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pavées, quelques-unes ne le font point du tout elles font fort étroites; la feule qui va du férail à la porte d'Andrinople, eft praticable. Cette ville eft à-peu-près auffi grande & auffi peuplée que Paris. On y voit peu de femmes Turques dans les rues. Les maris, pour leur ôter tout prétexte de fortir, leur ont perfuadé qu'il n'y avoit point de paradis pour les femmes, ou que du moins, pour y aller, fuppofé qu'il y en eût un, il n'étoit pas néceffaire de prier hors de chez foi. Pour les retenir agréablement dans leurs maifons, ils y font bâtir des bains, & les amufent avec du café précaution quelquefois inutile, mais qui rend pourtant les intrigues plus rares que parmi nous.

Les tremblemens de terre & la pefte, fur-tout, y font fouvent de grands ravages, par la faute des Turcs, qui n'apportent aucune précaution pour fe garantir de cette maladie. Il n'y regne que deux vents, le vent du Nord & celui du Midi. Quand le premier fouffle, il ne peut rien venir de la mer de Marmora; mais alors les vaiffeaux qui viennent de la mer Noire, ont le vent en poupe, & fourniffent la ville de provifions. Au contraire, quand le fud domine, rien ne peut venir de la mer Noire, & tout vient de la mer Blanche. Ainfi, ces deux vents, font comme les deux clefs de Conftantinople, qui ouvrent & ferment l'entrée aux vaisseaux. Quand ils ne foufflent, ni l'un ni l'autre, on fait aller les petites barques à la rame.

Galata eft le plus beau fauxbourg de la ville, dont il faifoit autrefois la treizieme région. Ce fauxbourg eft bâti au delà du port vis-à-vis le férail, dans un quartier qui portoit le nom des figuiers, que l'on y cultivoit en abondance. Juftinien répara ce fauxbourg & lui donna le nom de Juftiniane on ne fait pas d'où lui vient le nom de Galata.

On goûte dans Galata une efpece de liberté qui ne fe trouve guere ailleurs dans l'Empire Ottoman. Galata eft comme une ville Chrétienne au milieu de la Turquie, où les cabarêts font permis, & où les Turcs même viennent boire du vin : il y a des auberges à Galata pour les Francs; on y fait bonne chere. La halle aux poiffons mérite d'être vue; c'est une longue rue où l'on étale de chaque côté les plus beaux & les meilleurs poiffons du monde.

On monte de Galata à Pera, qui en eft comme le fauxbourg, & que l'on a confondu autrefois fous le même nom. Pera eft un mot grec, qui fignifie au-delà; & les Grecs de Conftantinople, qui veulent paffer audelà du port, fe fervent encore de ce mot, que les étrangers ont pris pour tout le quartier. Ce quartier, comprenant Galata & Pera, a été nommé Perée, par Nicetas, par Grégoras, par Pachymere, & fimplement Pera, par les autres auteurs; mais on diftingue aujourd'hui Pera de Galata, & Pera n'eft précisément que le fauxbourg fitué au-delà de la porte de cette ville. Les Grecs appellent auffi les bateaux de trajets, Peramidia, & par corruption les Francs les nomment Permes. La fituation de Pera eft toutTome XIV. G

à-fait charmante; on découvre de-là toute la côte d'Afie, & le férail du Grand-Seigneur. Les Ambaffadeurs de France, d'Angleterre, de Venife & de Hollande, ont leurs Palais dans Pera celui du Roi de Hongrie, car l'Empereur ne l'envoie proprement que fous ce titre; ceux de Pologne & de Raguze, logent dans Conftantinople.

Nous ne hafarderons rien ici fur la véritable étendue de cette ville immense, ni fur le nombre des maifons, ni fur celui des habitans, perfuadés que tout ce que les voyageurs nous en content, n'eft fondé que fur des conjectures vagues, fur des traditions impertinentes, ramaffées parmi le bas peuple, & coufues ensemble avec autant de crédulité que peu de difcernement. Car il n'est pas permis aux Turcs mêmes, fuivant leur loi, de faire le dénombrement du peuple, & de s'informer de ce qui regarde leurs mœurs, leur gouvernement, & autres particularités intéreffantes pour un étranger. Nous tâcherons d'expofer ce qu'on peut avancer avec le plus d'affurance fur les coutumes, les mœurs, les ufages, le gouvernement des Turcs, aux articles OTTOMANS, TURCS, TURQUIE. Nous ajouterons ici quelques particularités obfervées à Conftantinople par M. Porter, plénipotentiaire de Sa Majefté Britannique à la Porte, d'après une de fes lettres écrites à M. Maty à Londres.

Je puis affurer avec vérité une chofe, dit-il, qui paroîtra un paradoxe; c'eft que malgré les permiffions que donne la loi de Mahomet, les Turcs en général multiplient moins que les Chrétiens à Conftantinople. Les gens riches, les feuls qui foient en état d'entretenir des concubines, ont rarement quatre ou cinq enfans. Je n'en ai guere connu ni entendu nommer qui en aient plus de deux ou trois. Beaucoup d'entre ceux-ci, & la plupart des gens d'un état mitoyen & des pauvres n'ont communément qu'une femme. Il eft vrai que les derniers en changent très-facilement; cependant on ne s'apperçoit pas qu'ils aient une nombreuse famille. Je crois que cela vient d'une caufe différente de celle à laquelle on l'attribue pour l'ordinaire; & que ce n'eft pas de ce qu'ils font énervés, par la variété, mais plutôt par l'obfervation de leur loi. Les ablutions fréquentes qui font requifes par l'alcoran peuvent bien amortir en eux la paffion libidineuse; & quand elle eft parvenue à son plus haut point, il leur eft défendu de s'y livrer.

L'inoculation fe pratique actuellement chez les Grecs, & même parmi les Catholiques romains malgré leurs fcrupules de religion. Le peu d'exemples qui en font venus à ma connoiffance, ont fort bien réuffi. Mais le nombre n'admet point de comparaison il n'y a peut-être pas vingt perfonnes par an qui fe faffent inoculer. La famille Timoni prétend qu'une fille a été inoculée à l'âge de fix mois, mais que dans la fuite elle a eu la petite verole d'une maniere naturelle à l'âge de vingt-trois ans, & qu'elle en eft morte. Le reproche eft douteux; la relation du fait n'eft pas exac te; on ne peut pas y compter: celui de Pylarini eft plus exact. Ce ne

furent ni les Circaffiens, ni les Georgiens, ni les Afiatiques qui en introduifirent la méthode. La premiere perfonne qui inocula, fut une femme de la Morée; fon fucceffeur fut un Bofnien; ils apporterent cet ufage de Theffalie ou du Péloponnefe qui eft actuellement la Morée. Ils fcarifioient le patient en plufieurs endroits, quelquefois fur le front à la racine des cheveux, quelquefois fur les joues & au rayon des bras. Un pere m'a dit, que la vieille n'étant plus en état de faire l'incifion à caufe de fon grand âge, il la fit lui-même fur fa fille avec un rafoir; on s'est aussi fervi de l'aiguille; pour les Turcs jamais ils ne fe font inoculer. Ils s'abandonnent à leur destinée; il me paroît qu'on ne fait pas d'où cette méthode a tiré fon origine. J'ai confulté un religieux qui avoit paffé plus de feize ans en miffion dans la Georgie, & n'en étoit revenu que depuis deux ans ; cet honnête-homme étoit en grande réputation dans le pays tant comme médecin qu'en qualité de confeffeur. Il n'étoit donc pas poffible, comme il l'observe lui-même, que fi la pratique de l'inoculation y eût été reçue publiquement ou en particulier, il n'en eût pas eu la connoiffance. Cependant il m'a protefté à plufieurs reprifes, qu'il n'en a jamais entendu parler à Akalfike, à Imirette ni à Tefflis, & il eft perfuadé que jamais l'inoculation n'a été connue dans ces endroits. Il a fouvent vu malades attaqués de la petite verole, qui y eft prefque toujours mortelle & de l'efpece confluente.

L'imprimerie fut introduite par un Renégat Hongrois, qui fe nommoit Ibrahim Effendi : elle n'a pas duré long-temps. Les livres en font en petit nombre, & actuellement fort rares & très-chers on n'en trouve même guere à acheter.

Il n'y a pas eu plus de trois ou quatre cartes géographiques; une de la Perfe, une du Bofphore, & une du Pont-Euxin ou de la mer Noire. On n'en trouve plus qu'entre les mains des particuliers. Toutes les cartes que nous avons de ce pays, font extrêmement imparfaites: elles font toutes pleines de fautes.

Quand le gouvernement permettroit aux Chrétiens d'y établir quelque imprimerie, la jaloufie & la fuperftition de ce peuple, y apporteroient un obftacle invincible; & ils font trop ignorans pour le pouvoir faire par eux-mêmes. Le fils adoptif de cet Ibrahim Effendi, qui porte le même nom, eft Secrétaire de l'interprete de la Porte. Il a tous les matériaux néceffaires pour imprimer; mais depuis la mort de fon pere & fous le regne du Sultan Mahmoud, il n'a jamais pu trouver de l'argent pour mettre cette imprimerie en train de travailler. Il eft queftion maintenant de favoir fi le Sultan Ofman n'eft pas Mufulman trop fcrupuleux pour lui continuer la permission.

Le progrès des arts, des fciences & de la littérature, femble avoir voyagé par degrés, du côté de l'Occident. Elles ont paffé fucceffivement de l'Egypte dans la Grece; de la Grece à Rome, de-là à l'Oueft de l'Eu

rope, & fans doute finiront par aller en Amérique. Nous n'en trouvons guere de traces à Conftantinople. Les Grecs qui devroient en être les dépofitaires, font les mêmes Grecs qui ont toujours été, homines contentionis cupidiores quàm veritatis. Ils ont retenu tous les vices, & les mauvaises habitudes de leurs ancêtres; mais ils ont perdu cet amour de la patrie, & ces vertus qui les diftinguoient. Le Clergé qui devoit foutenir & perpétuer les fciences, eft lui-même la fource & l'exemple de l'ignorance. Tous leurs talens & leur étude confiftent à cabaler parmi les Turcs, & à folliciter pour détruire un Patriarche & en faire établir un autre; à s'élever du grade de Curé à celui d'Evêque, & à changer un bénéfice médiocre pour un meilleur. Ils tâchent de cultiver le Grec favant, & quelques-uns l'étudient; mais ils ne vont pas plus loin. Ils n'ont point parmi eux de grammairiens, critiques, hiftoriens ni philofophes; ils n'ont pas même de précepteurs & de gens capables d'inftruire les autres. Ils ont à la vérité formé au mont Athos pour leurs jeunes gens une efpece d'académie, qui ne furvivra pas de beaucoup à celui qui l'a établie. Il ne poffede lui-même que les fimples élémens de la fcience. Cependant le défir qu'il a de favoir peut le faire avancer; & peut-être qu'il pourroit jetter dans quelques jeunes éleves des femences qui fructifieroient.

Les Turcs ont à Conftantinople beaucoup de livres quoiqu'exceffivement chers. J'ai vu vendre des volumes in-folio depuis 100 jufqu'à deux ou 300 dolars chacun, c'eft-à-dire, depuis quinze jufqu'à quarante-cinq livres fterling. Le peu d'in-folio imprimés, dont j'ai acheté quelques-uns il y a quelques années, m'ont coûté cinq à fix livres fterling. Leurs fcribes paffent bien des années à copier un petit nombre de manufcrits. Leur science confifte principalement dans la métaphyfique abftraite; il n'y en a guere qui aillent plus loin que la fuperficie de cette fcience. J'ai cherché avec beaucoup de foins & de peines d'anciens manufcrits arabes dans le genre des mathématiques; on m'en a apporté plufieurs qui n'étoient que des traductions de quelques propofitions d'Euclide, de Théodofe, d'Archimede & d'Appollonius. Ils ont quelques morceaux d'Ariftote; mais leur philofophie favorite eft celle des atomes ou l'épicurienne, qui eft appellée chez eux démocratique à caufe de Démocrite. Beaucoup de leurs gens fpéculatifs ont adopté ce fyftême, & s'y conforment dans leur pratique fecrete. Les inftituts & la pratique de la médecine font tirés de Galien. Eben Zina ou Avicenne eft leur guide principal; Mathiole eft connu auffi chez eux. Mais malgré tout cela, comme le feul objet de leur étude eft le gain, il ne paroît pas qu'ils ayent la moindre émulation pour les fciences véritables: de forte qu'on peut dire que les lettres font chez eux dans un état déplorable; & qu'il n'y a pas le moindre jour à penfer qu'elles puiffent jamais y être en vigueur.

Selon les obfervations du P. Feuillée, Conftantinople eft de 26 degrés 33 minutes, plus oriental que l'obfervatoire de Paris. Sa latitude eft de 41 degrés 4 minutes.

Comme Conftantinople a été la capitale d'un vafte Empire, il eft bon de donner une idée de cet Empire. Conftantin-le-Grand, fe voyant maitre absolu de l'Empire, après la mort de Dioclétien, de Maximien, de Galerius, de Maxence, de Maximin & de Licinius, fut touché de la fituation de la ville, qui, jufques-là avoit porté le nom de Byfance; il la rebâtit, la fortifia & l'embellit de toutes les dépouilles de l'Afie, de l'Europe & de l'Afrique; & pour comble de faveur, la choifit pour en faire le fiege de fon Empire. Cette ville, par reconnoiffance, prit le nom de fon nouveau fondateur, & s'appella Conftantinople. Et comme elle devenoit la capitale de l'Empire Romain, on l'appella auffi la Nouvelle-Rome, comme nous l'avons dit plus haut. Conftantin partagea fon Empire en deux départemens: favoir, l'Orient & l'Occident.

L'Orient comprenoit la Hongrie, la Tranfilvanie, la Valachie, la Moldavie, la Thrace, la Macédoine, la Grece, le Pont, l'Afie & l'Egypte. L'Occident contenoit l'Allemagne, une partie de la Dalmatie & de l'Efclavonie, l'Italie, les Gaules, l'Angleterre, l'Efpagne & l'Afrique.

Les trois fils de Conftantin partagerent entr'eux l'Empire qu'avoit eu leur pere; mais cette divifion ne dura pas, & Julien recueillit toutes les parties de l'Empire & fut le dernier de cette famille qui finit par un Apoftat. L'un & l'autre Empire étoient encore entre les mains de Théodofe-le-Grand qui les partagea entre fes deux fils Arcadius & Honorius. Le premier eut l'Empire d'Orient, dont le fiege étoit à Conftantinople, & le second fut Empereur d'Occident, & eut fa réfidence à Rome. Nous parlerons de l'Empire d'Occident, à l'article ROME.

L'Empire d'Orient commença donc fous Arcadius, qui régna après Théodofe-le-Grand, fon pere, mort l'an 395. Il a duré 1058 ans, fous 76 Empereurs, & finit l'an 1453, avec le regne de Conftantin Paléologue, qui périt dans la prife de Conftantinople, par Mahomet II; & depuis cette époque, cette ville, en ceffant d'être la capitale de l'ancien Empire Grec, eft devenue la capitale du nouvel Empire des Turcs.

La divifion de l'Empire fut la caufe de fa ruine. Les Goths, les Vandales & autres nations, venues du Nord, inonderent l'Empire d'Occident, où elles établirent diverfes Monarchies, & entamerent l'Empire d'Orient. Dès le regne d'Arcadius, les Goths, aidés par Rufin, fon premier Minif tre, s'avancerent jufques dans le Péloponnefe, & l'Afrique fut envahie par divers tyrans. Sous Théodofe II fon fils, les Vandales prirent Carthage, & commencerent un nouveau Royaume dans l'Afrique, qu'ils défolerent & où ils porterent l'Arianifme, dont ils étoient infectés. Belifaire, Général de Juftinien, détruifit ce Royaume, lui conquit la Sicile, affiégea & prit Naples, fe rendit maître de Rome, & défit, près de Ravennes, Witigés, Roi des Goths, qu'il fit prifonnier & mena à Conftantinople. L'Italie, qui avoit autrefois été le principal pays de l'Empire d'Occident, devint alors une Province de l'Empire d'Orient; mais les Empereurs n'en jouirent pas

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