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tion est le plus sûr moyen de conserver la liberté. Il faut que les législateurs se trouvent dans la situation qui confond le plus leur intérêt et leur vœu personnel avec celui du peuple : or, pour cela il est nécessaire que souvent ils redeviennent peuple eux-mêmes. Mettez-vous à la place des simples citoyens, et dites de qui vous aimeriez mieux recevoir des lois, où de celui qui est sûr de n'être -bientôt plus qu'un citoyen, ou de celui qui tient encore à son pouvoir par l'espérance de le perpétuer. Vous dites que le corpslégislatif sera trop faible pour résister à la force du pouvoir exécutif; mais la véritable force du corps-législatif tient à la constitution sur laquelle il est fondé, à la puissance, à la volonté de la nation qu'il représente, et qui le regarde lui-même comme le boulevard nécessaire de la liberté publique. Le pouvoir du corpslégislatif est immense par sa nature même; il est assuré par sa permanence, par la faculté de s'assembler sans convocation, et par la loi qui refusera au roi celui de le dissoudre.

Mais vous n'imaginez pas, dites-vous, comment le pouvoir exécutif pourrait concevoir l'idée de séduire des membres du corps-législatif depuis qu'il ne peut plus les appeler au ministère. Je rougirais de vous dire qu'il existe d'autres moyens de corruption; mais je pourrais au moins demander si ces places que l'on ne peut obtenir pour soi, on ne peut pas les détourner sur ses amis, sur ses proches, sur son père, sur son fils? Si le crédit d'un ministre est entièrement inutile? S'il est impossible que des membres du corps-législatif règnent en effet sous son nom, et qu'ils fassent une espèce d'échange de leur crédit et de leur pouvoir? s'il est impossible qu'ils espèrent être portés à la législature par le parti et par l'influence que le pouvoir exécutif peut avoir dans les assemblées électorales? Il est vrai que vous supposez toujours que ceux qui seront réélus seront toujours les plus zélés et les plus sincères défenseurs de la patrie. Vous oubliez donc que vous avez dit vous-mêmes qu'un mot dit à propos, lève tous les doutes sur le patriotisme d'un homme; vous croyez à l'impuissance de l'intrigue et du charlatanisme; vous croyez au discernement parfait, à l'impartialité absolue de ceux qui choisiront pour le peuple;

vous ignorez qu'il existe un art de s'abandonner toujours au cours de l'opinion du moment, en évitant soigneusement de la heurter pour servir le peuple, et qu'ainsi l'intrigant souple et ambitieux lutte souvent avec avantage contre le citoyen modeste et incorruptible..... Voyez les représentans du peuple détournés du grand objet de leur mission, changés en autant de rivaux, divisés par la jalousie, par l'intrigue, occupés presque uniquement à se supplanter, à se décrier les uns les autres dans l'opinion de leurs concitoyens. Reconnaissez-vous là des législateurs, des dépositaires du bonheur du peuple? Ces brigues honteuses dépraveront les mœurs publiques en même temps qu'elles dégraderont la majesté des lois.... Je m'étonne donc de l'extrême prévention que l'un des préopinans, M. Duport, a marquée contre une législature dont les membres ne pourraient pas être réélus, quand il a prononcé qu'ils n'emploieraient leur temps qu'à deux choses à médire des ministres, et à plaider la cause de leurs départemens contre l'intérêt général de la nation. Quant aux intérêts de département, j'ai déjà prouvé que cet inconvénient, et même un inconvénient plus grave, n'existait que dans le système opposé. Quant aux ministres, s'ils en médisaient, cela prouverait au moins qu'ils ne leur seraient point asservis, et c'est beaucoup. Je suis persuadé que nous emploirons notre temps à quelque chose de mieux qu'à médire des ministres sans nécessité, et à parler des affaires de nos départemens; et je suis convaincu, au surplus, que le décret de lundi, quoi qu'on puisse dire, n'a pas affaibli l'estime de la nation pour ses représentans actuels.

On a fait une autre objection qui ne me paraît pas plus raísonnable, lorsqu'on a dit que sans l'espoir de la rééligibilité, on ne trouverait pas dans les vingt-cinq millions d'hommes qui peuplent la France, des hommes dignes de la législature. Ce qui me paraît évident, c'est que s'opposer à la réélection est le véritable moyen de bien composer la législature. Quel est le motif qui doit appeler, qui peut appeler un citoyen vertueux à désirer ou à accepter cet honneur? Sont-ce les richesses, le désir de dominer, et l'amour du pouvoir? Non. Je n'en connais que deux : le

désir de servir sa patrie; le second, qui est naturellement uni à celui-là, c'est l'amour de la véritable gloire, celle qui consiste, non dans l'éclat des dignités, ni dans le faste d'une grande fortune, mais dans le bonheur de mériter le respect ou l'admiration de ses semblables par des talens et par des vertus."

Deux années de travaux suffisent à cette noble ambition. Une retraite de deux ans sera nécessaire à l'homme le plus éclairé, pour méditer sur les principes de la législation avec plus de profondeur qu'on ne peut le faire au milieu du tourbillon des affaires, et surtout pour reprendre ce goût d'égalité que l'on perd aisément dans les grandes places. Laissez se répandre les principes du droit public et s'établir la nouvelle constitution, et vous verrez naître une foule d'hommes qui développeront un caractère et des talens. Croyez, croyez qu'il existe dès à présent dans chaque contrée de l'empire des pères de famille qui viendront volontiers remplir le ministère de législateur, pour assurer à leurs enfans des mœurs, une patrie, le bonheur et la liberté des citoyens; qui se dévoueront volontiers pendant deux ans au bonheur de servir leurs concitoyens et de secourir les opprimés; et si vous avez tant de peine à croire à la vertu, croyez du moins à l'amour-propre; croyez que chez une nation qui n'est pas tout-à-fait stupide et abrutie, un grand nombre peut-être sera naturellement jaloux d'obtenir le plus glorieux témoignage de la confiance publique. Voulez-vous me parler de ces hommes que le génie de l'intrigue pousse dans une carrière que le seul génie de l'humanité devrait ouvrir? Voulez-vous dire qu'ils fuiront la législature si l'appȧt de la réélection ne les y attire? Tant mieux! ils ne troubleront pas le bonheur public par leurs intrigues, et la vertu modeste recevra le prix qu'ils lui auraient enlevé....

Quand vous avez pensé que la législature qui, après vous, devait être la plus surchargée d'affaires, pouvait se passer de votre secours, et être entièrement composée de nouveaux individus, vous croiriez que les législatures suivantes auront besoin de transmettre à celles qui viendront après elles, des guides, des

Nestors politiques, dans les temps où toutes les parties du gouvernement seront plus simplifiées et plus solidement affermies. On a voulu fixer votre attention sur de certains détails de finance, d'administration, comme si les législateurs, par le cours naturel des choses, ne devaient pas voir dans leur sein des hommes instruits dans l'administration, dans la finance, et présenter une diversité infinie de connaissances, de talens en tout genre. Comment croire à cette effroyable pénurie d'hommes éclairés, puisqu'après chaque législature on pourra choisir les membres de celle qui l'avaient précédée. Les partisans les plus zélés de la réélection peuvent se rassurer, s'ils se croyaient absolument nécessaires au salut public; dans deux ans ils pourront être les ornemens et les oracles de la législature.... Pour moi, indépendamment de toutes les raisons que j'ai déduites, et de celles que je pourrais ajouter, un fait particulier me rassure: c'est que les mêmes personnes qui nous ont dit: tout est perdu si on ne réélit pas, disaient aussi, le jour du décret qui nous interdit l'entrée du ministère tout est perdu; la liberté du peuple est violée, la constitution est détruite; je me rassure, dis-je, parce que je crois que la France peut subsister, quoique quelques-uns d'entre nous ne soient ni législateurs ni ministres. Je ne crois pas que l'ordre social soit désorganisé, comme on l'a dit, précisément parce que l'incorruptibilité des représentans du peuple sera garantie par des lois sages. Ce n'est pas que je ne puisse concevoir aussi de certaines alarmes d'un autre genre. J'oserais même dire que tel discours véhément dont l'impression fut ordonnée hier, est lui-même un danger. A Dieu ne plaise que ce qui n'est point relatif à l'intérêt public soit ici l'objet d'une de mes pensées; aussi suis-je bien loin de juger sévèrement cette longue mercuriale prononcée contre l'assemblée nationale, le lendemain du jour où elle a rendu un décret qui l'honore, et tous ces anathèmes lancés du haut de la tribune contre toute doctrine qui n'est pas celle du professeur. Mais si en même temps qu'on prévoit, qu'on annonce des troubles prochains; en même temps que l'on en voit les causes dans cette lutte continuelle des factions

diverses, et dans d'autres circonstances que l'on connaît trèsbien, on s'étudiait à les attribuer d'avance à l'assemblée nationale, au décret qu'elle vient de rendre, on cherchait d'avance à se mettre à part, ne me serait-il pas permis de m'affliger d'une telle conduite, et d'être trop convaincu de ce que l'on aurait voulu prouver, que la liberté serait en effet menacée? Mais je ne veux pas moi-même suivre l'exemple que je désapprouve, en fixant l'attention de l'assemblée sur un épisode plus long que l'objet de la discussion. J'en ai dit assez pour prouver que si les dangers de la patrie étaient mis une fois à l'ordre du jour, j'aurais aussi beaucoup de choses à dire; au reste, le remède contre ces dangers, de quelque part qu'ils viennent, c'est votre prévoyance, c'est votre sagesse, votre fermeté. Dans tous les cas, nous saurons consommer, s'il le faut, le sacrifice que nous avons plus d'une fois offert à la patrie. Nous passerons; les cabales des ennemis passeront; les bonnes lois, le peuple, la liberté, resteront....

Je dois ajouter une dernière observation : c'est que le décret que vous avez rendu lundi, et les principes que j'ai développés, militent contre toute réélection immédiate d'une législature à l'autre. Ce qui me porte à faire cette observation, c'est que je

sais que l'on proposera de réélire au moins pour une législature,

parce que, pourvu que les opinions soient partagées, on se laisse facilement entraîner à ces termes moyens qui participent presque toujours des inconvéniens des deux termes opposés. Je demande que les membres des assemblées législatives ne puissent être réélus qu'après l'intervalle d'une législature.

(Les applaudissemens qui avaient fréquemment interrompu ce discours recommencent.)]

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Après que la proposition de Barrère eut été décrétée, l'assemblée s'occupa de l'article du comité, portant que le corps-législatif se réunirait dans le lieu où s'était tenu le précédent, Maury offrit vingt-une lettres de vingt-un départemens, réclamant contre la résidence du corps-législatif à Paris, et il dit que si l'assemblée ne pourvoyait pas à cette demande, les départe

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