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tellement perfectionné, que j'ai vu des aristocrates accuser très à propos d'aristocratic un patriote qu'ils n'aimaient pas, et tel républicain ne pas leur céder dans le même genre d'habileté. Si ces hommes là savaient nuire à leur ennemi en l'accusant d'être honnête homme, ils l'en accuseraient. EMM. SIEYES. »

Thomas Payne répondit à Sieyès par une longue lettre datée du 8 juillet, et publiée par le Patriote français du 11. Voici l'analyse de cette pièce : L'auteur annonce qu'il allait partir pour l'Angleterre au moment où il a lu le défi proposé par Sieyès aux républicains de bonne foi. J'accepte, dit-il, votre défi avec plaisir ; et j'ai une telle confiance dans la supériorité du système républicain sur cette nullité de système nommé monarchie, que je m'engage à ne point excéder l'étendue de cinquante pages, en vous laissant la liberté de prendre toute la latitude qui vous conviendra. Mon respect pour votre réputation morale et littéraire vous est un sùr garant de ma candeur dans notre discussion; mais quoique je me propose d'y mettre autant de sérieux que de bonne foi, je dois pourtant vous prévenir que je ne prétends point m'ôter la liberté de ridiculiser, comme elles le méritent, les absurdités monarchiques, lorsque l'occasion s'en présentera. › Thomas Payne déclare ensuite que c'est le système américain qu'il prétend démontrer supérieur à toute autre forme gouvernementale. Il termine par une déclamation très-emphatique sur les malheurs de l'humanité, sur son attachement pour elle, et ferme sa lettre par ces mots : « Enfin, c'est à TOUT L'ENFER de la monarchie que j'ai déclaré la guerre (1). ɔ

Ce préambule était nécessaire pour que nos lecteurs nous suivissent, dans les faits, avec l'intelligence des causes qui les engendrèrent. Avant de diviser les matières, nous ferons connaître la position particulière de quelques écrivains, dont les uns ne figurèrent pas dans les événemens antérieurs au 17, et dont les autres disparurent après pendant un certain temps. Fauchet visitait son

(1) La lettre de Payne fut insérée dans le Moniteur du 15 juillet, avec un commentaire de Sieyès qui occupe plus de trois colonnes in-folio de petit texte. (Note des auteurs.)

diocèse; Marat était malade. Voici ce que nous lisons à cet égard dans l'Orateur du peuple, t. VII, p. 47: « Quelle douleur pour les amis de la liberté de savoir en proie à la maladie la plus alarmante, le plus intrépide défenseur des droits du peuple, un des écrivains les plus honorés de la haine de tous les conspirateurs qu'il a démasqués sans relâche, un citoyen enflammé du patriotisme le plus pur et le plus infatigable; en un mot, de M. Marat, l'Ami du peuple. On a voulu révoquer en doute son existence; mais cette opinion qu'on avait des motifs puissans d'accréditer, n'a pas fait fortune auprès de ceux qui connaissent personnellement M. Marat. Je suis de ce nombre, et j'ose certifier qu'il y a une quinzaine de jours (1) j'ai dîné avec lui à Vincennes, et que les convives étaient, entre autres, MM. Feydel, Legendre, Maisonneuve, Lapoype, tous membres des Amis de la constitution, dont j'invoque ici le témoignage pour faire tomber l'absurde calomnie de son assassinat. Puisse cet écrivain, cher à la patrie, être bientôt rendu à ses vœux ! A la suite de la journée du 17, un grand nombre d'écrivains furent arrêtés ou obligés de fuir. Du côté des royalistes, Suleau fut mis en prison; Royou se eacha, et son frère, l'avocat de ce nom, reprit l'Ami du roi, le 6 août, jusqu'à ce que l'abbé pût reparaître. Du côté des républicains, Deflers, rédacteur du Journal des Débats des Jacobins, fut arrêté; Danton, Desmoulins et Fréron échappèrent par la fuite à un mandat d'arrestation.

Nous diviserons le mois de juillet en deux parties. Dans la première, nous tracerons une analyse succincte des travaux de l'as semblée jusqu'à la séance du 15. Nous placerons à la suite les principaux discours pour et contre l'inviolabilité, et nous termincrons par le décret du 15. La première quinzaine des débats du club des Jacobins ayant roulé sur ce même sujet, nous y einprunterons le meilleur discours, celui de Brissot, lu à la séance du 10, et imprimé par ordre de la société. Il précédera avec une indication les discours prononcés à la constituante. Cette pre

(1) Le 20 juin, Marat parle lui-même de ce diner et donne cette date,

(Note des auteurs.)

mière partie sera terminée par l'affaire du Champ-de-Mars, exposée selon ses circonstances parlementaires et extra-parlementaires.

La deuxième partie du mois se composera: 1o des pièces historiques importantes sur la scission de la société des Jacobins ; 2o des suites de l'affaire du Champ-de-Mars, prises dans les séances de ce club et dans la presse; 3a d'une analyse des travaux de la constituante pendant la seconde quinzaine de juillet. Nous rapporterons ici deux faits en dehors de ce cadre. L'un est la translation de Voltaire; l'autre, la commémoration du 14 juillet.

La secte janseniste fit et afficha une pétition pour s'opposer à l'apothéose de l'impie. Mais les habitués de Saint-Médard, au nombre desquels il y avait plusieurs fonctionnaires publics, furent repoussés dans cette étrange démarche plutôt avec des railleries qu'avec de la colère. Le mot le plus dur qu'on leur appliqua fut celui de fanatique. Prudhomme les appelle des innocens.

La translation, qu'on avait arrêtée pour le 10, n'eut lieu que le 11, à cause du mauvais temps. Pastoret en prévint l'assemblée nationale par une lettre simplement mentionnée dans le Moniteur, et sur laquelle Royou nous fournit le détail suivant : « A l'ouverture de la séance (lundi 11), on lit une lettre du procureur-syndic du département, qui témoigne à l'assemblée son dépit contre la basse jalousie du ciel aristocrate, qui, pour retarder le triomphe du grand homme, du grand Voltaire, rival et vainqueur de la Divinité, verse des torrens de pluie.» (L'Ami du roi, du 13 juillet.) Nous empruntons au Moniteur le récit de la cérémonie du ff.

Apothéose de Voltaire.

[Dimanche, 10 de ce mois, M. le procureur-syndic du département et une députation du corps municipal se sont rendus, savoir le procureur-syndic aux limites du département, et la députation de la municipalité à la barrière de Charenton, pour recevoir le corps de Voltaire. Un char de forme antique portait le sarcophage dans lequel était contenu le cercueil. Des branches

de laurier et de chêne entrelacées de roses, de myrtes et de fleurs des champs entouraient et ombrageaient le char sur lequel étaient deux inscriptions; l'une : Si l'homme est né libre, il doit se gouverner; l'autre : Si l'homme a des tyrans, il les doit détrô ner. Plusieurs députations, tant de la garde nationale que des sociétés patriotiques, formaient un cortége nombreux, et ont conduit le corps sur les ruines de la Bastille. On avait élevé une plate-forme sur l'emplacement qu'occupait la tour dans laquelle Voltaire fut renfermé; son cercueil, avant d'y être déposé, a été montré à la foule innombrable de spectateurs qui l'environnaient, et les plus vifs applaudissemens ont succédé à un religieux silence. Des bosquets garnis de verdure couvraient la surface de la Bastille; avec des pierres provenant de la démolition de cette forteresse, on avait formé un rocher sur le sommet, et autour duquel on voyait divers attributs et allégories. On lisait sur une de ces pierres Reçois en ce lieu où t'enchaîna le despotisme, Voltaire, les honneurs que te rend ta patrie.

La cérémonie de la translation au Panthéon français avait été fixée pour le lundi 11; mais une pluie survenue pendant une partie de la nuit et de la matinée avait déterminé d'abord à la remettre au lendemain; cependant tout étant préparé et la pluie ayant cessé, on n'a pas cru devoir la retarder. Le cortège s'est mis en marche à deux heures après-midi.

Voici l'ordre qui était observé, un détachement de cavalerie, les sapeurs, les tambours, les canonniers et les jeunes élèves de la garde nationale, la députation des colléges, les sociétés patriotiques avec diverses devises. On a remarqué celle-ci : Qui meurt pour sa patrie meurt toujours content. Députation nombreuse de tous les bataillons de la garde nationale, groupe armé des forts de la halle. Les portraits en relief de Voltaire, J.-J. Rousseau, Mirabeau et Desilles environnaient le buste de Mirabeau, donné par M. Palloy, à la commune d'Argenteuil. Ces bustes étaient entourés des camarades de d'Assas, et des citoyens de Varennes et de Nancy. Les ouvriers employés à la démolition de la Bastille, ayant à leur tête M. Palloy, portaient des chaînes,

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des boulets et des cuirasses trouvés lors de la prise de cette forteresse. Sur un brancard étaient le procès-verbal des électeurs de 1789, et l'insurrection parisienne, par M. Dufaulx. Les citoyens du faubourg Saint-Antoine portant le drapeau de la Bastille, avec un plan de cette forteresse représentée en relief, et ayant au milieu d'eux une citoyenne en habit d'amazone, uniforme de la garde nationale, laquelle a assisté au siége de la Bastille, et a concouru à sa prise. Un groupe de citoyens armés de piques, dont une était surmontée du bonnet de la liberté, et de cette devise De ce fer naquit la liberté. Le 83 modèle de la Bastille, destiné pour le département de Paris, porté par les anciens gardes-françaises, revêtus de l'habit de ce régiment. La société des Jacobins. (On a paru étonné que cette société n'ait pas été réunie avec les autres.) Les électeurs de 1789 et de 1790. Les cent-suisses et les gardes-suisses. Députation des théâtres précédant la statue de Voltaire, entourée de pyramides chargées de médaillons portant les titres de ses principaux ouvrages. La statue d'or couronnée de laurier était portée par des hommes habillés à l'antique. Les académies et les gens de lettres environnaient un coffre d'or renfermant les 70 volumes de ses œuvres donnés par M. Beaumarchais. Députation des sections, jeunes artistes, gardes nationaux et officiers municipaux de divers lieux du département de Paris. Corps nombreux de musique vocale et instrumentale; venait ensuite le char portant le sarcophage dans lequel était renfermé le cercueil.

Le haut était surmonté d'un lit funèbre sur lequel on voyait le philosophe étendu et la renommée lui posant une couronne sur la tête. Le sarcophage était orné de ces inscriptions:

Il vengea Calas, la Barre, Sirven et Montbailly.

Poète, philosophe, historien, il a fait prendre un grand essor à l'esprit humain, et nous a préparés à devenir libres.

Le char était traîné par douze chevaux gris-blancs, attelés sur quatre de front, et conduits par des hommes vêtus à la manière antique. Immédiatement après le char venaient la députation de l'assemblée nationale, le département, la municipalité, la cour

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