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CEOKON

7-11-46

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE

LIVRE VINGT ET UNIÈME.

COMITÉ DE SALUT PUBLIC.

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Décret contre les ex-nobles.

Résultat des dernières exécutions contre les partis ennemis du gouvernement.
Les ministères sont abolis et remplacés par des commissions. Efforts du comité de salut public pour concen-
trer tous les pouvoirs dans sa main. - Abolition des sociétés populaires, excepté celle des Jacobins. Distribu-
tion du pouvoir et de l'administration entre les membres du comité. La convention, d'après le rapport de
Robespierre, déclare, au nom du peuple français, la reconnaissance de l'Etre suprême et de l'immortalité de l'âme.
État de l'Europe au commencement de l'année 1794 (an u). Préparatifs universels de guerre.
de Pitt. Plan des coalisés et des Français. - État de nos armées de terre et de mer.
gouvernement pour trouver et utiliser les ressources. Ouverture de la campagne;
des Alpes. Opérations dans les Pays-Bas. - Combats sur la Sambre et sur la Lys.
Fin de la guerre de la Vendée. Commencement de la guerre des chouans.
Désastres de Saint-Domingue. - Perte de la Martinique. Bataille navale.

Le gouvernement venait d'immoler deux partis à la fois. Le premier, celui des ultrarévolutionnaires, était véritablement redoutable, ou pouvait le devenir; le second, celui des nouveaux modérés, ne l'était pas. Sa destruction n'était pas nécessaire, mais pouvait être utile pour écarter toute apparence de modération. Le comité frappa sans conviction, par hypocrisie et par envie. Ce dernier coup était difficile à porter; on vit tout le comité hésiter, et Robespierre rentrer dans sa demeure, comme aux jours de danger. Mais Saint-Just, soutenu par son courage et sa haine jalouse, resta ferme au poste, ranima Hermann et Fouquier, effraya la Convention, lui arracha le décret de mort, et

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Politique

- Activité et énergie du occupation des Pyrénées et

Victoire de Turcoing. Événements des colonies.

fit consommer le sacrifice. Le dernier effort que doit faire une autorité pour devenir absolue est toujours le plus difficile, il lui faut toute sa force pour vaincre la dernière résistance; mais, cette résistance vaincue, tout cède, tout se prosterne, elle n'a plus qu'à régner sans obstacle. C'est alors qu'elle se déploie, qu'elle déborde, et se perd. Tandis que toutes les bouches sont fermées, que la soumission est sur tous les visages, la haine se renferme dans les cœurs, et l'acte d'accusation des vainqueurs se prépare au milieu de leur triomphe.

Le comité de salut public, après avoir heureusement immolé les deux classes d'hommes si différentes qui avaient voulu contra

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GEORGIA

rier ou seulement critiquer son pouvoir, était devenu irrésistible. L'hiver avait fini. La campagne de 1794 (germinal an ) allait s'ouvrir avec le printemps. Des armées formidables devaient se déployer sur toutes les frontières et faire sentir au dehors la terrible puissance si cruellement sentie au dedans. Quiconque avait paru résister ou porter quelque intérêt à ceux qui venaient de mourir, devait se hâter de faire sa soumission. Legendre, qui avait fait un effort le jour où Danton, Lacroix et Camille Desmoulins furent arrêtés, et qui avait tâché de remuer la Convention en leur faveur, Legendre crut devoir réparer son imprudence, et de se laver de son amitié pour les dernières victimes. On lui avait écrit plusieurs lettres anonymes dans lesquelles on l'engageait à frapper les tyrans, qui, disait-on, venaient de lever le masque. Legendre se rendit aux Jacobins le 21 germinal (10 avril), dénonça les lettres anonymes qu'il recevait, et se plaignit d'être pris pour un séide qu'on pouvait armer du poignard. « Eh bien! dit-il, puis« qu'on m'y force, je le déclare au peuple, « qui m'a toujours entendu parler avec bonne « foi, je regarde maintenant comme démon« tré que la conspiration dont les chefs ont « cessé d'être existait réellement, et que « j'étais le jouet des traîtres. J'en ai trouvé « la preuve dans différentes pièces dépo«sées au comité de salut public, surtout « dans la conduite criminelle des accusés << devant la justice nationale, et dans les ma<«< chinations de leurs complices qui veulent « armer un homme probe du poignard homi«cide. J'étais, avant la découverte du com« plot, l'intime ami de Danton; j'aurais « répondu de ses principes et de sa conduite <«< sur ma tête; mais aujourd'hui je suis con« vaincu de son crime; je suis persuadé qu'il << voulait plonger le peuple dans une erreur « profonde. Peut-être y serais-je tombé moi« même, si je n'avais été éclairé à temps. Je « déclare aux écrivailleurs anonymes qui « voudraient me porter à poignarder Robes« pierre et me rendre l'instrument de leurs << machinations, que je suis né dans le sein « du peuple, que je me fais une gloire d'y << rester, et que je mourrai plutôt que d'aban

« donner ses droits. Ils ne m'écriront pas une << lettre que je ne la porte au comité de salut << public. >>

La soumission de Legendre devint bientôt générale. De toutes les parties de la France, arrivèrent une foule d'adresses ou l'on félicitait la Convention et le comité de salut public de leur énergie. Le nombre de ces adresses est incalculable. Dans tous les styles, avec les formes les plus burlesques, chacun s'empressait d'adhérer aux actes du gouvernement, et d'en reconnaître la justice. Rhodez envoya l'adresse suivante : « Dignes représentants d'un peuple libre, «< c'est donc en vain que les enfants des Ti« tans ont levé leur tête altière, la foudre «<les a tous renversés!... Quoi, citoyens! « pour de viles richesses vendre sa liberté !... << La Constitution que vous nous avez donnée « a ébranlé tous les trônes, épouvanté tous «<les rois. La liberté avançant à pas de géant, «<le despotisme écrasé, la superstition anéan« tie, la république reprenant son unité, les «< conspirateurs dévoilés et punis, des man<< dataires infidèles, des fonctionnaires pu«blics lâches et perfides tombant sous la «hache de la loi, les fers des esclaves du « Nouveau-Monde brisés : voilà vos trophées! « S'il existe encore des intrigants, qu'ils << tremblent! que la mort des conjurés atteste << votre triomphe! Pour vous, représentants, « vivez heureux des sages lois que vous avez « faites pour le bonheur de tous les peuples, << et recevez le tribut de notre amour! »

Ce n'était point par horreur pour les moyens sanguinaires que le comité avait frappé les ultra-révolutionnaires, mais pour affermir l'autorité, et pour écraser les résistances qui arrêtaient son action. Aussi le vit-on depuis tendre constamment à un double but, se rendre toujours plus formidable, et concentrer de plus en plus le pouvoir dans ses mains. Collot, qui était devenu l'orateur du gouvernement aux Jacobins, exprima de la manière la plus énergique la politique du comité. Dans un discours violent où il traçait à toutes les autorités la route nouvelle qu'elles

4. Séance du 26 germinal numéro 208 du Moniteur de l'an 11 (avril 1794).

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devaient suivre, et le zèle qu'elles devaient déployer dans leurs fonctions, il dit : « Les « tyrans ont perdu leurs forces; leurs armées tremblent en présence des nôtres; déjà quelques despotes cherchent à se retirer « de la coalition. Dans cet état, il ne leur "reste qu'un espoir, ce sont les conspira«tions intérieures. Il ne faut donc pas cesser « d'avoir l'œil ouvert sur les traîtres. Comme « nos frères, vainqueurs sur les frontières, "ayons tous nos armes en joue et faisons « feu tous à la fois. Pendant que les ennemis a extérieurs tomberont sous les coups de nos

« soldats, que les ennemis intérieurs tombent « sous les coups du peuple. Notre cause, « défendue par la justice et l'énergie, sera « triomphante. La nature fait tout cette << année pour les républicains; elle leur « promet une abondance double. Les feuil«<les qui poussent annoncent la chute des << tyrans. Je vous le répète, citoyens, veillons « au dedans, tandis que nos guerriers combat«tent au dehors; que les fonctionnaires char«gés de la surveillance publique redoublent « de soins et de zèle, qu'ils se pénètrent bien « de cette idée, qu'il n'y a peut-être pas une

«rue, pas un carrefour où il ne se trouve un << traître qui médite un dernier complot. Que « ce traître trouve la mort, et la mort la << plus prompte! Si les administrateurs, si les << fonctionnaires publics veulent trouver une << place dans l'histoire, voici le moment favo«rable pour y songer. Le tribunal révolu«<tionnaire s'y est assuré déjà une place « marquée. Que toutes les administrations << sachent imiter son zèle et son inexorable « énergie; que les comités révolutionnaires << surtout redoublent de vigilance et d'acti«<vité, et qu'ils sachent se soustraire aux sol<< licitations dont on les assiége et qui les por<< tent à une indulgence funeste à la liberté. » Saint-Just fit à la Convention un rapport formidable sur la police générale de la république 1. Il y répéta l'histoire fabuleuse de toutes les conspirations, il les montra comme le soulèvement de tous les vices contre le régime austère de la république; il dit que le gouvernement, loin de se ralentir, devait frapper sans cesse, jusqu'à ce qu'il eût immolé tous les êtres dont la corruption était un obstacle à l'établissement de la vertu. Il fit l'éloge accoutumé de la sévérité, et chercha, comme on le faisait alors, par des figures de toute espèce, à prouver que l'origine des grandes institutions devait être terrible. «Que serait << devenue, dit-il, une république indulgen«te?... Nous avons opposé le glaive au « glaive, et la république est fondée. Elle « est sortie du sein de orages: cette origine «<lui est commune avec le monde sorti du «< chaos, et avec l'homme qui pleure en nais«sant. » En conséquence de ces maximes, Saint-Just proposa une mesure générale contre les ex-nobles. C'était la première de ce genre qu'on eût rendue. Danton, l'année précédente, avait, dans un moment de fougue, fait mettre tous les aristocrates hors la loi. Ce décret était inexécutable par son étendre, on en rendit un autre qui condamnait tous les suspects à la détention provisoire. Mais aucune loi directe contre les ex-nobles n'avait encore été portée. Saint-Just les montra comme des ennemis irréconciliables de la révolution. « Quoi que vous fassiez, dit-il,

4. 26 germinal an 11 (15 avril).

« vous ne pourrez jamais contenter les en« nemis du peuple, à moins que vous ne ré«tablissiez la tyrannie. Ils faut donc qu'ils «aillent chercher ailleurs l'esclavage et les <«<rois. Ils ne peuvent faire de paix avec « vous; vous ne parlez point la même lan«gue vous ne vous entendrez jamais. Chas<< sez-les donc! L'univers n'est point inhospi« talier, et le salut public est parmi nous la << suprême loi. >> Saint-Just proposa un décret qui bannissait tous les ex-nobles, tous les étrangers, de Paris, des places fortes, des ports maritimes, et qui mettait hors la loi ceux qui n'auraient pas obéi au décret dans l'intervalle de dix jours. D'autres dispositions de ce projet faisaient un devoir à toutes les autorités de redoubler d'activité et de zèle. La Convention applaudit à la proposition comme elle faisait toujours, et la vota par acclamation. Collot-d'Herbois, le rapporteur du décret aux Jacobins, ajouta scs figures à celles de Saint-Just. « Il faut, dit-il, « faire éprouver au corps politique la sueur «<immonde de l'aristocratie; plus il aura << transpiré, mieux il se portera. >>

On vient de voir ce que fit le comité pour manifester l'énergie de sa politique; voici ce qu'il ajouta pour la concentration toujours plus grande du pouvoir. D'abord il prononça le licenciement de l'armée révolutionnaire. Cette armée, imaginée par Danton, avait d'abord été utile pour faire exécuter les volontés de la Convention, lorsqu'il existait encore des restes de fédéralisme; mais étant devenue le centre de ralliement de tous les perturbateurs et de tous les aventuriers, ayant servi de point d'appui aux derniers démagogues, iĮ était nécessaire de la disperser. Le gouvernement d'ailleurs, étant aveuglément obéi, n'avait plus besoin de ses satellites pour faire exécuter ses ordres. En conséquence elle fut licenciée par décret. Le comité proposa ensuite l'abolition des différents ministères. Des ministres étaient des puissances qui avaient encore trop d'importance, à côté des membres du comité de salut public. Ou ils laissaient tout faire au comité, et alors ils étaient inutiles; ou bien ils voulaient agir, et alors ils étaient des concurrents importuns. L'exemple de Bouchotte, qui, dirigé par Vincent, avait

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