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Venons maintenant aux commissions de l'île de Noirmoutier et au tribunal criminel des Deux-Sèvres.

Commissions militaires de l'ile de Noirmoutier.

Je ne puis, même brièvement, parler des commissions de Noirmoutier, sans toucher à l'occupation, par Charette, de cette île, et à sa reprise par les républicains; c'est après ces événements et leurs conséquences que l'on peut, non pas excuser, mais comprendre la création de la première de ces commissions et les exécutions épouvantables qui furent son

œuvre.

Successivement occupée par les Vendéens et par les troupes de la République, Noirmoutier étoit devenue, le 12 octobre 1793, la proie de Charette, qui n'y épargna pas les cruautés; les bleus qui étoient à l'hôpital furent massacrés ; 180 volontaires et quelques habitants envoyés à l'île de Bouin, où Pajot les fit fusiller (1).

Après la bataille de Savenay, les représentants songèrent à reprendre Noirmoutier. Une première attaque, par mer, ne réussit pas, et l'on y perdit la frégate la Nymphe. Quelques jours après, le 14 nivôse (2), l'île, abordée par terre, à marée basse, fut emportée, à la suite d'un combat meurtrier. 1,200 Vendéens mirent bas les armes; avec eux étoient dix ou douze chefs, entre autres le généralissime d'Elbée, qui étoit venu, là, se rétablir de ses blessures.

Une commission militaire qui vient d'être créée, écrivoient, le jour même (3), les représentants, va faire une prompte justice de tous ces traîtres. »

« Le nombre des prisonniers brigands est très-considérable, écrivoit, le même jour, le cit. Mancelle; douze chefs sont parmi eux :

(1) Recherches.... historiques sur l'ile de Noirmoutier, par François Piet; 2o édition, publiée par son fils; 1863, 8°, p. 563.

(2,3) Lettre de Bourbotte, Prieur de la Marne, etc. Moniteur du 22 niVôse an II, p. 450.

15e année. Avril-Mai 1869. Doc.

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Tinguy, d'Elbée, etc. On les expédira aujourd'hui en ordonnances pour Louis Capet (1).

Dés le lendemain, 15 nivôse :

Une battue faite dans l'ile, comme dans une chasse aux lapins, fit sortir des bois, des rochers, des souterrains, un déluge de prêtres, de femmes émigrées, de chefs vendéens, outre plus de trois cents soldats brigands. Une commission militaire créée, tous les chefs furent abattus au pied de l'arbre de la liberté ; les 300 soldats subirent le sort des autres (2).

Ces autres, tout l'indique, étoient les 1,200 prisonniers fusillés la veille. Aussi le nombre des rebelles, expédiés par la première commission de Noirmoutier, a-t-il été porté à 1,500 dans les Mémoires (3) d'un ancien administrateur militaire, et à 1,200 par le général Aubertin (4). Je ne donne, bien entendu, ces chiffres, tout plausibles qu'ils soient, que pour ce qu'ils valent, les jugements et papiers de ce tribunal expéditif paraissant perdus.

Cette commission, d'après François Piet (5), qui fut son accusateur public, étoit ainsi composée :

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François Piet (21 ans), accusateur public.

D'après le même, Forẻ était lâche et Tyroco cruel (6). Cette commission condamna à mort plusieurs femmes: Mme d'El

(1) Moniteur, Ibid.

((2) Lettre de Bourbotte, etc., du 19 nivôse; Moniteur du 24, p. 459. (3) Mémoires sur la guerre de la Vendée, par un ancien administrateur militaire; 1824, 8°, p. 130.

(4) Mémoires du général Hugo, 1823, t. Ier, p. 93.

(5) Recherches, etc., plus haut citées, p. 601.

(6) Ibid, p. 597, 599, 610.

bée, Mme Mourain de l'Herbaudière et deux demoiselles Angibaud-Morinière (1).

A côté de ces juges sanguinaires, se trouvait un auxiliaire ridicule, le général Sabatier-Libre, que François Piet nous a fait connaître.

Le général Sabatier (de l'école des Léchelle, des Rossignol, des Ronsin, etc.) étoit un ancien guichetier des prisons de Nevers, dit Mutius-Scévola, dit Sabatier- Libre, plus connu sous le nom du général Là-ou-Là. Ce sóbriquet lui étoit venu de son cachet, où l'on voyoit gravés la Liberté et la Mort, et, entre les deux figures, ces mots : Là ou Là. Il avoit le portrait de Robespierre en miniature et le baisoit, en discourant à la tribune du club.

Sur la grande place de Noirmoutier, il fit élever une montagne en face de sa demeure; les habitants et jusqu'aux femmes y travaillèrent.

La nouvelle du 9 thermidor arrive; Là-ou-Lả va, au club, déclamer contre Robespierre, et puis, publiquement, brise son portrait (2).

La commission Collinet interrompit ses fonctions; à quelle époque, je l'ignore. Ce qui est certain, c'est qu'elle fut réinstallée le 15 floréal, avec les mêmes membres, et en vertu de deux arrêtés, l'un de Hentz et Francastel (3), l'autre de Prieur de la Marne (4). Du 16 floréal au 26 prairial, elle tint huit séances où furent prononcés 26 condamnations à mort et de nombreux acquittements (5). Trop nombreux, sans doute, car, dès le 22 prairial, pour donner à ses jugements une nouvelle activité, » Bourbotte et Bô, de Nantes, renouvelèrent entièrement son personnel, qui fut alors composé de membres de la commission Félix et de commissaires recenseurs d'Angers. J'ai parlé de cette deuxième commission de

(1) Ibid., p. 597, 595, 619.

(2) Ibid, p. 612.

(3, 4) Arrêtés du 22 germinal et du 11 floréal; greffe de Nantes, extraits de M. Lallié.

(5) Même greffe; dits extraits.

Noirmoutier dans mon vie article (1) et n'ai donc plus, pour l'Ouest, à m'occuper que du dépt des Deux-Sèvres..

Tribunal criminel de Niort.

Le tribunal criminel de ce département, séant à Niort, eut à juger révolutionnairement plus de 200 personnes. Sur ce nombre, il y eut environ 100 acquittements. 4 accusés furent condamnés à la déportation, 4 aux fers, 10 à la détention jusqu'à la paix, 80 à la peine de mort (2). La première condamnation capitale (3), celle de Louis Hayer, est du 1er avril 1793; la seconde, Morineau, est du 4 brumaire, environ sept mois après. Dès ce moment les condamnations semblables se multiplient : 7 en brumaire, 12 en frimaire, 6 en nivôse, 31 en pluviose, 16 en ventôse, 3 en germinal; en floréal et prairial 2 seulement.

La plupart des condamnations furent motivées par des actes de rébellion; cinq, en outre, pour assassinat el trois pour émigration. Parmi les condamnés étoient 7 femmes et 3 ecclésiastiques; ceux de condition obscure formoient l'immense majorité (4)..

Tels furent les résultats principaux des jugements révolutionnaires dans les Deux-Sèvres. Ce que je ne saurois trop faire ressortir, c'est la modération, la conscience, l'indépendance dont firent preuve les membres du tribunal criminel

(1) Cabinet, 1865, p. 155.

(2,4) Copies authentiques de 67 jugements du tribunal civil de Niort ; Archives de l'Empire, BB. 72. 2; - Extraits des registres de ce tribunal, par M. E. Dacier, archiviste des Deux-Sèvres.

(3) Je n'ai pas compris dans cette notice les affaires antérieures au commencement de janvier 1793, et qui avaient pour objet des troubles graves à Moncoutant et dans des communes voisines; le tribunal avait été assisté d'un jury et, de plus, des jugements avaient été déférés à la Cour de cassation, qui en avait cassé deux (Delouche et Léger). La justice révolutionnaire dans les Deux-Sèvres, par M. A. Proust, 1869, 80. p. 3-25.

de Niort; qualités bien rares, la dernière surtout, et à une telle époque!

Non-seulement ce tribunal eut soin, pour s'éclairer, de recueillir des renseignements sur les accusés, et au plus fort de la Terreur, mais il ne craignit pas de signaler au Ministre de la justice la multiplicité et la légèreté des arrestations opérées par les autorités révolutionnaires et l'illégalité des fusillades sans jugement; voici sa lettre (1):

Niort, le 30 nivôse an II.

Les membres du trib. crim. des Deux-Sèvres au citoyen Gohier, ministre de la justice, à Paris.

Nous te faisons part, citoyen ministre, de nos opérations durant cette dernière décade....

En l'audience de tridi (23 nivôse) il a été prononcé un sursis du jugement des nommés Jean Potiron et Pierre Bernardeau.... prévenus d'avoir été chefs des révoltés; vu que le procès-verbal dressé contre eux par les officiers municipaux de Fenioux, le 12 du courant, ne déposoit pas d'une manière affirmative que les faits fussent constants et que, d'un autre côté, les prévenus ont dénié formellement les faits dans leurs interrogatoires et soutenu que personne n'oseroit les déposer en leur présence....

Le tribunal s'est occupé à se procurer des notes et renseignements sur 26 individus arrêtés comme rebelles, et qui vont de suite être mis en jugement.

Le travail du tribunal ne seroit point interrompu, si les comités de surveillance et tous ceux qui ont cru être en droit de faire arrêter les hommes suspects, avoient eu le soin de dresser des procès-verbaux contenant les motifs de l'arrestation, avec l'indication des témoins; mais il y a eu un tel désordre dans les arrestations, qu'il a été envoyé dans les maisons de détention des individus sur une simple liste où les noms n'étaient même pas énoncés.

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Le tribunal a écrit une circulaire aux administrateurs de Bressuire et de Parthenay, pour les inviter et inviter les comités de surveillance de leurs districts à rédiger des procès-verbaux d'arrestation. Il ignore si ses observations ont produit quelque effet; il est arrivé à Niort, depuis cette circulaire, plus de 180 détenus du district de Bressuire, sans procès-verbaux. Ce n'est donc qu'avec beaucoup de peine que le tribunal parvient à découvrir les plus

(1) Communication de M. Antonin Proust, de Niort.

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