Page images
PDF
EPUB

:

de leurs droits; c'est pour elle qu'ils sont en société; il assure la fortune publique et les fortunes particulières; il favorise les diverses transactions du commerce et toutes les jouissances sola ciales. C'est lui qui procure au peuple une aisance assurée, tranquillité et l'amélioration de son sort. Il n'est pas douteux qu'en général le peuple n'est pas intéressé d'une manière directe aux grandes idées qui occupent les têtes métaphysiques. . En France, il a eu le bon esprit de s'associer à la révolution, et de voir qu'il valait mieux perdre un instant de repos, et donner une base solide et constitutionnelle à son propre bonheur; mais si ses espérances sont trompées, si pour satisfaire nos petites passions, ou pour plaire à je ne sais quelles têtes creuses qui se font de la liberté une idée toute spirituelle et fantastique, tandis qu'elle est un bien solide, substantiel, et qu'il faut toujours considérer par ses vrais résultats, qui ne sont que le bonheur et l'aisance de chacun si vous venez à former un gouvernement bizarre, incertain, sans liaison et sans suite, alors, j'ose vous le dire, prêts à rentrer au milieu de vos concitoyens, au lieu d'y recevoir la reconnaissance due à vos travaux, vous y retrouverez une haine toujours croissante avec les maux individuels dont ils sont la proie: ils vous reprocheront tous les malheurs qu'ils souffriront...Je n'achève pas ce tableau. S'il est des hommes inaccessibles à ces sortes de crainte, on ne niera pas qu'ils méritent le plus profond mépris. Que les adversaires du comité veuillent bien me dire ce qu'ils font de l'intérêt national. Qui est-ce qui défend ce centre important où il faut transporter tant de force pour attirer et réunir toutes les parties, ce centre où réside la liberté publique, gage et soutien de toutes les autres libertés ? Qu'est-ce que je vois dans ce centre? le pouvoir exécutif. Mais à son égard, de deux choses l'une, ou les ministres étant accrédités par l'opinion, resteront en place, et voyant, durant le cours de leur ministère, se renouveler beaucoup de législatures, ils seraient comme Nestor chez les Grecs, ils auraient yu beaucoup de générations, et prendraient sur chacune l'empire de l'expérience; ils pourraient alors faire réussir aisément un système long-temps mé

dité d'agrandissement funeste de l'autorité royale; ou bien le meilleur ministre serait culbuté par cette révolution périodique qui aurait lieu tous les deux ans. Il n'y a dans tout cela ni la liberté ni le bonheur public. On ignore, ou l'on affecte d'ignorer la véritable nature de notre gouvernement. Ce ne sont pas des états-généraux périodiques que nous avons institués, mais une assemblée nationale permanente. Ce n'est pas pour venir de temps en temps voir ce qui se passe dans l'administration que la nation envoie des députés, c'est pour prendre en plusieurs points une part active à l'administration même; c'est pour suivre un plan d'impôt, de perception, de finances, d'acquittement et d'amortissement de la dette publique : il faudra décider quelquefois de la paix et de la guerre, des traités de commerce et d'alliance, mais évidemment cela ne se peut faire qu'avec des connaissances antérieurement acquises, prises dans l'expérience, non des affaires de son canton, mais de celles de toute la nation. Sans cela, nous ferons la guerre comme une horde de sauvages, par une impulsion de colère soudaine, par un sentiment que le pouvoir exécutif fera naître quand il voudra. Daignez uvrir les yeux sur le système assez adroit de certains hommes, qui n'ont pris sur eux aucune responsabilité personnelle; car ce n'en est pas une que d'avoir combattu tout ce qui est raisonnable, et d'avoir tenu sans interruption une chaire de droit naturel ; c'est ce système qu'on veut continuer encore. Si par une mesure, effet de l'ignorance ou de la corruption d'une législature, la France est entraînée à sa perte par une guerre ou un traité, où aller chercher dans le fond de son département l'auteur exécrable d'un tel malheur, pour lui imprimer sur le front les marques ineffaçables du mépris et de l'exécration publique? On a dit quelquefois, pour se divertir sans doute, que le roi était inutile à notre constitution. Eh bien! moi, je vous dis que si l'avis du comité ne passe pas, c'est le corps-législatif qui est superflu. Un roi et des départemens, tout est là ; le premier, pour l'intérêt général, et les autres, pour les intérêts locaux ; car puisqu'ils ne viendront pour défendre que ceux-là, on peut leur épargner les frais de voyage. Quelle joie maligne et vive vos

ennemis éprouvent en vous voyant détruire ainsi votre propre ouvrage. C'est un genre d'occupation qu'ils respecteront soigneusement. Pourraient-ils faire mieux, ou même aussi bien? Mais si l'intérêt national est entièrement oublié dans ces législatures bizarres et décousues, en revanche l'intérêt particulier de chaque département contre le bien públic y sera uniquement ménagé. Chaque député arrive ici pour deux ans ; chacun y viendra à son tour; c'est d'ailleurs un principe d'égalité, et ne pouvant pas être réélu, n'étant pas susceptible de cette douce et populaire récompense de la confiance de la nation, il n'aura que deux choses à faire, dire du mal des ministres, et faire le bien de son département. Par l'une il gagnera de la popularité; par l'autre, des places chez lui: ce n'est que là qu'il peut trouver le prix de ses peines. Il tourne toujours ses regards vers ce but, qui est seul présent à son ambition. Qu'on ne dise point que ce débat respectif des intérêts locaux conduit à l'intérêt général; non, il est des choses qui appartiennent à toute la nation, la guerre, la paix, les colonies, les alliances, le commerce, la dette publique, etc.

Combien ce mot de principes est devenu commode, il se prête à toutes les passions, à toutes les situations. Les mêmes hommes qui ont soutenu, lors du marc d'argent, qui a passé contre mon opinion, qu'on blessait la souveraineté du peuple, qui font sonner si haut ce mot tous les jours, le dépouillent de cette même souveraineté. A la vérité, c'est pour son plus grand bien; mais ils n'ont pas même le mérite de cette invention : le despotisme n'a jamais dit autre chose. Voyez les anciennes lois on avait des lettres de cachet pour le bien des familles, la presse était gênée pour le bien des citoyens, les manufactures pour le bien du commerce, etc. Cessez d'insulter le peuple en le dépouillant; car il cessera de croire à votre prétendu dévoûment à ses intérêts. Laissez au peuple le libre exercice d'une faculté dont il est à la fois le juge et l'objet. Ne le privez pas du droit d'influer sur ses députés, et de pouvoir leur retirer ou leur continuer sa confiance On n'est libre dans un choix, que lorsqu'on a la faculté de dire oui ou non ; d'ôter ou d'accorder. Si le peuple ne peut que re

fuser sans accorder, il n'a pas de vraie liberté. Rousseau a dit, que dans un gouvernement représentatif, le peuple n'était libre qu'un jour; avec la constitution qu'on vous propose, il ne le sera qu'un moment.

Il me semble inutile de répondre à ceux qui ont prétendu que la dissolution de l'assemblée nationale, par le roi, devait être liée à la rééligibilité : cela n'y a aucun rapport. Je ne crois pas que la dissolution de l'assemblée, moyen excellent en Angleterre, puisse s'appliquer ici. Ou il serait superflu, à cause des distances; ou il serait long-temps dangereux, à cause de l'opinon qui n'est pas encore formée. Le moment où cette question de la dissolution s'appliquait est passé; c'est lorsque vous avez décrété que le corps-législasif pourra déclarer au roi que les ministres n'ont pas la confiance de la nation. En Angleterre, en pareille circonstance le roi en appelle au peuple, et connaît par là si la nation partage ou non l'opinion de la chambre des communes sur ses agens. Quant à la relation qu'on a voulu établir entre cette question et le veto, cela est absurde. Le veto a pour objet, à la vérité, de consulter la nation sur un décret de ses députés; mais le peuple exprime de même, et beaucoup mieux son adhésion ou son refus, en nommant ou en ne nommant pas les mêmes députés....

Une grande partie de ces idées appartiennent au travail que j'avais médité pour la révision. Mais avant de m'y livrer, il m'a paru nécessaire de savoir si nous aurions ou non un gouvernement. Car l'on ne doit, même à son pays, que de tenter ce qui est possible; et c'est dans cette question que réside celle de savoir si nous aurons ou non un gouvernement. L'opinion qui a prévalu hier, opinion que je me fais gloire de n'avoir pas partagée, a du moins cet avantage qu'en épurant la question actuelle, et la dégageant de toute personnalité, on ne risque pas de méconnaître l'intérêt national, de le sacrifier à ses passions particulières.

M. Robespierre. Toute règle qui tend à défendre le peuple contre la brigue, contre les malheurs des mauvais choix, contre la corruption de ses représentans, est juste et nécessaire. Voilà,

ce me semble, les vrais principes de la grande question qui vous occupe. Vous avez cru me mettre en contradiction avec moi-même, en observant que j'avais manifesté une opinion contraire à la condition prescrite par le décret du marc d'argent, et cet exemple même est la preuve la plus sensible de la vérité de la doctrine que j'expose ici. Si plusieurs ont adopté une opinion contraire au décret du marc d'argent, c'est parce qu'ils le regardaient comme une de ces règles fausses qui offensent la liberté, au lieu de la maintenir; c'est parce qu'ils pensaient que la richesse ne pouvait pas être la mesure ni du mérite, ni des droits des hommes; c'est qu'ils ne trouvaient aucun danger à laisser tomber le choix des électeurs sur des hommes qui, ne pouvant subjuguer les suffrages par les ressources de l'opulence, ne les auraient obtenus qu'à force de vertus ; c'est parce que loin de favoriser la brigue, la concurrence des citoyens qui ne paient point cette contribution ne favorisait que le mérite; mais de ce que je croirais que le décret du marc d'argent n'est plus utile, s'ensuit-il que je blâmerais ceux qui repoussent les hommes flétris, ceux qui défendent la réélection des membres du corps-législatif? Mais si lorsque réellement les principes de la liberté étaient attaqués, vous aviez beaucoup montré de disposition à vous alarmer, si ce même décret du marc d'argent avait obtenu votre suffrage, n'est-ce pas moi qui pourrais dire que vous êtes en contradiction avec vousmêmes, et qui aurais le droit de m'étonner que les excès de votre zèle se fassent remarquer précisément au moment où il s'agit d'assurer à des représentans, et même sans aucune exception, la perspective d'une réélection éternelle. Laissez donc cette extrême délicatesse de principes, et examinons sans, partialité le véritable point de la question, qui consiste à savoir si la rééligibilité est propre ou non à assurer au peuple de bons représentans. L'expérience a toujours prouvé qu'autant les peuples sont indolens ou faciles à tromper, autant ceux qui les gouvernent sont habiles et actifs à étendre leur pouvoir, et à opprimer la liberté publique. De là les magistratures électives sont devenues perpétuelles, et ensuite héréditaires. Une loi prohibitive de la réélec

« PreviousContinue »