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frontières du territoire des Armoriques, attaquèrent la confédération; il continue ainsi : « Les Armoriques donnèrent alors aux Romains une grande preuve de générosité et de bienveillance; elles soutinrent la guerre avec courage. Enfin, les Germains (les Francs) ne pouvant rien par la force, les invitèrent à s'associer avec eux, et à joindre leurs intérêts: à quoi les Armoricains consentirent avec joie, parce qu'ils étaient chrétiens les uns et les autres. Ainsi réunis en une seule nation, leur puissance s'accrut. Alors les autres soldats romains qui étaient campés à l'extrémité des Gaules, ne pouvant revenir à Rome, et ne voulant pas passer aux Ariens, leurs ennemis, se donnèrent, eux, leurs étendards et le pays qu'ils gardaient pour les Romains, aux Armoriques et aux Germains. Cependant ils ont conserve les mœurs de leur patric. Leur postérité les suit encore (1). »

Cet événement qui est confirmé par plusieurs passages des écrivains de cette période, eut lieu l'an 497 (2), c'est-à-dire un an après le baptème de Clovis. Aussi les chroniques ne font mention de la présence de ce prince à Paris, l'une des cités armoricaines, que postérieurement à cette époque. Lisez, cependant, les historiens partisans de la conquête; vous y verrez que ce roi était maître de cette ville, long-temps avant qu'il eût accepté la foi chrétienne. L'on trouve au contraire dans les narrations contemporaines que Paris, pendant dix ans, soutint et arrêta les efforts des Francs (3).

Divers faits, mal interprétés ou mal lus, ont trompé ces historiens; d'abord c'est le passage d'une chronique anonyme, où l'on raconte que vers 494, après son mariage avec Clotilde, Clovis étendit son empire jusqu'aux bords de la Seine. Ils auront conclu de là qu'il avait acquis la cité de Paris. Une lecture plus attentive et plus prolongée du même écrivain leur eût appris qu'il s'agissait seulement de la prise de Melun (4), fait exposé d'ailleurs d'une manière explicite par un autre chroniqueur (5). Ensuite les historiens ont pu se laisser tromper en voyant que Childeric, père de Clovis, passa dans Paris; mais il ne faut pas oublier que ce fût à titre d'hôte, ou comme maître de la milice.

Clovis vint à Paris, en 507, pour lever l'étendard de la guerre qui mit fin à l'empire des Goths, qui occupaient tout le pays en deçà de la Loire (6). «Je supporte avec douleur, dit-il aux siens, la présence de ces Ariens qui tiennent une partie des Gaules. Allons donc, avec l'aide de Dieu, allons les vaincre et conquérir cette terre à notre obéissance (7).» Les chefs de l'armée, applaudirent à ce projet. «Seigneur, s'écria Clotilde, puisque tu fais ainsi, le Seigneur Dieu mettra la victoire dans tes mains. Mais écoute les conseils de ta servante : construisons une église en l'honneur du bienheureux saint Pierre, prince des apôtres, afin qu'il te soit en aide dans cette guerre.» Et le roi dit : « Qu'il en soit ainsi que nous trouvions à notre retour, si Dieu le permet, une église élevée aux bienheureux apôtres (8).»

Le roi, étant sur son départ, reçut une lettre de Remi, évêque de Reims. La voici traduite aussi exactement que possible:

« A l'illustre Seigneur, magnifique par ses mérites, Clovis roi, Remi évêque. La nouvelle nous est parvenue que tu avais pris en main l'administration de la guerre (administrationem secundùm rei bellica). Nous n'avons pas été étonné de te voir revêtir des fonctions qu'ont exercées tes pères. Voici sur quels principes tu dois régler ta conduite, afin que la loi de Dieu ne chancelle point dans ton âme, ni dans tes actes qui, à cause de leur humilité même, ont si glorieusement accru ton renom, car comme on le dit vulgairement, c'est le but qui juge les actions des hommes.

«Choisis des conseillers qui puissent faire honorer ta mémoire; maintiens ton commandement (beneficium) pur et honnête; sois plein de respect pour les prêtres qui sont près de toi, et que leurs avis soient ton unique recours. S'il règne entre eux et toi une parfaite harmonie, ton gouvernement (provincia prospèrera. Donne de la sécurité au peuple qui t'a reconnu; console les affligés; protége les veuves; nourris les orphelins, ou mieux élève-les; afin que tous t'aiment et te vénèrent. Que la justice parle par ta bouche, que rien ne soit exigé ni des pauvres, ni des pèlerins. Ouvre ton prétoire à tous, afin que nul ne s'en revienne avec tristesse. Use libéralement de ton

(1) Rerum gall. et Franc. scrip. t. II, pag. 29.

(2) Rer. franc. script. t. 11, index chronolog.

P 59.

(3) Rer. franc. script. t. 1. p. 370. Le manuscrit d'où cette citation est tirée, existe encore, nous croyons, dans la bibliothèque Sainte-Geneviève.

(4) L. C. t. 11, peg. 550.

(5) L. C. t. 1. p. 8.

(6) L. C. t. 11. p.

553.

(7) Grégoire de Tours, 1., t., 11, p. 181.

8) L, Ct. 1, p. 554.

héritage pour racheter les captifs, et les délivrer du jong de la servitude. Si quelqu'un paraît en ta présence, qu'il ne sente jamais qu'il est un étranger. Joue avec les jeunes hommes; converse avec les vieillards; si tu veux régner, montre-toi noble (Si vis regnare nobilis judicari) (1).»

Ces recommandations, qui se rapportaient à la conduite que Clovis devait tenir dans les nouvelles provinces qui l'avaient reconnu pour chef, plus encore qu'à la guerre contre les Ariens, durent être favorablement accueillies; car tel était depuis long-temps son système : sa grandeur était principalement fondée sur l'assentiment des populations. Sa domination était même déjà vivement désirée par tout ce qui restait de chrétiens de l'autre côté de la Loire (2).

Il n'est point de notre sujet de raconter les accidens et les succès de la Guerre gothique. On sait qu'elle se termina par la conquête de tout le territoire d'au-delà de la Loire jusqu'au pied des Pyrénées. Au retour de son armée, Clovis adressa aux évéques de France la circulaire que nous traduisons ici:

« A nos saints maîtres les évêques, dignes successeurs des apôtres, Ctovis roi.La renommée n'a pu laisser ignorer à votre béatitude (beatitudinem vestram) quels ont été les actes de notre armée et les ordres qu'elle a reçus de nous avant son entrée sur le territoire des Goths. Avant tout, nous avions ordonné que les biens des églises fussent respectés, ainsi que l'asile des religieuses et des veuves dévouées à la vraie religion du Seigneur. Nous avions protégé des mêmes injonctions les clercs, les enfans des clercs, ceux des veuves 2 ainsi que les serfs des églises, ordonnant qu'il n'arrivât à aucun d'eux violence ou dommage: et afin que nos commandemens à l'égard de ces personnes fussent intégralement obéis, nous avons voulu que si quelqu'une d'entre elles subissait accidentellement la captivité soit dans l'église soit hors de l'église, elle fût sur-le-champ remise en liberté.

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Quant aux autres captifs laïcs que la loi de la 'guerre a mis sous notre main, nous vous reconnaissons les arbitres de leur sort. Ainsi, parmi les prisonniers, tous ceux tant clercs que laïcs que vous reconnaîtrez, jouiront immédiatement des conditions de la paix, sur une lettre de vous, marquée de l'anneau épiscopal. Nous devons cependant vous dire que le sentiment de notre peuple est tel, que ceux-là seuls seront avoués pour amis que vous aurez revêtus notoirement et sans délai de ce caractère, par les sacremens et par votre bénédiction; car, à cause même de l'hypocrisie d'un très-grand nombre et des inconstances qu'ils ont commises, une méfiance légitime nous a exposés et nous expose encore à faire, comme il est écrit, périr le juste avec le méchant. Priez pour moi, saints maîtres, très dignes pères du siége apostolique (3).»

Après de pareilles citations, sera-t-il encore permis de dire que nous avons fait fléchir les faits à une théorie, lorsque nous avons écrit que l'unité de foi fut l'origine de l'unité d'action qui marque le début de notre nationalité à la fin du cinquième et au commencement du sixième siècle. Encore ce que nous venons d'extraire n'est qu'une petite partie de ce que renferment les trois volumes in-folio de la collection des Bénédictins de Saint-Maur, sur la première race. Arrivons maintenant à l'unique fait qui nous est contesté, et sur lequel notre critique a basé son accusation. Il s'agit d'une prière extraite d'un prologue de la loi Salique, et que nous avons choisie précisément parce que M. Augustin Thierry la rapporte comme un monument de la férocité barbare des prétendus conquérans.

Notre critique conteste la date de cette prière Vive Jésus, qui aime les Francs, etc. Il la rapporte au huitième siècle; il a emprunté tous ses raisonnemens à la neuvième leçon du Cours d'histoire de la civilisation moderne par M. Guizot. Il semblerait donc que nous avons à nous débattre uniquement avec ce dernier écrivain: mais point; car M. Guizot, après avoir mis en doute, d'une manière générale, la date que presque tous les historiens assignent pour la rédaction des divers textes de la loi Salique que nous possédons, ne discute d'un certain prologue que la deuxième et la troisième partie. Il ne parle pas de la première, c'est-à-dire de celle d'où nous avons extrait notre citation. M. A. A. a mal interprété M. Guizot. Mais il faut éclaircir la question; et notre critique reconnaîtra lui-même qu'il s'est laissé tromper, chose facile en ces matières; chose qu'il eût dû seulement nous reprocher, puisqu'il le croyait : car il eût dû savoir que la faute qu'il pensait relever, nous était commune avec les Bénédictins de Saint-Maur eux-mêmes, et bien d'autres.

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Le manuscrit de la loi Salique, dont s'occupe particulièrement M. Guizot, fut édité par Hérold, et plus tard par Eccard: c'est sous ce dernier nom qu'il est inséré tome IV, page 120 de la collection des Bénédictins. Sa préface est divisée en trois parties très-distinctes. La première est celle d'où nous avons tiré la prière citée; il est difficile de mettre en doute sa haute antiquité; car elle porte pour date les noms de Clovis, de Childebert et de Clothaire; de plus, elle se trouve, toute seule, en tête d'un manuscrit plus ancien, tiré de la bibliothèque royale, et dit de Schilter; de plus la prière qu'elle mentionne, écrite en latin assez pur, est considérée comme plus ancienne que le prologue lui-même; car, comme le remarque le savant Eccard, elle ne donne pas encore au chef militaire le titre de roi.-La seconde partie porle pour titre Des inventeurs des lois : M. Guizot la rapporte au septième siècle, et non au huitième. - La troisième traite des divers rois législateurs des Francs; elle nomme d'abord Théodoric ei Dagobert enfin. - Or, M. Guizot ne parle directement que de ces deux dernieres fractions de la préface: et en leur assignant des dates diverses; il ne fait rien d'extraordinaire. Ses raisonnemens sur l'époque des différentes parties de la loi Salique, s'appliquent plus encore au texte des articles de la loi qu'au prologue; il déclare enfin qu'il incline vers l'opinion de Wiarda qui a publié en 1808, à Brême, un ouvrage sur ces matières.

Bien que toute cette discussion ne nous regarde pas, puisque dans tout cela il n'est pas question de la prière que nous avons citée, nous allons dire quelques mots de l'opinion de Wiarda. C'est un livre fort rare; il n'en existe peut-être qu'un exemplaire à Paris, à la bibliothèque royale; et nous sommes certains qu'il y a long-temps qu'il n'a été consulté. Lorsque nous l'avons eu dans nos mains, il n'avait que quelques pages coupées.

L'argumentation par laquelle Wiarda cherche, contre l'opinion de tous les savans, à reporter la date des manuscrits de Hérold, Schilter, etc., jusqu'au dixième siècle, est fondée sur ceci: que ceux qui sont écrits en latin pur, sont plus anciens que ceux où le latin est mêlé de mots barbares. Pour soutenir cette opinion assez étrange, il lui a fallu rejeter les inscriptions des manuscrits eux-mêmes. Ainsi on trouve en tête de ceux dont le style est le plus pur, ces mots: corrigé par ordre de Karl: Wiarda donne à ceuxlà la plus haute antiquité; sur d'autres, il y a jusqu'aux noms des rois de la première race qui décrétèrent les articles cités les uns après les autres: Wiarda les déclare modernes. Ainsi nous serions obligés de rejeter tous les capitulaires de la première race, parce qu'ils contiennent aussi quelques mots barbares et sont en mauvais style! Quelquefois il s'appuie sur deux ou trois passages que les auteurs ont considérés comme des interpolations de copistes. Sa première grande raison est que les Barbares n'ont écrit leurs lois que très-tard. S'il en était ainsi, pourquoi ces lois des Bourguignons, des Visigoths, des Ripuaires? Eussent-elles été faites quand il n'y avait plus de royaume bourguignon, visigoth ou ripuaire? Sa seconde grande raison, c'est que la loi Salique suppose une grande richesse territoriale? Mais la loi bourguignone suppose une richesse semblable; et cependant ces conquérans, à la différence des Francs, avaient pris les deux tiers des terres, et le tiers des colons, etc. L'opinion de Wiarda ne nous paraît pas soutenable, surtout d'après cet argument. Une rédaction du dixième siècle contiendrait plutôt des mots du langage français qui commençait à naître, que des mots tudesques; elle eût été inutile; le vrai code d'alors était la collection d'Ansegise, qui contenait les capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire. En définitive, si l'on admettait ainsi toute espèce de négations; l'histoire n'existerait plus. Nous nous sommes rangés du côté des Bénédictins et de nos savans nationaux ; et nous y restons.

Il est temps de finir cette lettre, vous jugerez, Monsieur, si notre travail méritait l'accusation grave portée contre lui. Quant à notre croyance sur la loi de l'activité française; nous la laissons à discuter. Nous ferons seulement remarquer que les objections qu'on nous a faites, sont extraites du système enseigné par M. Guizot.

Agréez, etc.

HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

MAI 1791.

Ainsi que nous l'avons annoncé dans le volume précédent, nous allons exposer les travaux législatifs de l'assemblée nationale; ensuite, selon notre coutume, nous rendrons compte du mouvement de l'esprit public.

Droit de pétition et d'affiche.

SÉANCE DU 9 MAI.

[M. le Chapelier, au nom du comité de constitution. Le direc toire du département de Paris vous a demandé un code pénal contre les écrits incendiaires. Il sollicite deux autres lois: l'une, pour conserver dans sa pureté le droit de pétition; l'autre, pour déterminer le droit d'affiche.

Je commence au droit de pétition, le plus précieux qui existe dans l'ordre social, l'apanage essentiel de la liberté. Sous un gouvernement despotique, on supplie; on se 'plaint rarement,

T. X.

1

parce qu'il y a du danger à se plaindre; on n'exerce jamais le droit de pétition. Dans un gouvernement libre, on ne supplie jamais, on se plaint hautement, quand on est lésé dans l'exercice de ses droits; on forme des pétitions, soit pour demander des lois nouvelles, soit pour demander la réformation des anciennes.

Nous distinguons donc la plainte de la pétition. Tout citoyen actif a le droit de présenter son vou, soit au corps-législatif, soit au roi, soit aux corps administratifs. La plainte est un droit naturel de tout homme qui se croit lésé par une autorité ou par un individu quelconque. Le droit de pétition, tout citoyen doit l'exercer par lui-même, d'après le principe que les citoyens ne doivent déléguer que les droits qu'ils ne peuvent exercer. De là il résulte que nul corps, nulle société, nulle commune ne peut exercer le droit de pétition sous nom collectif, que la pétition ne peut être faite qu'au nom de ceux qui l'ont signée. De là il résulte aussi que les corps administratifs, ne devant exercer que le pouvoir qui leur est constitutionnellement délégué, ne peuvent représenter le peuple en matière de pétition, et n'ont que le droit d'exprimer leur vœu individuel. Leurs membres rentrent alors dans la classe des citoyens; ce sont des individus qui, partageant la niême opinion, la constatent par la signature de chacun d'eux.

Il en est de même des sociétés particulières, des clubs, qui ne sont aux yeux de la loi que des individus. Ces sociétés ne peuvent collectivement former des pétitions; car alors elles deviendraient bientôt des corporations: si la loi leur donnait le droit de délibérer, de publier leurs délibérations, elle leur donnerait par là même les moyens de se revêtir bientôt d'une autorité qu'elles ne doivent pas avoir. Ces sociétés que la liberté a fait naître, sont utiles sans doute; elles excitent l'esprit public, facilitent les progrès des lumières ; mais bientôt elles perdent tous ces avantages, si, pour former des pétitions, elles s'érigent en corporations, et s'approprient ainsi le droit individuel des citoyens.

Regardons donc le droit de pétition comme un droit inhérent à la qualité de citoyen, de membre de la société. Ce n'est pas le

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