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l'un des 26 (les administrateurs du Finistère), avait subi la même torture (1). »

Et si l'on doit ajouter foi à la pétition présentée à la Convention, le 11 frimaire an III, par des Brestois, le cit. Ance avait, sur l'échafaud, «composé UN PARTERRE avec les têtes de ces 26 suppliciés (2). »

Le dernier incident concerna mademoiselle de Forsan, ou plutôt son cadavre. Réduit à la vérité la plus stricte, il constitue l'une des grandes monstruosités de la Terreur; Génissieux (3) n'a fait que l'indiquer dans son rapport.

Modeste-Emilie de Forsan, religieuse, à Morlaix, âgée de 27 ans, avait été, le 12 thermidor, condamnée avec trois autres femmes de cette ville, pour avoir caché le capucin Yves Mével (4), qui fut aussi, et le même jour, livré à l'exécuteur.

« Quatre cadavres, sur cinq, dit M. Du Châtellier (5), furent menés au cimetière... Un, celui de la jeune de Forsan, fut porté... où? A la salle de dissection... Horreur, horreur et anathème sur le juge Palis qui s'était entendu, avec Ance, sur cette affreuse destination. Horreur, sur leur crime à tous, car, par les fentes et les anfractures de la porte, de jeunes élèves en chirurgie virent tout ce qui se passa, et c'est de l'un d'eux, homme très-grave et très-digne, qui a été longtemps à la tête d'une des administrations du Morbihan, que nous tenons les détails très-circonstanciés de ces atroces infamies que tout Brest a redites et qu'on croirait empruntées à une horde de cannibales! >>

Il ne paraît pas, néanmoins, que la profanation abominable de Palis eût été aussi complète que la tradition le rapporte; il n'y aurait eu qu'un obscène et curieux attouchement (6)

(1) Brest sous la Terreur, p. 197.

(2) Moniteur du 13 frimaire an II, p. 309.
(3) Moniteur du 20 prairial an i, p. 1049.
(4) Archives de l'Empire, W, carton 542.
(5) Brest sous la Terreur, p. 132, 133.
(6) Lettre de M. le président Goüin, déjà citée.
15e année. Janvier-Février 1869. - Doc.

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du juge révolutionnaire libertin, à qui l'infortunée religieuse avait osé résister dans la prison.

Le tribunal continua de siéger jusqu'au 24 thermidor. Le 15, il envoyait à la Convention une adresse de félicitation sur le 9 thermidor! Le 19, il prononçait encore une condamnation à mort (Belval); le 24, une à la déportation; ce fut son dernier jugement (1). Un arrêté du Comité de salut public, du 25 thermidor (2), portait que Ragmey cesserait ses fonctions et que ses papiers seraient visités. Le tribunal fut supprimé par un autre arrêté, du 16 vendémiaire an 11 (3), de la main de Merlin de Douai, l'auteur de la loi sur les suspects.

Le 5 pluviôse an 11 (24 janvier 1795), une députation de Brestois vint signaler à la Convention la conduite sanguinaire de Donzé-Verteuil. La pétition, vivement appuyée par le représentant Blad, fut transmise au comité de sûreté générale (4), et, le 16 prairial suivant, sur le rapport de Genissieux, dont j'ai cité plusieurs passages, un décret renvoya devant le directeur du jury d'accusation de Brest, dix-neuf juges, jurés ou greffiers du tribunal révolutionnaire (parmi lesquels Ragmey, président, Donzé-Verteuil, accusateur public), plus l'exécuteur Ance (5).

Je n'ai pu savoir quel fut le résultat de cette poursuite (6). Il paraît que Ragmey et quelques autres juges ou jurés ses complices, ayant quitté Brest, ne furent pas arrêtés. Ceux qui étaient détenus, n'étant pas encore jugés en vendémiaire

(1) Registre du tribunal de Ragmney, déjà cité.

(2, 3) Archives de l'Empire, AF, 22.

(4) Moniteur du 7 pluviôse an I, p. 523.

(5) Idem du 20 prairial, p. 1049.

(6) Lettre de M. Derome, procureur impérial à Quimper, du 4 mars

1861.

an iv, furent mis en liberté, en vertu du décret du 22 de ce mois, « qui défendit les poursuites portant sur des délits non spécifiés par les lois pénales et ordonna la mise en liberté des individus accusés à ce titre. » Le 1er brumaire suivant, Donzé-Verteuil, détenu à Evreux, écrivait au comité de législation pour réclamer son élargissement (1). Tous se perdirent ensuite dans la foule.

Ragmey a fini ses jours, paisiblement, vers 1837, dans un faubourg de Paris; il n'y était ni isolé, ni dépourvu de relations honorables, même élevées (2). Comme beaucoup de ses contemporains et de ses émules, il essayait de pallier ses fautes, au moins à ses propres yeux.

« L'histoire, disait-il, nous maudira pendant longtemps; elle vouera nos noms à l'exécration publique. Cela se comprend; je ne veux pas m'en plaindre. Il me suffit de pouvoir me dire à moimême, que je n'ai jamais été autre chose qu'un juge consciencieux, et que je n'ai prononcé que des peines motivées par des faits et des actes que punissaient les lois de l'Etat (3). »

Ragmey avait pu lire, dans le Moniteur, le rapport de Génissieux sur le tribunal et les juges consciencieux de Brest; mais il avait dû l'oublier!

Après le tribunal de Brest, celles des commissions de l'Ouest dont je n'ai point encore parlé, n'offrent pas, Rennes et Noirmoutier exceptées, beaucoup d'intérêt ; je ne saurais, néanmoins, les omettre.

CH. BERRIAT SAINT PRIX,
Conseiller à la Cour impériale de Paris.

(1) Idem de M. Levot, conservateur de la bibliothèque du port de Brest, du 28 mars 1861.

(2, 3) Je tiens ces détails d'un témoin que je ne suis pas autorisé à fair connaître, mais dont la position et le caractère m'inspirent une entière confiance.

II. RÉFLEXIONS RELIGIEUSES

DE MICHEL DE MARILLAC, GARDE DES SCEAUX,

SUR SON ARRESTATION.

Michel de Marillac, fils de Guillaume de Marillac, contrôleur des finances, étoit neveu du célèbre diplomate de ce nom, archevêque de Vienne, mort en 1560, et frère consanguin du maréchal de Marillac, l'une des plus illustres victimes de la politique implacable de Richelieu. D'une piété fervente, Michel, entré dans la carrière judiciaire, avoit été ligueur, mais ligueur promptement ramené à l'autorité royale. Successivement conseiller au parlement, membre des requêtes et conseiller d'Etat, il dut à la haute recommandation de la reine mère, Marie de Médicis, alors toutepuissante, la faveur du cardinal Richelieu. En 1624, il fut un des directeurs des finances, et, deux ans plus tard, garde des sceaux, après la disgrâce du chancelier d'Aligre. Associé à la politique du ministre, il prit part à toutes les mesures qui pouvoient remettre sur pied l'autorité royale, et c'est dans ce but qu'il avoit préparé son Code qui atteignoit par de sévères réformes la juridiction ecclésiastique, les revenus, l'administration de la justice, le droit civil et criminel, etc., etc. Mais le vertueux magistrat avoit compté sans la résistance du Parlement, qui refusa d'enregistrer l'édit, qu'il flétrit du sobriquet de Code Michau. Malgré sa coopération à ses œuvres, Richelieu n'aimoit pas Marillac, dans lequel il pressentoit le successeur que lui destinoit la reine-mère. Aussi son crédit devoit-il ne pas survivre à celui de Marie de Médicis. Un des principaux acteurs de la fameuse journée des Dupes (11 nov. 1630), Marillac fut disgrâcié, au moment où, dit-on, il attendoit que le roi l'envoyât prendre à Versailles, pour lui confier toute l'autorité qui' sembloit quitter Richelieu. Le lendemain, Marillac remit les sceaux à M. de la Ville-aux-Clercs, et fut conduit au château de Caën, d'où on le transféra à Lisieux, puis à Châteaudun. C'étoit bien lui, dit Sismondi, que Richelieu regardoit comme le représentant de la politique opposée de la sienne, et l'âme du conseil de la reine-mère; mais on ne pouvoit fonder une accusation sur les opinions qu'il avoit loyalement émises au conseil du roy, et son intégrité le tenoit à l'abri de tout autre reproche. >> Marillac ne fut point mis en jugement, mais il mou

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rut en prison, à Châteaudun, le 7 août 1632, trois mois après son frère, l'infortuné maréchal. A peine laissoit-il assez de biens pour subvenir aux frais de ses funérailles.

On a plusieurs ouvrages de Michel de Marillac: Examen des remontrances et des conclusions des gens du roi sur le livre du cardinal Bellarmin, 1611, in-8.— De l'érection des religieuses du MontCarmel en France, 1622-1627, in-8. — Les Psaumes, traduits en vers françois, 1625. - Relation de la descente des Anglois dans l'ile de Rhé, 1628, in-8. Enfin, une traduction anonyme de l'Imitation de Jésus-Christ souvent réimprimée, et notamment, en ces derniers temps, par les soins de M. de Sacy, dans la jolie Bibliothèque spirituelle du libraire Techener. - Le morceau qu'on va lire est empreint d'une résignation toute chrétienne et d'un sentiment de mysticisme plus ordinaire chez un religieux que chez un homme d'Etat. Il nous est communiqué par le docte M. Rathery, comme extrait d'un manuscrit du temps hors de toute suspicion. Cet écrit n'ajoutera rien à la gloire de l'auteur, mais il laissera entrevoir un côté de la vie intime de ces hommes d'Etat du XVIIe siècle, que l'on est trop disposé à croire imbus de principes d'incrédulité et de libre pensée, dont notre époque fait profession et parade.

Jésus + Maria

Lisieux, 26 décembre 1630.

Je ne doubte point que l'on ne fasse divers jugemens de l'action qui s'est passée, en laquelle il a pleu au roy retirer les sceaux de mes mains, et de ce qui s'est ensuivy, m'ayant fait conduire à Caen, puis ramener à Lisieux, par son exempt et ses archers, en la garde des quels Sa Majesté m'a mis. Je ne parlerai point du subject de ce changement, de la manière de l'action et de ma conduite et garde; cela mérite un discours à part et tout séparé de celuy cy.

J'estime qu'il a esté très à propos que Sa Majesté retirast de mes mains les sceaux et les ayt envoyé quérir, plus tost que de les recevoir quand, plusieurs fois, je l'en ay suplié, parceque j'aurois encouru le blasme de plusieurs qui ne trouvoient pas à propos que je me deschargeasse; et sy je l'eusse

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