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que vous avez reconnue leur appartenir d'une manière imprescriptible? Punissez tous ceux qui abuseraient de ce droit, comme vous puniriez celui qui vendrait des drogues empoisonnées, sans pour cela défendre l'exercice de la pharmacie. Priver l'homme du droit naturel de manifester sa pensée parce qu'il peut en abuser, c'est vouloir paralyser toutes ses facultés, de peur qu'il n'en abuse; engourdir son bras, de peur qu'il n'assassine........... La liberté de penser et de manifester sa pensée d'une manière quelconque, est le levier de la liberté politique. Peut-être la révolution serait-elle encore à faire, si la loi qu'on vous propose eût subsisté il y a deux ans. (Quelques membres de l'assemblée et les tribunes applaudissent.) Est-ce après deux ans de discussion, après avoir reconnu et proclamé solennellement les principes de la liberté, qu'on veut l'enchaîner? En vérité, je croirais que nous sommes en arrière de la révolution, et que nous rétrogradons, parce que nous ne sommes pas faits pour la liberté..... Je demande la question préalable sur le projet de votre comité. Baumetz propose l'article suivant :

Le droit de pétition est individuel et ne peut se déléguer; en conséquence il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps électoraux, judiciaires, administratifs ou municipaux, ni par les communes ou sections de communes, ni enfin par les sociétés de citoyens. Tout pétitionnaire signera sa pétition, et s'il ne le peut ou ne le fait, il en sera fait mention. ›

M. Andrieux. Je demande qu'il soit établi des formes pour constater la pétition des citoyens qui ne savent pas écrire.

M. Robespierre. Je demande que le droit contesté hier aux citoyens appelés non-actifs, soit déclaré formellement, et qu'au lieu de dire que le droit de pétition est un droit individuel, on dise qu'il appartient à tout citoyen sans distinction. (On entend des murmures dans le milieu de la salle; quelques applaudissemens dans l'extrémité gauche.)

M. Moreau. J'appuie l'amendement de M. Andrieux. Il est essentiel que le vœu des pétitionnaires qui ne savent pas écrire soit constaté par un acte judiciaire: sans cela un intrigant pour

rait présenter, au nom de deux ou trois mille citoyens, une pétition qui paraîtrait imposante, et ne serait qu'une imposture. A l'égard de l'amendement du préopinant, je ne crois pas qu'il puisse être admis. Le droit de pétition est un droit politique qui ne doit être exercé que par ceux qui font partie de la société et en supportent les charges, et auxquels la nation, la constitution a attribué tous les droits de cité, le droit de voter dans les assemblées primaires, le maintien de l'ordre public comme gardes nationales. Ce n'est pas là avoir rétabli les ordres, les distinctions anciennes : tout citoyen est présumé citoyen actif, ou peut le devenir.... Je demande la question préalable sur l'amendement de M. Robespierre.

M. le Chapelier. Je réponds à l'observation de M. Robespierre, qui cherche à renouveler la querelle commencée hier. (Il s'élève quelques murmures.) Le projet de M. Baumetz paraît devoir concilier les opinions. Il réunit dans sa rédaction le droit de pétition, le droit de demande, le droit de plainte, le droit de requête. Et si le premier est le droit du citoyen, les trois derniers sont le droit de tout homme. Aussi le projet de M. Baumetz les comprend tous, en disant que tout pétitionnaire signera sa pétition. Cet article passe et tranche sur toutes les difficultés ; il évite une discussion qui pourrait être considérable, et il dit

tout.

Une partie de l'assemblée demande à aller aux voix.

M. Robespierre. Il résulte de ce que M. le Chapelier vient de dire, qu'il ne convient pas que tout citoyen sans distinction puisse exercer le droit de pétition. Il ne peut donc pas dire que sa rédaction concilie toutes les opinions.

Il faut, ou que M. le Chapelier nous accorde la rédaction que nous demandons, et qui tend à déclarer le droit le plus sacré de l'homme, ou qu'il combatte la demande que nous formons; en un mot, il est impossible qu'on tranche une question de cette importance d'une manière aussi brusque. (Les tribunes applaudissent.) J'insiste donc pour obtenir la permission de prouver que l'article doit être rédigé de manière que le droit de pétition

soit formellement reconnu appartenir à tous les citoyens sans distinction. La pétition, la demande, la requête, la plainte, voilà bien quatre mots; mais M. le Chapelier, ni personne, ne nous a prouvé la distinction qui existe entre eux; et encore moins que l'un doit être appliqué aux seuls citoyens actifs, et les autres aux citoyens non actifs. Est-ce ainsi que l'on élude les réclamations des membres de cette assemblée? Je dis que le comité de constitution n'a pas le droit de faire échouer en quelque sorte les délibérations de l'assemblée, en disant d'abord que l'article qu'on propose renferme notre vou; et ensuite que, cependant, on est d'un avis contraire. (On demande à aller aux voix.) Je prie qu'on veuille bien m'écouter jusqu'au bout. Si le droit de pétition, comme M. le Chapelier vient de l'avouer, n'est pas un droit politique....

M. le Chapelier. Ne me faites pas dire une absurdité.

M. Robespierre. Je dis que bien loin que le droit de pétition soit un droit collectif.... (M. le Chapelier interrompt. → M. le président le rappelle à l'ordre.) Il est évident que le droit de pé tition n'est autre chose que le droit d'émettre son yœu; que ce n'est donc pas un droit politique, mais le droit de tout être pen¬ sant. Bien loin d'être, comme on vous l'a dit, l'exercice de la souveraineté, de devoir être exclusivement attribué à tous les citoyens actifs, le droit de pétition au contraire suppose l'absence de l'activité, l'infériorité, la dépendance. Celui qui a l'autorité en main ordonne; celui qui est dans l'inactivité, dans la dépendance, adresse des voeux. La pétition n'est donc point l'exercice d'un droit politique, c'est l'acte de tout homme qui a des be soins. (Les tribunes applaudissent.) Or, je demande si cette faculté peut être contestée à qui que ce soit.... (On entend quelques rumeurs.-M. Martineau observe que la discussion est fermée.) Je demande à M. le président, une fois pour toutes, que l'on ne m'insulte pas continuellement autour de moi, lorsque je défends les droits les plus sacrés des citoyens....

M. le président (Dandré). Je demande si je ne préside pas bien, et si je ne fais pas tous mes efforts....

Une voix de la gauche. Non.

M. le président. Je demande que la personne qui a dit non se

nomme, et prouve.

M. Laborde. J'ai dit non, parce que je m'aperçois que vous ne mettez pas le même soin à obtenir du silence pour M. Robespierre, que vous en mettiez lorsque MM. Baumetz et Chapelier ont parlé.

M. le président. On doit se rappeler que pendant tout le temps que M. Robespierre a parlé, je n'ai cessé de faire aller ma sonnette, et de fatiguer mes poumons; j'ai rappelé à l'ordre nominativement M. le Chapelier qui l'interrompait.

M. Robespierre. Le droit de pétition doit surtout être assuré dans toute son intégrité à la classe des citoyens la plus pauvre et la plus faible. Plus on est faible, plus on a besoin de l'autorité protectrice des mandataires du peuple. Ainsi, loin de diminuer l'exercice de cette faculté pour l'homme indigent, en y mettant des entraves, il faudrait le faciliter; et l'on veut au contraire, sous le prétexte de droit politique, le priver entièrement.... (On murmure.)

M. le président. Ecoutez M. Robespierre avec le plus grand silence.

M. Martineau. Mais la discussion est fermée.

M. le président. N'interrompez pas l'opinant.

M. Robespierre. Je vous assure que s'il était question ici de soutenir une opinion qui pût m'être favorable, je me garderais bien d'affronter tant de contradictions; mais je soutiens les droits d'un grand nombre de mes commettans. Je dis que toutes les distinctions qu'on vous a faites entre le droit de pétition, le droit de plainte, etc., sont injurieuses à l'humanité. Il faut que le comité de constitution s'explique, ou plutôt qu'il ne s'explique pas; il faut que l'assemblée fasse droit à nos justes réclamations, qu'elle rende un décret qui n'élude point insidieusement la question, mais qui déclare franchement et formellement les droits de l'humanité. Et puisque je ne demande autre chose qu'une explication claire, qui ne donne lieu à aucune équivoque dangereuse.

qui tendrait à priver un jour les citoyens inactifs de leurs droits; puisqu'il est vrai que le droit de pétition n'est pas un droit politique, mais le droit de l'homme, on ne peut refuser de mettre dans le décret que ce droit peut être exercé par tout citoyen sans distinction. C'est à quoi je conclus.

M. l'abbé Maury. Je viens défendre l'opinion de M. Robespierre. (Plusieurs voix: La discussion est fermée.) Je viens récla mer, pour tout citoyen qui a une volonté légale, qui est majeur, le droit de pétition; je le réclame pour les corps administratifs, et je soutiens que la doctrine du comité de constitution est contraire à tous les principes de la justice, à toutes les notions politiques. (On murmure et on applaudit.)

M. le président. Malgré tout ce que vous venez de dire, on demande que la discussion soit fermée. (Plusieurs voix de la gauche: Non.) Des oui et des non ne sont pas la volonté de l'assemblée : je dois la consulter.

La délibération paraît douteuse.

M. l'abbé Maury. Dans le doute, je dois avoir la parole. Il faut que je sois au moins une fois applaudi des tribunes: cela ne m'arrive pas souvent.

La discussion est fermée, et l'article de M. Baumetz, amendé par M. Regnaud, est décrété en ces termes, à la place des sept premiers articles du projet du comité de constitution.

Art. I. Le droit de pétition appartient à tout individu, et ne peut être délégué; en conséquence, il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps électoraux, administratifs, judiciaires, municipaux, par communes, sections de communes, ni par des sociétés de citoyens. Tout pétitionnaire signera sa pétition; s'il ne le peut ou ne le fait, il en sera fait mention nominativement.

M. le Chapelier fait lecture de l'article II portant que les citoyens qui voudront faire des pétitions ne pourront se réunir en assemblées de communes; que les assemblées de communes ou sections de communes ne pourront être ordonnées, provoquées

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