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une lettre écrite par Marie-Antoinette au prince de Condé. Cette dame déclara l'avoir reçue de madame Rochechouart, pour la transmettre de la part de la reine à une dame Benoit, riche dévote, retirée aux dames du Saint-Sacrement. Le but de cette lettre était de convaincre cette dernière qu'on allait enfin partir, chose à laquelle elle ne voulait plus croire, à moins qu'on ne lui en administrât des preuves. (Orateur du peuple, no XLIX.) Ce fut sous cette farine que Fréron se promena avec cette femme des Cordeliers à la section du Théâtre-Français, de cette section au comité des recherches, laissant partout des déclarations signées ét paraphées. Camille Desmoulins lui-même se laissa prendre à ce piége, au point qu'il conduisit ladite dame à Robespierre et à Buzot, et qui tous deux se disposaient à attaquer la Fayette et Bailly avec ce faux témoignage, lorsque Pétion, qui survint, les en détourna. Or, voici la lettre prétendue. Nous la transcrivons parce qu'on en tint compte alors, parce que beaucoup de journalistes la citèrent. Il fallait une bien grande préoccupation pour s'arrêter une minute devant cette platitude.

Lettre de la reine au ci-devant prince de Condé.

Notre ami, ne faites aucune attention au décret lancé contre vous par l'assemblée des cochons; nous apprendrons à faire remuer les crapauds et les grenouilles (les Parisiens). Voici la façon dont notre gros partira aussitôt que nos gens seront de garde. Nous avons résolu de faire faire une voiture publique dans le genre d'un fiacre, le cocher habillé en fiacre, qui nous mènera à deux lieues de Paris. Nous partons pour le pays wallon (le Pays-Bas); nous irons de Philippeville à Malplaquet, de Malplaquet à Bonsecours, à quatre lieues de Mons, en revenant du côté de Maubeuge, château appartenant à M. de Croy, et disposé à recevoir la famille royale. Le roi partira avec son fils; moi, je me rendrai de mon côté, avec madame Elisabeth et ma fille, au Luxembourg. Nous partirons aussi en fiacre, moi avec une de mes amies (madame de Rochechouart), dans un fiacre; madame Elisabeth, Madame et Monsieur partiront de l'autre côté.

> Notre blond (la Fayette) et le Bailly tâcheront de s'échapper à cheval du côté du Bourget, comme s'ils se promenaient. Quant à nous, si le peuple s'aperçoit de notre départ, la cavalerie, sous prétexte de courir après nous, nous escortera jusqu'à Bonsecours; car la cavalerie est pour nous, et nous comptons entièrement sur elle. Bailly donne depuis quelque temps à là majeure partie des cavaliers six livres par jour. Nous avons aussi le corps des marchands qui s'entend avec nous; ils nous fournissent les fonds en espèces. Dans l'assemblée nationale, les nôtres ont gagné qu'il n'y ait plus que du papier dans le commerce, afin que nous soutirions tout l'argent. Notre parlementaire (le premier président Sarron) est venu ici nous faire part du projet des parlemens: ils offrent de payer toutes les dettes de l'État et de soulager le peuple de la capitation et du droit des patentes pendant dix ans; mais c'est une amorce pour le peuple, afin de l'amadouer et de s'en rendre le maître.

› Voilà des décrets que nous avons fait sanctionner par notre gros (le roi): nous en avons fait passer dans les provinces, et nous en avons aussi adressé au prince Louis (faux décrets envoyés pour égarer le peuple et tromper la troupe de ligne, et soustraction des véritables). Ici, à Paris, nous nous reposons sur les chefs de la municipalité et sur les citoyens actifs qu'on travaille. Que le cardinal ne passe pas le Rhin, jusqu'à ce qu'il y ait reçu la nouvelle que le roi sera parti, par une lettre particulière.

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› Si nous ne réussissons pas, pour lors, notre ami, ne vous pressez pas de revenir en France. Je profite du moment où cet animal du sceau n'y est pas, pour donner cette lettre à signer au roi. Tout est arrangé pour que nous partions sous un jour ou deux. Nous ne craignons que les troupes du bourgeonné (M. d'Orléans), ci-devant gardes-françaises ; il n'y a qu'eux que nous ne pouvons pas gagner, ainsi que la république du faubourg Saint

Antoine.

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> Je vous envoie 2,000,000 de livres en espèces, que les marchands nous ont procurées. Ce sont les seize caisses d'argent

parties avant-hier matin pour Bâle en Suisse. (L'Orateur du peuple, n° XLVI.)

La soirée du 20 fut très-calme à Paris. Moi, dit Desmoulins, je revenais à onze heures des Jacobins avec Danton et d'autres patriotes; nous n'avons vu dans tout le chemin qu'une seule patrouille. Paris me parut cette nuit si abandonné, que je ne pus m'empêcher d'en faire la remarque. L'un de nous (Fréron), qui avait dans sa poche une lettre dont je parlerai, laquelle prévenait que le roi devait partir cette nuit, voulut observer le château: il vit M. la Fayette y entrer à onze heures. › Le lecteur remarquera que ce fut Fréron qui vit la Fayette.

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Le même Desmoulins nous raconte ensuite les événemens de la nuit, d'après des témoins oculaires.

La nuit où la famille des Capets prit la fuite, à minuit vingt minutes, le sieur Busebi, perruquier, rue de Bourbon, s'est transporté chez le sieur Hucher, boulanger, et sapeur du bataillon des Théatins, pour lui communiquer ses craintes sur ce qu'il⚫ venait d'apprendre des dispositions que faisait le roi pour fuir. Ils courent à l'instant même réveiller leurs voisins, et bientôt rassemblés au nombre d'une trentaine, tous membres du bataillon, ils se portent chez le sieur Mottié, auquel ils annoncent que le roi est sur le point de prendre la fuite: ils le pressent de prendre immédiatement des mesures pour s'y opposer. Mottié se met à rire et à les dissuader, en leur recommandant de se rendre tranquillement chez eux. Pour n'être pas arrêtés en se retirant, au cas qu'ils vinssent à rencontrer quelques patrouilles, ils lui demandent le mot d'ordre. Il le leur donne, en leur répétant de n'avoir point d'inquiétudes, et en les assurant que le roi est en sûreté. Lorsqu'ils ont le mot d'ordre, ils se portent aux Tuileries, où ils n'aperçoivent aucun mouvement, si ce n'est parmi grand nombre de cochers de fiacre, qui étaient à boire autour de ces petites boutiques ambulantes qui se trouvent près du guichet du Carrousel. Ils font le tour des cours jusqu'à la porte du manége, et reviennent sur leurs pas sans avoir rien aperçu; mais ils sont surpris, à leur retour, de ne plus trouver un seul fiacre sur la

place: ils avaient tous disparu; et c'est précisément là le moment où l'indigne famille s'est évadée; ce qui ferait conjecturer que toutes ces voitures ont été employées par les personnes qui formaient la suite des Capets fugitifs. Le pauvre la Fayette! (1) (Révolutions de France, etc., no LXXXIII.)

>

Le matin, à la première rumeur de la fuite du roi, tout Paris s'ébranla. La foule inondait surtout les abords des Tuileries, les quais, la place de Grève, le Palais-Royal. Pour peu que l'on réfléchisse aux habitudes révolutionnaires déjà contractées, aux lectures en plein vent, aux harangues, aux motions des carrefours, aux affiches, aux placards, aux marches et aux contremarches de la garde nationale, on se fera une idée à peu près exacte du spectacle que présentait la capitale. Les sections et les clubs ouvrirent aussitôt la permanence. Nous allons laisser parler Prudhomme :

< Ce ne fut qu'à dix heures que le département et la municipalité annoncèrent par trois coups de canon l'événement inattendu du jour. Depuis trois heures, la nouvelle volait déjà de bouche en bouche, et circulait dans tous les quartiers de la ville. Pendant ces trois heures, il pouvait se commettre bien des attentats. Le roi est parti. Ce mot donna d'abord un moment d'inquiétude; on se porta en foule au château des Tuileries pour s'en assurer; maïs tous les regards se portèrent presqu'aussitôt sur la salle de l'assemblée nationale. Notre roi est là dedans, se dit-on; Louis XVI peut aller où il voudra.

> Puis on fut curieux de visiter les appartemens évacués. On les parcourut tous; on y trouva des sentinelles. Nous les questionnâmes: Mais par où et comment a-t-il pu fuir? Comment ce gros individu royal, qui se plaint de la mesquinerie de son logement, est-il venu à bout de se rendre invisible aux factionnaires, lui dont la corpulence devait obstruer tous les passages? Nous ne savons que répondre, disaient les soldats de garde. >

(1) Depuis le n° LXXIX, ce journal s'intitule: Révolutions de France et de tous les royaumes qui demandant une assemblée nationale, et arborant la cocarde, mériteront une place dans les fastes de la liberté, (Note des auteurs.) 46

T. X.

Nous insistâmes: cette fuite n'est pas naturelle; vos chefs étaient du complot..... et tandis que vous étiez à vos postes, Louis XVI quittait le sien à votre insu et tout près de vous.

› C'est à ces observations qui se présentaient les premières à l'esprit, que la Fayette est redevable de l'accueil qui le fit pâlir sur la place de Grêve et tout le long des quais. Il alla se réfugier à l'assemblée nationale, où il fit des aveux peu propres à lui ramener la faveur populaire.

› Bien loin d'être affamé de voir un roi, le peuple prouva par la manière dont il prit l'évasion de Louis XVI, qu'il était saoul du trône et las d'en payer les frais. S'il eût su dès-lors que Louis XVI, dans sa déclaration qu'on lisait en ce moment à l'assemblée nationale, se plaignait de n'avoir point trouvé dans le château des Tuileries les plus simples commodités de la vie, le peuple indigné se serait porté peut-être à des excès; mais il sentait sa force et ne se permit aucune de ces petites vengeances familières à la faiblesse irritée : il se contenta de persifler à sa manière la royauté, et l'homme qui en était revêtu. Le portrait du roi fut décroché de sa place d'honneur et suspendu à la porte; une fruitière prit possession du lit d'Antoinette pour y vendre des cerises, en disant : C'est aujourd'hui le tour de la nation de se mettre à son aise. Une jeune fille ne voulut jamais souffrir qu'on la coiffât d'un bonnet de la reine; elle le foula aux pieds avec indignation et mépris; on respecta davantage le cabinet d'étude du Dauphin; mais nous rougirions de rapporter le titre des livres du choix de sa mère.

› Les rues et les places publiques offraient un spectacle d'un autre genre. La force nationale armée se déployait en tous lieux d'une manière imposante. Le brave Santerre pour sa part enrôla deux mille piques de son faubourg. Ce ne furent point les citoyens actifs et les habits bleu-de-roi qui eurent les honneurs de la fète; les bonnets de laine (1) reparurent et éclipsèrent les bonnets

(1) Les ouvriers des faubourgs, et en général à cette époque, les hommes du peuple, portaient tous des bonnets de laine. Nous avons vu passer quelques lettres, notamment une à Gorsas, signée Lapique, général des bonnets de laine. Ce fut là l'origine du bonnet rouge. (Note des auteurs.)

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