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talens seuls que je rends hommage; ce n'est pas à l'esprit le plus distingué de son siècle, à l'homme que la nature n'a pas encore remplacé sur le globe; ce n'est pas à celui qui exerça sur tous les arts, sur toutes les sciences, le despotisme du talent. Ces titres, tout précieux qu'ils sont, ne suffiraient pas pour décider les représentans de la nation française à décerner au philosophe de Ferney les honneurs qu'on sollicite pour sa cendre. Je les réclame pour le philosophe qui osa, un des premiers, parler aux peuples de leurs droits, de leur dignité, de leur puissance, au milieu d'une cour corrompue. Voltaire, dont une des faiblesses fut d'être courtisan, parlait aux courtisans l'austère langage de la vérité; il rachetait, par la manière dont il burinait les vices des tyrans qui avaient opprimé les nations, quelques flatteries qui lui échappaient pour les despotes qui les enchaînaient encore. Son regard perçant a lu dans l'avenir, et a aperçu l'aurore de la liberté, de la régénération française, dont il jetait les semences avec autant de soin que de courage. Il savait que pour qu'un peuple devînt libre, il fallait qu'il cessât d'être ignorant ; il savait qu'on n'enchaîne les nations que dans les ténèbres, et que quand les lumières viennent éclairer la honte de leurs fers, elles rougissent de les porter, et veulent les briser. Elles les brisent en effet; car vouloir et faire est la même chose pour une grande nation.

Voltaire écrivit donc l'histoire, et l'écrivit entouré d'esclaves, de censeurs royaux et de despotes, en homme libre et en philosophe courageux. J'emprunterai ici les expressions d'un ami de la liberté qui le louait il y a douze ans, comme il faut le louer aujourd'hui, M. Ducis.

L'histoire moderne avant lui, vous le savez, portait encore l'empreinte de ces temps barbares où les oppresseurs et les tyrans des nations seuls étaient comptés parmi l'espèce humaine, où le peuple et tout ce qui n'était qu'homme n'était rien. Les gouvernemens avaient changé. L'homme était rentré du moins dans une partie de ses droits; mais l'histoire, frappée de l'esprit de l'ancienne servitude, sans faire un pas en avant, semblait restée au siècle de la féodalité; elle n'osait en quelque sorte croire à l'af

franchissement du peuple, et le repoussait de ses annales, comme autrefois il était repoussé de la cour et des palais dé ses tyrans. C'est Voltaire qui le premier a senti, a marqué la place que la dignité de l'homme devait occuper dans l'histoire: il a donc voulu que l'histoire désormais, au lieu d'être le tableau des cours et des champs de bataille, fût celui des nations, de leurs mœurs, de leurs lois, de leur caractère, et il a lui-même exécuté ce grand projet. Polybe avait écrit l'histoire guerrière; Tacite et Machiavel, l'histoire politique; Bossuet, l'histoire religieuse; Voltaire écrivit le premier l'histoire philosophique et morale. Aussi cet homme extraordinaire, qui a renouvelé parmi nous presque tous les champs de la littérature, a fait par son exemple une révolution dans l'histoire. Eh bien! cette révolution a préparé la nôtre..... (On demandé à aller aux voix.) Je ne résiste point à l'impatience de l'assemblée. Mon amendement n'a sans doute pas besoin d'être motivé; je l'énonce simplement: « Il sera élevé aux frais de la nation une statue à Voltaire. >

M. Eymar. L'assemblée a décrété une statue pour J.-J. Rous seau; je ne sais pourquoi le comité des pensions ne s'est pas encore occupé de cet objet.

M. Camus. Le comité s'en est occupé : la première question est de savoir s'il doit être fait une statue simple ou un groupe; ensuite si cette statue doit être élevée sur une place publique, ou placée dans un musée. Nous n'avons pas cru devoir interrompre vos travaux pour cet objet ; mais nous vous en ferons le rapport au premier moment.

M. Prugnon. Je demande que le même honneur soit accordé à Montesquieu, le scul peut-être des écrivains qui soit mort avec l'espoir fondé qu'il n'y aurait pas une ligne à effacer dans ses écrits. Voltaire a dit: Le genre humain avait perdu ses titres; Montesquieu les a retrouvés.

M. Chabroud. Je ne conteste pas l'amendement du préopinant; mais je dois faire remarquer le danger qu'il y aurait à ce que le corps-législatif put être entraîné à décerner des honneurs publics sur la chaleur d'une motion. Je demande donc que tous les amen

demens soient renvoyés au comité. Si, au contraire, on décrétait la proposition du préopinant, moi, qui suis habitant de la cidevant province du Dauphiné, je demanderais les mêmes honneurs pour M. l'abbé Mably.

L'assemblée décrète le projet présenté par M. Gossin, et renvoie au comité de constitution les diverses propositions incidentes.]

PROVINCES.

Nous empruntons au Moniteur les détails suivans sur ces provinces.

[Extrait d'une lettre de Tulle, département de la Corrèze, du 12 mai.

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J'ai de fâcheuses nouvelles à vous apprendre, et vous gémirez comme moi des funestes excès auxquels le peuple de cette ville vient de se livrer. Le sieur Massey, capitaine du détachement de Royal-Navarre, en garnison ici depuis long-temps, ce même homme que vous vous rappelez s'être si indécemment comporté l'année dernière, à l'époque de la fédération du département, vient d'être la victime de son délire, de ses longues violences, et enfin des attentats qu'il avait commis ces jours derniers. On l'avait éncore vu quelques jours avant l'événement tragique, provoquer des citoyens, les poursuivre à coups de sabre ou de pistolet, maltraiter cruellement des enfans, et le peuple avait gardé le silence. Le 9 de ce mois, à dix heures du soir, il rencontra, près du pont, un menuisier nommé Borderie, marchant à la suite de plusieurs jeunes gens qui chantaient çà ira. Cet homme venait d'être reçu membre de la société des Amis de la constitution. Massey, en l'injuriant, tombe sur lui à coups de sabre; et ayant entendu accourir au bruit du malheureux qui appelait à son secours, le laisse sur la place presque mort. La nouvelle de cet attentat s'étant répandue de très-grand matin dans la ville, le peuple s'assemble, s'émeut et demande à grands cris justice de l'assassin. Les corps administratifs requièrent les chefs de la garde nationale de disposer la force publique. Au bruit de la gé

nérale, plusieurs détachemens se forment; mais il est impossible d'occuper tous les postes. Le peuple furieux se rend à la maison de M. Poissac, où logeait Massey. Quelques membres de l'administration, députés par leurs corps respectifs, étaient accourus pour prévenir des malheurs. Ils parvinrent, non sans peine, à faire conduire au district, où le département était aussi rassemblé, M. Poissac, sa femme, et M. Lantillac, ci-devant comte de Lyon; mais ils ne purent sauver Massey. Après de longues recherches, on le trouva caché dans les latrines. Il en est arraché, en vain les membres de l'administration interposent de nouveau leur caractère et leur autorité pour le faire remettre sous le glaive de la loi. La nouvelle, quoique fausse, de la mort du menuisier, qui venait de se répandre, rend le peuple plus furieux encore. Massey tombe sous les coups qui lui sont portés, et expire bientôt après.]

Département des Bouches-du-Rhône. — Orange, 13 mai.

[Le siége de Carpentras est levé, et quoi qu'on fasse, par force à Avignon et dans les villages réduits, une nouvelle levée d'hommes et de chevaux, l'armée avignonaise ne sera plus vraisemblablement si empressée à attaquer une ville autour de laquelle elle ne trouve que sa destruction. — Le 10, un détachement de 50 Carpentrassiens fit une sortie contre un corps de troupes avignonais qui coupait du bois entre Carpentras et Monteux, pour faire des fascines. Le gros de l'armée étant venu au sécours de ce corps, les Carpentrassiens se retirèrent en bon ordre sans avoir perdu un seul homme : les Avignonais ont eu trois hommes tués et quelques blessés.

La dévastation du comtat continue toujours. Un détachement de 600 hommes de l'armée avignonaise, avec quelques pièces de canon, a soumis toute la province, excepté Carpentras, Vaurcas et quelques villages du haut-comtat, couverts par le département de la Drôme, et Bonieux enclavé dans celui des Bouches-du-Rhône qui y a formé un cordon de troupes de ligne et de 200 hommes de la garde nationale du district d'Apt, Dans

tout le reste de la province, les Avignonais ont désarmé tous les citoyens qui ne veulent pas seconder leurs exécrables projets de dévastation, et armé tous les bras qui peuvent être utiles au pillage et à l'incendie. Les villages sont mis à contribution d'abord en corps de communauté, et ensuite en particulier par individus. Riolène, par exemple, composé de 206 habitans, est forcé de fournir, sous peine d'être traité comme Sarrians, un contingent journalier en pain, vin, eau-de-vie, etc., une somme de quatre mille huit cents liv. qu'il a payée et un détachement pour l'ar mée avignonaise. Les autres villes et villages sont taxés à proportion, sous peine de pillage.

Le 12, quarante déserteurs de Soissonnais levèrent sur les habitans de Cavaillon une contribution de 25,000 liv., et pillèrent en outre plusieurs maisons. Un officier au service de France, nommé M. Cornillon, faillit avoir la tête tranchée. Le Thor, déjà écrasé par un premier pillage, fut imposé à seize mille liv. Caumont paie deux mille liv. huit cents par semaine; Gadagne fournit du vin.

A Vauqueiras, le château de madame Lauris a été entièrement dévasté; toutes les portes et fenêtres ont été brisées; les meubles, les cheminées de marbre, et jusqu'aux gonds des portes et pavés des appartemens ont été enlevés.

Après l'attaque du 6, contre Carpentras, où les assiégés ont fait une sortie si meurtrière contre les assaillans. On a vu passer au pont Saint-Esprit, plusieurs charrettes chargées de blessés ; il n'en arrive pas moins chaque jour, dans le camp avignonais de nouvelles hordes que la haine contre le pape, beaucoup plus que le désir de faire jouir le comtat des bienfaits de la constitution française, fait envoyer de Nîmes, d'Uzès, d'Alais, de la Gardounauge, du Lavinage, etc. M. Antonelle, maire d'Arles, va et vient sans cesse d'Avignon au camp. Voilà une esquisse de la situation actuelle de ce malheureux pays.]

EXTÉRIEUR.

Voici un fait semblable à celui qui s'est passé récemment dans

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