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J'ay priė M. des Noyers de vous faire expédier une commission particulière pour le commandement de l'armée de Hollande, ce qu'il m'a permis de faire et témoigné une trèsgrande passion à vous servir. Il vous escrira par mon retour.

Le duc de Parme passe icy pour galand homme (1) et est régalé magnifiquement. S. Em. commença mardy à le traiter, et luy donna la comédie où assista le pur Paris, les dames de la cour se réservant pour paroistre dimanche chez mademoiselle.

Aujourd'huy le Roy a faict faire l'exercice au régiment des gardes dans le bois de Boulogne, en présence de ce duc. La Reyne s'y est trouvée avec les dames de la ville dans quatre ou cinq cents carosses.

Le comte de Guiche arrive aujourd'huy, et dans cinq ou six jours M. le card. de la Valette, lesquels ont heureusement ravictuaillé les places d'Alsace sans résistance.

Mons. Mazarini partira dans huict jours, à ce qu'il m'a dit, pour Avignon, s'il ne trouve en chemin la permission d'aller pour deux mois à Rome, laquelle il a demandée au Pape et qu'il espère d'obtenir. Il se publie partout vostre obligé et vostre serviteur. Il vous adressera par M. de Chavigny des essences, lesquelles il croit que l'on aura retenues à Avignon sur le bruit de son départ, et par moy des gands de fleurs. Je ne souhaite rien tant au monde que d'estre bientôt auprès de vous et d'estre assez heureux pour vous témoigner avec combien de passion, etc.

A Paris, ce 22 febvrier 1636.

BOUTARD.

10. BOUTHILLIER A M. DE Brézé.

L'année 1636 ne fut pas fort heureuse pour les armées françoises. « On laissa, » dit Bayle, « tellement évanouir l'une des plus

(1) Rainuce-Farnère II, un des plus fermes alliés de la France:

belles occasions de mener les affaires des Espagnols dans le PaysBas, qu'ils vinrent ravager la Picardie; de sorte que le maréchal de Brézé eut la honte et le chagrin de n'avoir pu empêcher qu'ils ne forçassent à sa barbe les passages de la Somme. Cette disgrâce n'empêcha point qu'il obtint le gouvernement d'Anjou et celui du château d'Angers cette même année (1).

On lira avec plaisir, sur ce sujet, une lettre de Boutillier.

Monsieur,

De Senlis, ce lundy matin, 22 septembre 1636.

Je receus seulement avant-hier au soir vostre dernière du 12o de ce mois. Les dates du pouvoir du gouvernement d'Anjou, et de la ville et château d'Angers que je vous envoie avec les depesches nécessaires en suite vous feront congnoistre que cet affaire m'estoit un soing particulier. Je vous doibs dire que mons. de la Vrilière n'en a pas manqué non plus, aiant receu le commandement du Roy comme il falloit. Vous luy adressérez, s'il vous plaît, la lettre de remerciments à Sa Majesté avec la response à celle qu'il vous escript. Je lui mestray vostre pacquet entre les mains, l'ordre et son affection le voulant ainsy. Je vous supplie de mettre dans vostre lettre de remerciments à monseigneur le cardinal que je vous ay envoyé le tout de sa part, et que je vous ay faict mander les conditions qu'il m'avoit commandé de vous escrire, lesquelles vous observerés toujours ponctuellement, etc. Il dépend de vous d'expliquer ou non. S. Em. m'a dit expressément que je vous fisse sçavoir qu'il n'y aura que cinquante hommes de garnison dans le chasteau d'Angers, sans me parler des gardes qui feront un bon service. J'eusse avisé M. de la Vrilière de vous envoyer le tout par un exprès de la part du Roy; mais vous n'eussiez eu qu'un courrier, n'y ayant point de gentilhomme qui voulust

(1) Dictionnaire, art. Brézé.

désemparer, de sorte que j'ay cru debvoir recevoir la chose comme M. la Vrillière la faisoit.

Sa Majesté part ce matin à huict heures, et va demain coucher à Roye (1) qui a esté repris sur les ennemis après avoir enduré le canon. La place s'est trouvée bien meilleure. qu'on ne la croioit. Depuis, le chasteau de Moreuil (2) qui est extrêmement fort a esté aussi repris par M. de SaintPreuil qui l'a pétardé et a fait en cela une très-belle et trèshardie action. Monsieur est parti, il y a plus de huict jours, avec la plus grande partie de l'armée qui a faict que les ennemis se sont retirés et ont repassé la Somme en grand désordre. Il y a tout sujet d'espérer qu'avec l'ayde de Dieu, ils ne garderont pas longtemps le reste de leur conqueste. Sa Majesté marche après Monsieur avec un corps très-considérable. Toute son armée est trés-puissante, composée de plus de 30 mil hommes de pied, et 12 mil chevaux. Jamais ne fut faict une si grande armée en si peu de temps. Selon toutes les apparences, nous aurons nostre revanche. Nostre artillerie marche, nostre pain de munition est assuré, et nous espérons que rien ne nous manquera.

Nous partons tous ce matin avec le Roy, de sorte qu'estant prêt de monter à cheval, je ne vous ferai plus longue lettre, sinon pour vous conjurer de m'aimer tousjours et de croire que je serai, etc.

BOUTHILLIER.

(1) Ville du département de la Somme.

(2) Chef-lieu de canton du même département.

(La suite prochainement.)

IXX. - BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

PUBLICATIONS DE M. P. CLÉMent.

M. P. Clément ne s'endort pas sur les coussins du fauteuil académique et nous sommes bien empêché pour le suivre dans ses multipliés travaux. Nous ne savons plus si nous avons rempli le devoir d'annoncer le cinquième volume de sa belle publication des Letires, instructions et mémoires de Colbert. Ce volume seul méritoit une mention à part et toute spéciale; car c'est là que se révèle la haute influence du grand ministre sur le mouvement intellectuel de son époque. Ce volume a pour titre secondaire: Fortifications, Sciences, Lettres, Beaux-Arts, Bâtiments: et ce titre fait entrevoir tout d'abord la part de Colbert aux grands travaux de défense exécutés sous Louis XIV dans les villes frontières du royaume. On sait le pas immense que cette partie de l'art militaire fit avec Vauban dont les tracés devenus les types de la fortification françoise, furent depuis adoptés par l'Europe entière. Dans les arts nous voyons Colbert acquérir les chefs-d'œuvre des grands maître de l'Italie, organiser l'Académie de peinture, l'Académie d'architecture, l'Ecole de France à Rome. Nous assistons à la création de l'Observatoire, à l'agrandissement du Jardin des plantes, à la réorganisation de la Bibliothèque royale, du Cabinet des médailles, etc. Nous le voyons accorder au nom du roi des encouragements aux artistes, aux savants, ou littérateurs françois et étrangers et attirer à Paris les hommes les plus habiles dans tous les genres, et acquérir à notre pays cette prépondérance morale qu'il exerça sur toutes les nations et qui survécut aux victoires et à l'époque de Louis XIV. Ce recueil est précédé d'une large étude sur Colbert pris dans ses rapports avec les artistes et les gens de lettres, et la lecture n'en peut être trop recommandée. Mais les soins apportés à cette grande et utile publication n'ont pas tellement absorbé M. Clément qu'il n'ait su trouver le moyen d'étudier l'histoire de ce temps à un tout autre point de

vue. Il s'agit ici du côté le moins glorieux de la vie du grand roi, de l'histoire de ses relations avec madame de Montespan (1).

En se livrant à ce nouveau travail, M. P. Clément entreprenoit, à notre sens, une tâche assez rude. Il nous sembloit difficile d'écrire quelque chose de nouveau sur ce sujet, après tant d'habiles ou illustres biographes; après Saint-Simon qu'il faut toujours citer le premier quand il s'agit de la deuxième moitié du xvIIe siècle; après madame de Caylus et madame de la Fayette: après mademoiselle de Montpensier et madame de Sévigné; après madame de Maintenon et la princesse palatine: enfin après Bussy-Rabutin, Dangeau, de Sourches, Voltaire, chez les anciens; et chez les modernes, après MM. Fortoul, Capefigue, Arsène Houssaye, et surtout Sainte-Beuve, qui sembloit à lui seul avoir tout réuni, tout condensé, tout dit.

Eh bien! nous n'hésitons pas à le reconnoître, M. Clément s'est tiré d'affaire avec une grande habileté et nous ajouterons avec un plein succès. Disons tout d'abord que son livre n'est ni la copie abrégée, ni l'imitation des travaux de ses devanciers. Sans doute il a tout connu, tout utilisé, et lui-même le proclame par les nombreuses citations dont il indique les sources: mais, habitué des bibliothèques, ayant à sa disposition toutes les sources et sachant les exploiter, M. Clément s'est étayé de toutes les correspondances, de tous les actes, de tous les documents et avec l'habileté de style et la sûreté de critique qui le caractérisent, il a pu donner à son récit, à ses appréciations, un cachet d'originalité, de certitude et d'impartialité qui manque certainement à la plupart des biographes ou des historiens de cette époque. C'est à vrai dire aujourd'hui la seule manière d'écrire l'histoire: non pas que les pièces inédites, les correspondances contemporaines soient exemptes d'inexactitudes, d'exagérations ou d'erreurs : mais il est rare que ces documents ne se contrôlent et ne se redressent les uns les autres, et que de leur rapprochement et comparaison ne jaillisse le dernier mot des choses. M. Clément l'a compris ainsi, et le récit, qu'il nous donne, affirmé par les témoignages les plus irrécusables, ne peut laisser place au plus léger soupçon d'inexactitude ou de partialité. A côté de plus de soixante lettres de madame de

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(1) Madame de Montespan et Louis XIV, étude historique, par Pierre CLÉMENT, de l'Institut. Paris, Didier et Co. 1 vol. fort in-8, p. VIII. Récit, 214; Doc. et table, 467.

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