temps me semble se préparer auquel nous verrons notre sainte foi portée de votre France orientale en l'occidentale d'outremer; à l'effet de quoi a été faite la présente navigation par votre royal commandement ès terres non encore à nous connues. >>

Voilà le but essentiel auquel tendoient ces courageuses et nous sommes tentés de dire dévotes entreprises; voilà l'effet qu'on s'en promettoit faire entendre aux sauvages la parole de l'Evangile et les convertir à la religion catholique. C'étoit la pensée commune, c'étoit le vœu unanime du roi qui ordonnoit les expéditions, des capitaines qui les commandoient, des matelots qui y servoient, des seigneurs et des marchands qui en faisoient les frais, des prêtres et des religieux qu'y appeloit une sainte vocation. Champlain a, dans ses écrits, quelques lignes admirables qui résument les sentiments de tous les fondateurs, à divers titres, de nos colonies améri

caines « Le salut d'une seule âme vaut mieux que la conquête d'un empire; et les rois ne doivent songer à étendre leur domination dans les pays où règne l'idolâtrie, que pour les soumettre à Jésus-Christ. » Nous verrons qu'à toutes les époques l'œuvre évangélique a été un dessein prémédité de la colonisation.

Jacques Cartier, malgré la gloire de sa découverte, malgré son heureux essai d'un hivernage sur les bords du fleuve de Saint-Laurent, ne retourna au Canada qu'en 1541. Revenu en France, il avoit eu à se défendre contre la jalousie, contre l'envie, contre la sottise; et il ne l'avoit pas fait avec un entier succès. Pourtant il comptoit parmi ses protecteurs les plus autorisés, François de la Roque, sieur de Roberval, celui que François Ier avoit surnommé le petit roi de Vimeu. C'étoit un vaillant soldat et un politique habile. La cour le tenoit en grande estime pour la vigueur de ses actions et pour la sagesse de ses conseils. Après bien des luttes et des hésitations, l'opinion favorable à la poursuite des entreprises d'outremer prévalut enfin. Roberval fut nommé, en 1540, gouverneur général des pays récemment découverts et de ceux qu'on espéroit justement découvrir encore.

Son premier soin fut de choisir Jacques Cartier pour commander ses vaisseaux, avec le titre de capitaine général et de maître pilote. La commission du valeureux Malouin est datée de Saint-Pris le 17 octobre et du règne de François Ier la 26° année. Le roi y dit que des rivages américains ‹ lui auroient été amenés divers hommes qu'il a tenus longtemps en son royaume, les faisant instruire en l'amour et crainte de Dieu et de sa sainte loi et doctrine chrétienne, en l'intention de les faire ramener ès-dits pays en compagnie de bon nombre de ses sujets de bonne volonté, afin de plus facilement induire les autres peuples d'iceux pays à croire à notre sainte foi; que semblablement Jacques Cartier lui en a

adressé aucun nombre qu'il a par longtemps fait vivre e instruire en notre sainte foi avec sesdits sujets; » qu'en conséquence il a résolu de le renvoyer au Canada « afin de mieux parvenir à faire chose agréable à Dieu, notre créateur et rédempteur, et qui soit à l'augmentation de son saint et sacré nom et de notre mère sainte Église de laquelle il est dit et nommé le premier fils. »

Pourquoi Roberval ne s'embarqua-t-il pas sur les vaisseaux de Jacques Cartier ? Nous ne le savons pas. Il ne se mit en mer que dix-huit mois environ après le départ de son maître pilote qui, pressé par la disette, revenoit en France quand il le rencontra à Terreneuve dans le cours de l'année 1542. Il lui donna ordre de le suivre; mais Jacques Cartier profita de la nuit pour se séparer du gouverneur et continua de faire voile vers les côtes de la Bretagne qu'il atteignit heureusement. Roberval arriva donc seul à Québec.

La guerre avoit recommencé dans cette même année 1542, entre François Ier et Charles-Quint, à l'occasion du meurtre commis par Dugast, gouverneur du Milanois, sur les personnes de Rançon et de Frigose, ambassadeurs françois à Venise et à Constantinople. Le roi, dans ces circonstances, eut besoin de Roberval; il le rappela. Ce fut seulement sept ans après, c'est-à-dire en 1549, sous le règne de Henri II, que le gouverneur général put reprendre ses projets de colonisation. Il entreprit un second voyage dont il se promettoit les plus heureux succès; mais il y périt sans qu'on ait jamais pu savoir où ni comment.

Des guerres de l'Empire, la France tomba dans les guerres de religion. Troublée profondément dans les conditions essentielles de son existence, déchirée par les factions, mutilée par les batailles, son sang couloit par de larges plaies; elle n'en avoit plus assez, s'il est permis de dire ainsi, pour arroser dans des contrées lointaines la divine semence de

l'Évangile. Toutefois l'ardeur des découvertes ne se perdit pas entièrement. Le règne de Charles IX vit en effet les expéditions de Ribaut, de Londonière et de de Gourgues aux terres de la Floride... Henri III songea à reprendre possession des rives du Saint-Laurent, sur lesquelles le commerce des pelleteries et la grande pêche continuoient d'appeler l'attention. Il accorda au marquis de la Roche le gouvernement du Canada avec le titre de lieutenant général.

Mais les temps étoient trop mauvais encore. Il fallut attendre que la paix fût solidement rétablie par tout le royaume. En 1598, le marquis de la Roche reçut de Henri IV la confirmation du titre et des fonctions qu'il avoit obtenus du dernier des Valois. Sa commission est datée de Paris le 12 janvier. Elle lui assignoit pour but principal de ses travaux «< la sainte œuvre de la conversion des indigènes et agrandissement de la foi catholique. Elle l'autorisoit, dit M. Garneau, à prendre dans les ports de France les navires, capitaines et matelots dont il pouvoit avoir besoin, à lever des troupes, à faire la guerre, à bâtir des villes, à promulguer des lois, à concéder des terres aux gentilshommes à titre de fief, enfin à régler le commerce laissé sous son contrôle absolu.

Avec celte toute-puissante autorité, il ne parvint cependant à réunir que soixante hommes, ramassés sans choix dans la fange des cités. Il arma un petit navire d'un si faible tonnage que Poutrincourt, écrivant à Lescarbot, a pu dire que, des bords de sa barque, il lavoit ses mains dans la mer » ; et il partit. Les vents le conduisirent assez rapidement aux rivages acadiens; mais, arrivé là, il ne savoit pas encore sur quel point de la côte il jetteroit les fondements de la nouvelle colonie. Il n'avoit qu'une médiocre confiance dans ses compagnons, dont quelques-uns étoient des repris de justice. Il crut en conséquence convenable

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