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lippine; mais fes chagrins recommencerent, lorfqu'elle vit fa maman reprendre envers elle fa fêvérité.

Un jour que madame de Cerni s'entretenoit avec les deux enfans des maux qu'elle avoit foufferts dans fa maladie, & les remercioit des foins tendres & empreffés qu'elle avoit reçus de leur amour: Mes chers enfans, ajouta-telle, vous pouvez l'un & l'autre me demander ce qui vous fera le plus de plaifir. Je m'engage à vous l'accorder, fi vos defirs ne font pas au-deffus de ma richeffe. Que defires-tu, Maximin? demanda-t elle d'abord à fon fils. Une montre & une épée, maman, répondit.il.

Tu les auras demain à ton lever. Et toi, Philippine? Moi, maman? moi? répondit-elle toute tremblante; je n'ai rien à defirer fi vous m'ai-, mez. Ce n'eft pas me répondre. Je veux auffi vous récompenfer, Mademoiselle. Que defirez-vous? Parlez. Quoique Philippine fût accoutumée à ce ton févere, elle en fut en▾ core plus abattue dans cette circonftance qu'elle ne l'avoit jamais été. Elle fe jetta aux pieds de fa mere, la regarda avec des yeux tout mouillés de larmes; & cachant tout-à-coup fon vifage dans fes mains, elle balbutia ces mots donnez-moi feulement deux baifers, de ceux que vous donnez à mon frere.

Madame de Cerni attendrie jufqu'au fond de fon cœur, y fentit naître pour fa fille des fentimens qu'elle avoit jusqu'alors étouffés. Elle la prit dans fes bras, la ferra avec transport contre fon fein, & l'accabla de baifers. Philippine

qui recevoit, pour la premiere fois, les caref fes de fa mere, fe livra à toutes les effufions de fa joie & de fon amour. Elle baifoit fes yeux, fes joues, fes cheveux, les mains, fes habits. Maximin, qui ne pouvoit s'empêcher d'aimer fa four, confondit fes embraffemens avec les fiens. Ils goûterent tous ensemble un bonheur qui ne fut pas borné à la durée de ce moment. Madame de Cerni rendit, avec excès, à Philippine tout ce qu'elle lui avoit dérobé de fon affection. Philippine y répondit par une nouvelle tendreffe. Maximin n'en fut point jaloux; il fut même fe faire une jouiffance de la félicité de fa foeur. Il reçut bientôt le prix d'un fentiment fi généreux. La bonté de fon naturel avoit été un peu altérée par la foibleffe & l'aveuglement de fa mere. Il lui échappa, dans fa jeuneffe, bien des étourderies qui lui auroient aliéné fon cœur. Mais Philippine trouvoit le moyen de l'excufer auprès d'elle. Les fages confeils qu'elle lui donnoit, acheverent de le ramener; & ils éprouverent tous les trois, qu'il n'y a point de bonheur dans une famille, fans la plus intime union entre les freres & les foeurs, la plus vive & la plus égale tendreffe entre les peres & les enfans.

(L'Ami des enfans, par M. Berquin.)

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RELATION du voyage d'HENRI II D'ORLÉANSLONGUEVILLE, dans fa principauté de Neuchatel & Valengin en 1657.

Le prince Henri II d'Orléans- Longueville ar

riva le 1er. juillet 1657, fur la frontiere par Pontarlier, avec un nombreux cortege de feigneurs François, ayant à fa fuite plus de deux cens chevaux. Là il fut complimenté par le confeiller Hory, à la tête du confeil d'état. Il lui répondit » Meffieurs, je viens en ma » vieilleffe voir encore une fois mes fideles » fujets & bons amis de ces lieux, & vous » témoigner à tous combien je vous aime. J'ai » pris foin de vous conferver dans vos fran» chifes & libertés, voire celle de votre reli"gion qui n'est pas la mienne, & le ferai tout » le tems de ma vie, afin qu'à l'heure de ma » mort j'aie le doux contentement de vous "laiffer heureux. »

Deux régimens du pays, de mille hommes chacun, commandés par Sigifmond & Jean-Jacques Tribolet, fe trouverent auffi fur la frontiere pour le recevoir. Le prince prit grand 'plaifir à les confidérer, parlant à tous avec grace & affabilité. Arrivé fur les champs de Pefeux, il y trouva la banniere (*) de Neu

(*) Dans l'original bandiere, & pour bannerer, banderet.

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chatel avec environ. mille hommes, commandés par M. le maître-bourgeois Abram Pury la Pointe. Le banneret Merveilleux (*) présenta la banniere au prince, qui la tint pendant le compliment, & la lui rendant, il dit » Je >> revois avec plaifir ces braves bourgeois, en » la garde defquels je mets ma perfonne. Re» prenez la banniere, fire banneret, & m'y » veux ranger tout le premier, comme bon » bourgeois de Neuchatel que je fuis, étant » prêt à la fuivre pour foutenir les droits & » honneurs de notre bonne patrie Suiffe. « Les quatre miniftraux lui préfenterent les clefs à la porte de la ville. Il les garda pendant la harangue, enfuite les leur rendit, en difant : » Meffieurs, ma bonne ville de Neuchatel ne » peut être en meilleure cuftode; (**) par » ainsi je vous recommande d'avancer toujours » comme du paffé, tout bien & tout honneur » en icelle. «

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Sur fa route depuis les Verrieres jufqu'à la ville, le prince avoit rencontré çà & là les bannierres des autres bourgeoisies & plufieurs enfeignes des quartiers éloignés, (***) & n'avoit manqué de dire à tous de quoi les bien contenter. Si les princes favoient combien il leur

(*) Jean-Jacques Merveilleux, ́élu banneret le 28 mars 1647, mort le 17 janvier 1671,

(**) Garde.

(***) La milice des Verrieres, celle de Boudry & Rochefort; celle de la Côte & Colombier,

eft facile de gagner l'affection des peuples, ils ne pourroient fe refuser à fi petite dépense. Comme mon office m'appelloit à être auprès du prince, durant le trajet j'eus occafion de remarquer le fingulier plaifir & le grand étonnement que lui cauferent tant de gens d'armes qu'il rencontra fur fon passage, au nombre de fix à fept mille hommes. Quand il appercevoit de loin une banniere, il treffailloit d'aife, & me dit une fois : » Où fe prennent tant de » gens? Il ne fe peut que ce ne foient les mê » mes. « Je l'affurai que ces enseignes étoient différentes, & qu'il ne voyoit qu'une partie de fon peuple. Alors le tournant vers aucuns des feigneurs de fa fuite, il leur dit : » En » France, je ne fuis prince que fur parchemin » d'Italie; en Suiffe, il en est tout autrement,

je vous le difois bien. « Et comme je prenois foin de lui indiquer les lieux d'où fortoient ces enfeignes, & la diftance de leurs manoirs, il me dit » Ces braves gens ont

pris bien de la peine, & toutefois femblent» ils l'avoir fait joyeufement. C'eft marque » qu'ils m'aiment ; ce jour me fait tant de » plaifir que je ne puis le dire. « Quelques jours après il dit au banneret merveilleux :

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Je n'ai rien juré à la bourgeoisie de Neu» chatel, mais bien à celle de Valengin; c'eft » une vieille dette de quarante ans que vous » devez m'obliger de payer fans renvoi & avec » dépens, comme jufte. « Le banneret lui répondit gentillement » Monfeigneur, nous y perdrions, » vu que ce ferment ne' contient pas tout ce K S

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