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restreindre, c'est le conserver, au contraire; car si les corps s'en emparent, les pétitions des simples citoyens paraîtront moins importantes, et elles doivent l'être toujours beaucoup aux yeux des législateurs: pour que les citoyens conservent le caractère d'hommes libres, il faut que leurs pétitions soient trèsconsidérées. Relativement au droit de pétition des communes ou sections des communes, s'agit-il des affaires particulières d'une ville, les citoyens peuvent s'assembler en conseil de famille, pour délibérer sur leurs intérêts privés. Vous avez autorisé ces rassemblemens ; vous avez déterminé les formes dans lesquelles ils peuvent être provoqués. Mais s'agit-il des affaires générales du royaume? Alors les citoyens de chaque ville ne peuvent exprimer que des vœux individuels; les habitans ne peuvent plus se réunir en conseil de famille, car ils font partie de la grande famille; ils ne peuvent exprimer un vœu collectif, car chaque ville deviendrait alors une corporation. Quant aux grandes villes qui sont divisées en sections, vous avez décidé que les sections pourraient s'assembler sur la convocation d'un certain nombre d'entre elles. Elles ne doivent alors délibérer que sur l'objet pour lequel elles sont rassemblées. Sur les autres objets elles n'ont que le droit individuel de chaque citoyen. Si les sections ne sont pas d'accord, alors il doit être nommé des commissaires pour constater le vœu de la majorité. Ces commissaires ne doivent avoir d'autres opérations à faire que d'extraire la délibération; ils ne peuvent y ajouter leur vœu individuel, sans usurper par là l'autorité des corps administratifs et celle du peuple. En un mot, le pouvoir des sections ou de leurs députés n'est rien; il n'y a que celui des officiers municipaux.

Je passe aux droits d'affiche et de publication à son de trompe. Nous vous proposons de déclarer que ce droit ne peut appartenir à aucun individu, à aucune société, à aucune section de commune. Une section séparée n'est rien; elle fait partie du corps collectif, elle n'existe qu'avec lui. La place publique est une propriété commune; la société seule a droit d'en disposer. L'affiche et la publication au son du tambour servent à la pro

mulgation des lois et des arrêtés des corps administratifs: or, il importe que ces lois et arrêtés ne soient pas confondus avec les actes des sociétés particulières. On me dira que les affiches peuvent servir à l'instruction publique. Je réponds que ce n'est point au coin des rues que l'on s'instruit ; c'est dans les livres, dans la lecture des lois, dans les sociétés paisibles où l'on ne délibère pas, et où, par conséquent, on est éloigné de toutes passions. J'ajoute que les affiches coûtent des frais. On ne verrait donc se servir du droit d'affiche que les turbulens ou les intrigans qui voudraient exciter des mouvemens dangereux. (On murmure dans l'extrémité gauche.) Mais, me dit-on, laissez au moins cette faculté aux sociétés, aux sections de communes. Eh bien! voilà le danger que nous voulons prévenir. Nous ne voulons pas que des sociétés qui n'ont aucun caractère politique prennent la place de l'autorité publique, et parviennent à rivaliser les pouvoirs délégués par le peuple. Si tout le monde avait droit d'affiche, aurait-on le droit de couvrir l'affiche de son voisin? A côté du droit du premier occupant se trouve le droit du plus fort. De là naîtront des rixes qui souvent ensanglanteront la place publique.

Ainsi, si le droit de pétition est un droit individuel de tout citoyen; le droit d'affiche, au contraire, ne doit être exercé que par l'autorité publique. C'est d'après ces principes qu'a été rédigé le projet de décret que nous allons vous soumettre.

M. le Chapelier lit un projet de décret conforme aux bases qu'il vient d'établir.

Quelques membres applaudissent. l'impression du rapport.

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L'assemblée ordonne

M. Robespierre. Le droit de pétition est le droit imprescriptible de tout homme en société. Les Français en jouissaient avant que vous fussiez assemblés; les despotes les plus absolus n'ont jamais osé contester formellement ce droit à ce qu'ils appelaient leurs sujets. Plusieurs se sont fait une gloire d'être accessibles et de rendre justice à tous. C'est ainsi que Frédéric II écoutait les plaintes de tous les citoyens. Et vous, législateurs d'un peuple

libre, vous ne voudrez pas que des Français vous adressent des observations, des demandes, des prières, comme vous voudrez les appeler! Non, ce n'est point pour exciter les citoyens à la révolte que je parle à cette tribune, c'est pour défendre les droits des citoyens ; et si quelqu'un voulait m'accuser, je voudrais qu'il mit toutes ses actions en parallèle avec les miennes, et je ne craindrais pas le parallèle. Je défends les droits les plus sacrés de mes commettans; car mes commettans sont tous Français, et je ne ferai sous ce rapport aucune distinction entre eux : je défendrai surtout les plus pauvres. Plus un homme est faible et malheureux, plus il a besoin du droit de pétition; et c'est parce qu'il est faible et malheureux que vous le lui ôteriez! Dieu accueille les demandes non-seulement des plus malheureux des hommes, mais des plus coupables. Or, il n'y a de lois sages et justes que celles qui dérivent des lois simples de la nature. Si vos sentimens n'étaient point conformes à ces lois, vous ne seriez plus les législateurs, vous seriez plutôt les oppresseurs des peuples. Je crois donc qu'à titre de législateurs et de représentans de la nation, vous êtes incompétens pour ôter à une partie des citoyens les droits imprescriptibles qu'ils tiennent de la nature.

Je passe au titre II, à celui qui met des entraves de toutes espèces à l'exercice du droit de pétition. Tout être collectif ou non qui peut former un vœu, a le droit de l'exprimer ; c'est le droit imprescriptible de tout être intelligent et sensible. Il suffit qu'une société ait une existence légitime pour qu'elle ait le droit de pétition; car si elle a le droit d'exister reconnu par la loi, elle a le droit d'agir comme une collection d'êtres raisonnables, qui peuvent publier leur opinion commune et manifester leurs vœux. L'on voit toutes les sociétés des Amis de la constitution vous présenter des adresses propres à éclairer votre sagesse, vous exposer des faits de la plus grande importance; et c'est dans ce moment qu'on veut paralyser ces sociétés, leur ôter le droit d'éclairer les législateurs! Je le demande à tout homme de bonne foi qui veut sincèrement le bien, mais qui ne cache pas sous un langage spécieux le dessein de miner la liberté; je demande si

ce n'est pas chercher à troubler l'ordre public par des lois oppressives, et porter le coup le plus funeste à la liberté.... Je réclame l'ajournement de cette question jusqu'après l'impression du rapport.]

SÉANCE DU 10 MAI.

[M. Grégoire, évêque de Blois. Je combats le projet de décret qui vous est présenté par votre comité de constitution, comme injuste, impolitique, contradictoire et contraire aux droits na turels de l'homme. Je pourrais d'abord observer qu'après avoir anéanti les ordres, on les recrée en quelque sorte par la division des citoyens en actifs et non actifs. (Il s'élève des murmures au milieu de la salle.)

M. Martineau. Je demande que l'opinant soit rappelé à l'ordre. M. Grégoire. Quelques distinctions que l'on ait voulu faire, je dis que le mot pétition signifie demande. Or, dans un État populaire, que peut demander un citoyen quelconque qui rende le droit de pétition dangereux? Des priviléges? Vous les avez anéantis. Il ne pourra que demander des lois relatives à la prospérité publique, eu défendre ses intérêts. Et ne serait-il pas étrange qu'on défendît à un citoyen non actif de provoquer des lois utiles, qu'on voulût se priver de ses lumières? Qu'on ne dise pas qu'il n'y a de citoyens non actifs que les vagabonds : je connais à Paris des citoyens qui ne sont pas actifs, qui logent à un sixième, et qui sont cependant en état de donner des lumières, des avis utiles. (On entend des rumeurs.-Les tribunes applaudissent.) Rejeteriez-vous ces citoyens qui vous présenteraient des projets, des pétitions relatifs à la tranquillité publique, à l'utilité générale du royaume? Ils s'adresseront à vous pour rés clamer leurs droits lorsqu'ils seront lésés; car enfin la déclaration des droits est commune à tous les hommes. Refuserez-vous alors d'entendre leurs réclamations? Vous regarderez donc alors leurs soupirs comme des actes de rébellion, leurs plaintes comme un attentat contre les lois ?.... Et à qui défendrions-nous aux citoyens non actifs de s'adresser? Aux administrateurs, aux officiers municipaux, à ceux qui doivent être les défenseurs du

peuple, les tuteurs, les pères des malheureux. La plainte n'estelle pas un droit naturel, et le citoyen ne doit-il pas avoir, précisément parce qu'il est pauvre, le droit de solliciter la protection de l'autorité publique?

On vous a dit qu'il en résulterait une coalition menaçante pour la tranquillité publique. Or, je soutiens que c'est ce qui résulterait justement du système contraire. Si vous ôtez au citoyen pauvre le droit de faire des pétitions, vous le détachez de la chose publique, vous l'en rendez même l'ennemi : ne pouvant se plaindre par les voies légales, il se livrera à des mouvemens tumultueux, et mettra son désespoir à la place de sa raison....... Mais vous avez déjà vous-mêmes jugé le contraire, L'année dernière vous ayez admis à la barre une députation de domestiques, et la réponse que leur fit le président, de l'aveu de l'assemblée, consacraît le droit de plainte, le droit de pétition, comme un droit imprescriptible de tout homme en société.

L'article II du projet de votre comité renferme une double contradiction; son titre porte: Projet de décret sur la pétition des administrateurs du département de Paris. Et par le même projet on propose d'ôter aux administrateurs le droit de pétition! On permet cependant aux corps municipaux, administratifs et judiciaires, de présenter des mémoires; or ces mémoires renfermeront nécessairement une demande quelconque : une demande est une pétition. Voilà donc une seconde contradiction.

Je finis par quelques réflexions sur le droit d'affiche. Il y a différentes manières de manifester sa pensée : par des discours, par des écrits, par des placards. Or vous avez reconnu formellement le droit qu'a tout citoyen de manifester sa pensée d'une manière quelconque.

M'objectera-t-on que la liberté d'afficher peut avoir des inconvéniens? Si vous ne voulez faire que des lois qui ne puissent avoir aucun inconvénient quelconque, il faut renoncer à être législateurs; car il n'est aucune loi qui, à côté de grands avantages, ne puisse faire craindre quelques inconvéniens. Les incon véniens vous donnent-ils le droit d'ôter aux citoyens une faculté

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