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Parmi les 12 jurés :

Trois étaient officiers du vaisseau l'América;

Trois du bataillon montagnard de Paris, dont le caporal Combaz, âgé de 21 ans;

Deux du comité révolutionnaire de Brest.

Le 22 ventôse, deux jours après l'arrivée de Ragmey et de Verteuil, eut lieu la première séance dans laquelle Hervé-Broustail fut condamné à mort (1). Un grand nombre d'autres victimes suivirent.

Le Gouy, quartier-maître à bord de l'Impétueux, condamné le 26 ventôse, fut exécuté, au milieu de la flotte, en rade sur le pont d'une gabare, où avait été installée spécialement la guillotine. « Ance, dit M. Du Châtellier (2), prit la tête du supplicié et la montra successivement à tous les vaisseaux, que l'on avait rapprochés de la gabare. >>

Le 3 floréal, étaient condamnés à mort 26 des 30 administrateurs du département, traduits pour « conspiration contre l'unité de la république.» Leurs défenseurs furent interrompus et menacés par le président Ragmey; l'exécution eut lieu le même jour (3). Donzé-Verteuil eut soin d'informer les Jacobins de Paris de cette expédition (4).

Gabriel Moreau, juge à Morlaix et le père de l'illustre général, fut une des dernières victimes du tribunal; sa condamnation eut lieu le 13 thermidor. Le 5 pluviôse an III (5), un des fils Moreau déclara à la Convention que cet infortuné n'avait pu se défendre; que son acte d'accusation ne lui avait été notifié que la veille, à 9 heures du soir, et qu'on l'avait contraint d'éteindre sa lumière avant d'avoir achevé d'écrire sa justification. Ce fils ajouta que, le jour même de l'exécution

(1, 2) Brest, etc., p. 114, 139.

(3) Brest, etc., p. 183, 185.

(4) Monit. du 23 messidor an II, p. 1197. (5) Moniteur du 7 pluviôse an 11, p. 523.

de son père, son frère, le général, ajoutait aux conquêtes de la République le fort Lécluse et l'île de Cadsand (1).

Du 21 pluviôse au 24 thermidor, le tribunal de Brest prononça 71 condamnations capitales et 28 à la déportation, aux fers ou à la réclusion; 70 accusés furent acquittés (2).

Sur le personnel de ce tribunal, sur sa manière de juger, sur certains incidents ou affaires, la tradition et des documents authentiques nous ont conservé des détails qui doivent être aussi publiés.

Ragmey, le président, était une tête carrée et énergique ; il n'était pas dépourvu d'instruction. Il y a de lui, au dossier de Laurent Rivière, prisonnier anglais condamné à mort, le 24 messidor, une consultation où est examinée la question de savoir si un étranger doit supporter l'application des lois révolutionnaires établies en France (3).

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Quand aux juges, on tenait Lebars, pour violent; - Palis, pour cruel et libertin; Pasquier était le plus inaperçu. Tous, à l'exception de Ragmey, passaient ensemble la soirée autour des bouteilles de quatre heures et souvent avec leurs maîtresses. Parfois Ance, l'exécuteur, se réunissait à eux, et il fallait bien l'accepter (4).

Ragmey, Donzé-Verteuil, avaient apporté au tribunal de Brest les plus impitoyables traditions de celui de Paris. On

(1) Ce rapprochement n'est pas exact, pour le fort Lécluse, pris seulement le 10 fructidor; mais l'île de Cadsand avait été enlevée, par Moreau, le 10 thermidor, trois jours avant l'exécution de son père. Victoires et Conquêtes, 1817, t. 3, p. 137 et 109.

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(2) Dossiers du tribunal de Brest; Archives de l'empire, W., cartons 542 à 544. Registre du tribunal de Ragmey, communiqué, en avril 1863, par M. le président du tribunal de Brest.

(3) Archives de l'Empire, W, carton 542.

(4) Lettre de M. Goüin, président du tribunal de Brest, du 7 avril 1863.

trouve, dans le rapport de Génissieux à la Convention, que j'ai déjà cité, d'affreux détails à cet égard.

<< Deux des juges et trois des jurés étaient, en même temps, membres du comité révolutionnaire; tous l'étaient de la société populaire de Brest... D'où la conséquence que les affaires dénoncées dans la société, appréciées par le comité, puis jugées par le tribunal, trouvaient, souvent, dans le même individu, le dénonciateur, l'officier de police judiciaire et le juge souverain (1).

Les détenus, traités, d'ailleurs, avec inhumanité, ne pouvaient faire parvenir aucune réclamation au dehors. On leur signifiait leur acte d'accusation la veille de l'audience, à l'heure où, dans la prison, la lumière était interdite; ils paraissaient, de grand matin, devant le tribunal, sans avoir eu le temps de se recueillir ni de préparer leur défense (2).

› Aux débats, les témoins à charge étaient toujours les bienvenus; quelque absurdes ou fausses que furent leurs dépositions on ne les rejetait jamais; les témoins à décharge étaient entendus en masse, interrompus, intimidés, même bafoués (3).

« Les défenseurs étaient moins favorisés encore; on fixait le temps pendant lequel ils devaient parler; le président les arrêtait à tout propos (4).

< Les jurés laissaient apercevoir leurs dispositions malveillan→ tes; les juges entretenaient une conversation par signes avec eux (5).

<< Souvent les charrettes étaient amenées, les cordes coupées, les instruments de supplice préparés avant que les débats fussent fermés. L'exécuteur prenait des mesures si justes que l'on présumait qu'il connaissait d'avance le nombre des condamnés (6).

<< Lorsque la délibération des jurés se prolongeait, le tribunal leur dépêchait son président, et un instant après les jurés reparaissaient, non pour absoudre, mais pour condamner (7).

<< La guillotine était établie sur une place tellement voisine des prisons, que les détenus pouvaient, de leurs chambres, compter les têtes abattues (8).

A l'appui de ses appréciations, Génissieux (9) rappelle des

(1 à 5) Rapport de Génissieux, Moniteur du 20 prairial an п, p. 1048. (6) C'est ce qui avait lieu au tribunal de Paris, où Ragmey et Verteuil avaient siégé.

(7 à 9) Rapport de Génissieux, Monit., p. 1048, 1049, déjà cité.

affaires jugées par ce tribunal : celle du sieur Prigent, juge de paix; de Cadiou, président; du cit. Raby (1). Les dossiers de la première et de la troisième sont aux Archives de l'empire (2); je m'y suis assuré de l'exactitude du récit de Génissieux.

Les nombreux dossiers de Brest, conservés dans ces archives, révèlent un procédé de Ragmey que je ne dois pas omettre. Dans tous ces dossiers on trouve la feuille des questions soumises au jury et signée de Ragmey; dans AUCUN il n'y a trace des réponses, visées, pourtant, dans le jugement (3). Dumas, Coffinhal, ces juges-bourreaux, les maîtres de Ragmey, à Paris, faisaient écrire par le greffier, puis ils signaient les réponses du jury. Ragmey, à Brest, n'a jamais rempli la formalité. Qui nous garantit que les malheureux condamnés eussent tous été déclarés coupables (4)?

.

Le tribunal révolutionnaire de Brest fut aussi saisi d'accusations étranges; une affaire, échappée à M. du Châtellier, en est un exemple, et mérite assurément une mention particulière.

Après l'échouement (30 ventôse an 11), dans la rade de Cherbourg, de la frégate la Carmagnole, un volontaire de garde, au fort voisin de Querqueville, trouva, sur la plage, près de la frégate, une cocarde blanche! Cette découverte fut suivie d'une enquête, et l'on apprit qu'en mer, Charles Rogueur, capitaine d'armes de la frégate (et qui chantait et composait des chansons patriotiques) avait eu, dans une petite boîte, au fond de son coffre, trois cocardes blanches. Des camarades l'avaient engagé à les brûler ou jeter à la mer, ce qu'il ne fit pas, ayant, dit-il, l'intention de les convertir en cocardes nationales, en y ajoutant du rouge et du

(1, 2) Dit rapport.

(3, 4) Archives de l'empire, W, cartons 542-44.

bleu. Une information eut lieu à la suite de laquelle Jean Bon Saint-André et Prieur de la Marne, qui se trouvaient alors à Brest, renvoyèrent devant le tribunal de Ragmey, comme accusés d'un «délit contre-révolutionnaire, Rogueur et QUINZE autres officiers ou marins de la Carmagnole, parmi lesquels trois lieutenants et trois enseignes de vaisseaux. Heureusement, à cause de la distance, la translation de ces marins prit du temps; l'affaire ne fut jugée que le 22 thermidor; la chute de Robespierre était connue; tous ces accusés furent acquittés (1).

Voici, maintenant, divers incidents que présentèrent les exécutions, et sans lesquels ma chronique serait incomplète.

<< Tous les hommes, jeunes et vieux, dit M. Du Châtellier (2), portèrent sur l'échafaud cette ferme et courageuse résolution qui devint, à chaque exécution, comme une éclatante protestation contre les excès de leurs ennemis.

<< Aucune exécution cependant ne fut, à ce qu'il paraît, plus émouvante que celle des jeunes Le Bronsort et Toullec, administrateurs de la ville de Brest, qui moururent pleins de vie, au milieu de leurs concitoyens auxquels ils avaient rendu de signalés services.

« Quoique l'on fût aux plus longs jours de l'année (25 messidor), leurs bourreaux, pour échapper en partie, du moins, à l'animadversion publique décidèrent que leur exécution n'aurait lieu que de nuit. C'est donc aux flambeaux qu'il montèrent sur l'échafaud. Le Bronsort (condamné sans qu'il y eût eu ni défense, ni audition de témoins) fut le premier à passer par les mains de Ance. A l'instant où l'on déliait les mains de Toullec, pour le placer, après, sur la bascule, une partie des torches, portées par les aides, vint à s'éteindre. Mais, je n'y vois plus, dit Ance. Voilà, dit Toullec,» saisissant la torche de l'un des aides. Pour prix de cette fermeté, Ance laissa retomber le couteau, jusqu'à trois fois, sur la tête de Toullec. C'était un des jeux de ce monstre, quand une victime montrait trop de courage. Merienne,

(1) Dites Archives, ibid., carton 542.

(2) Brest sous la terreur, p. 197.

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