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un port de la Méditerranée, par l'imprudence d'une frégate américaine.

[Depuis l'avénement de Selim au trône impérial, l'usage ayant été rétabli de saluer par quelques coups de canon le sérail, en entrant ou en sortant du port de Constantinople, il arriva, ces jours-ci, qu'un navire marchand vénitien, venu de l'Archipel, voulait s'acquitter de cette étiquette; mais ayant par inadvertance oublié de retirer les boulets, il lácha sa bordée contre le sérail avec tant de justesse, que deux boulets tombèrent au milieu du jardin et que d'autres endommagèrent les édifices. Le grandseigneur, extrêmement irrité de ce manque de respect, fit sur-lechamp demander la tête de l'imprudent capitaine. Par bonheur, le drogman de Venise se trouva dans ce moment à la SublimePorte; il mit tout en œuvre pour apaiser les esprits animés et sauver le patron du navire, en attribuant cet accident à l'étourderie des gens de l'équipage; ce qui, joint aux représentations du bayle de Venise, protestant que le capitaine, déjà mis aux fers, serait puni, et que des irrégularités pareilles n'arriveraient plus à l'avenir, a eu un succès si heureux que l'affaire s'est terminée sans aucune effusion de sang.] (Moniteur du 2 mai.)

De Rome, le 16 avril.

[M. Cagliostro est jugé. Il a été condamné à une prison perpétuelle, et sa femme à être renfermée dans un couvent. On ne connaît pas bien encore les vraies charges du procès. C'est un homme qu'on a voulu perdre; on l'a perdu. Il sera transféré au château de Saint-Leo, dans le duché d'Urbin. On a bien pensé à le faire périr; mais pour cela il eût fallu le faire juger par le saint-office, et alors on ne se fût pas dispensé de l'accusation de sorcellerie; c'est ce qu'on voulait surtout éviter. N'est-ce pas un hommage que rend la cour de Rome aux progrès des lumières, et à cet autre art diabolique qu'on appelle politique?] (Moniteur du 5 mai.)

Varsovie. Révolution du 5 mai 1791.
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[La séance du 3 mai sera à jamais célèbre dans les fastes de la

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Pologne. La plus heureuse révolution s'est faite, pour ainsi dire, en ce seul jour mémorable. Dans une république de nobles pays d'esclavage pour les autres hommes, la liberté a été rendue à tous, et les droits politiques aux habitans des villes sans effusion de sang; il n'y a pas été commis une seule violence; il ne s'est pas présenté un seul soldat, et le peuple était sans

armes.

Depuis quatre mois, les amis du bien public, les patriotes s'étaient concertés, ayant pour chef et pour conseil le roi. Plus de soixante personnes ont gardé ce grand secret; la majorité de ces soixante ne passe pas trente ans. Exemple admirable que donne cette jeunesse polonaise, que le roi et quelques sages ont mis depuis quelques années un soin particulier à élever pour un grand événement.

Peu de jours avant que la séance qui devait être consacrée à la révolution, ne dût s'ouvrir, une trahison en a hâté l'effet. On avait été forcé de mettre de nouvelles personnes dans la confidence des principes, du plan et de la journée dont on brûlait de montrer bientôt l'éclatante nouveauté. Un de ces nouveaux confidens, soit séduction, soit faiblesse, avait dévoilé le sublime mystère: aussitôt les ministres étrangers en sont instruits. L'intrigue s'éveille, travaille, s'étend, et sur l'heure se trahit ellemême par sa haine pour le bonheur public, pour la félicité nationale. Terrible obstacle! les patriotes s'inquiètent, frémissent, se rassemblent; il faut agir, il faut déjouer la perfidie. Le temps presse; un nouveau secret se donne et se garde : la fameuse séance est résolue plutôt qu'on ne l'attend, et les ennemis publics seront confondus.

En effet, le 3 mai, tout à coup à l'ouverture de la séance, M. Matusewiez, nonce de Briesc, et rapporteur de la députation des affaires étrangères, se lève. Il peint l'effrayante situation dê la république; mille dangers la pressent, et nulle force ne la rassure. Les armées des voisins semblent marcher à des ennemis connus; mais en un moment la paix peut se conclure, et ces ar

mées nombreuses peuvent accabler la Pologne. Ici l'orateur rappelle tous les bruits, renouvelle toutes les menaces, raconte tous les faits qui prouvent qu'un démembrement nouveau de sa patrie n'est point impossible; il développe comment le projet de cette indigne spoliation est peut-être déjà un pacte arrêté entre des puissances, un prix conciliateur présenté aux princes qui négocient entre eux une réconciliation....... Et cependant la république est dans l'anarchie, son gouvernement est sans force, et des factions peuvent encore accélérer la ruine de l'État désespéré.... L'orateur avait achevé de parler, qu'un profond silence régnait toujours. Soudain le comte Potocki, grand-maréchal de Lithuanie, cet homme important, que quelques-uns soupçonnaient de ne pas appartenir entièrement au parti patriote, prend la parole avec véhémence; il s'adresse au roi, le conjure de sauver la patrie, de prendre seul dans ce danger public le timon de l'État, lui parle comme à un dictateur créé au moment même par le péril et la confiance.

Aussitôt l'assemblée et la salle ont retenti de l'impétueux assentiment, et des nonces, et des sénateurs, et du peuple: alors le roi se leva tranquillement, et prit la parole. Ce calme ramène un silence profond. Sa majesté raconte que tout lui semble avoir été prévu, qu'il existe un plan général de constitution, médité depuis long-temps en secret par un nombre considérable de nonces et de sénateurs, et par quelques hommes distingués dont le savoir a été consulté. Le roi, poursuivant toujours avec tranquillité, assure que ce plan est de nature à pouvoir être adopté en un seul jour, dans un seul moment, à l'heure même. J'exhorte donc, continue le roi d'une voix plus haute et sans éclat, les États à l'accepter, comme la seule mesure souveraine qui doive non-seulement sauver la république, mais encore la porter au plus haut degré de splendeur où elle puisse atteindre, pourvu que des malintentionnés n'y apportent point d'obstacle.

Sur l'heure donc le projet est lu par le secrétaire de la diète; et comme plusieurs sénateurs parlaient presque tous en faveur de l'adoption, quelques-uns, mais en petit nombre, contre le

projet, le reste de l'assemblée se précipite autour du trône, tous attachent le salut de l'État à ce qu'ils viennent d'entendre. • Donnez l'exemple, s'écrient-ils au roi; jurez le premier de maintenir cette nouvelle constitution. La salle retentit de nouveau d'une acclamation unanime, d'une prière unique adressée à sa majesté. L'enthousiasme est général : il n'y a plus de réclamans. La formule du serment demandé est lué par le princeévêque de Cracovie: le roi jure, et l'assemblée et le peuple tiennent leurs mains levées vers le ciel. Le roi ajoute ce peu de paroles: J'ai juré devant Dieu et la patrie de maintenir la nouvelle constitution et de l'observer. Allons maintenant au temple du Seigneur, et rendons des actions de grâces pour la faveur signaléé et mémorable qu'il vient de nous accorder dans cette journée.

Tout le monde est sorti à l'instant, et s'est rendu à l'église cathédrale à la suite du roi. Tandis que le Te Deum, l'un des plus célèbres qui ait été adressé à l'Éternel, se chantait au bruit du canon, quinze nonces seulement étaient restés dans la salle des Etats, protestant contre la félicité publique.

Le serment a été prêté au même moment par les deux maréchaux de la diète. Le roi est retourné à la salle des États. Il a demandé que la diète signât la nouvelle constitution, et qu'elle fît prêter le serment aux commissaires de la guerre et du trésor, ce qui a été exécuté, comme en triomphe, au milieu d'une allégresse universelle. Des ordres ont été expédiés à l'armée pour la prestation du même serment.

Nous tenons ces détails intéressans d'une lettre de Varsovie, dans laquelle respire une satisfaction civique et ravissante. La personne qui écrit s'interrompt en un endroit pour donner cours à des larmes d'allégresse que lui procure la félicité publique, exprimée sous ses propres fenêtres par tout un peuple en fête...

Voici les articles constitutionnels :

› Le pouvoir exécutif dans le roi a reçu le degré énergique

T. X.

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qui lui manquait, et la succession au trône est assurée, premièrement, à la personne de l'électeur de Saxe régnant, ensuite à ses descendans mâles, s'il en a, et en attendant à sa fille unique, déclarée infante de Pologne, de la main de laquelle la république se réserve de disposer en son temps. Son époux futur deviendra la souche de la dynastie régnante future en Pologne, si l'électeur n'a point de fils.

> En cas de minorité du roi, de maladie qui lui ôte les facultés de régner, ou de prison par l'ennemi en guerre, la régence sera composée du même conseil de surveillance, qui doit faire toujours le conseil du roi, et sera présidé à sa place par la reinemère, avec tous les pouvoirs de la royauté; et si la reine n'existait pas, par le même conseil, présidé par le primat du royaume.

› La majorité du roi est fixée à dix-huit ans. L'héritier présomptif du trône, dès qu'il aura atteint cet âge et prêté serment à la constitution, sera admis à assister au conseil, mais sans y avoir d'avis.

Le conseil sera composé du primat, comme chef du clergé et président de la commission d'éducation, et de cinq ministres, dont l'un pour la police, le second pour la justice, le troisième pour la guerre, le quatrième pour les finances, le cinquième pour les affaires étrangères, choisis par le roi, et de deux secrétaires, dont l'un pour le protocole, le second pour les affaires étrangères.

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Quatre commissions, d'éducation, de la police, de la guerre et du trésor, recevront les ordres du roi, contresignés par un des ministres, et en transmettront l'exécution. L'organisation de ces différens dicastères et du département des affaires étrangères, va être rédigée.

Le peuple des campagnes est reçu sous la protection du gouvernement et de la loi. Toutes les conventions que les propriétaires pourront faire avec leurs paysans, sont également obligatoires pour les deux parties, et constitueront leurs devoirs réciproques. Tous les hommes sont reconnus libres, tant ceux qui

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