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et de persécuteur, voilà tout. Ne vous y trompez point. Avec les chutes de pouvoirs et de dynasties que nous avons vues, il y aurait eu de quoi fonder vingt fois la liberté de l'individu, si à chaque chute la souveraineté illimitée ne s'était pas relevée aussi forte que jamais, prenant seulement un autre habit, tantôt la blouse, tantôt l'uniforme. La liberté en France n'a jamais rien gagné aux révolutions, parce qu'elle s'est toujours trouvée en présence d'une souveraineté illimitée quelconque. Ne dites pas non plus que les abaissements de langage et de costume qu'a subis la souveraineté, même en se relevant, auraient dû profiter à la liberté. Dans le monde des sentiments et des idées, il ne suffit pas d'abaisser une doctrine pour élever celle qui lui est contraire. Les doctrines ne s'élèvent que par leur force et par leur effort. La ruine d'une doctrine n'a jamais fait toute seule la fortune d'une autre. Oui, la souveraineté de nos jours a semblé s'abaisser, elle s'est dégradée; elle ne s'est pas affaiblie. Oui, ç'a été un spectacle douloureux, si vous voulez, que de voir la souveraineté commencer avec la pourpre de Charlemagne ou l'hermine de saint Louis et finir avec les haillons de Lazare; mais Lazare s'est-il cru moins souverain que Charlemagne ? Le dictateur en guenille a-t-il été moins brutal et moins insolent que le dictateur couronné? A-t-il plus respecté la liberté de la foi ou la liberté de la propriété ? Non assurément. Il n'a pas douté de son pouvoir, et personne, non plus n'en a douté. Craignons donc cette doctrine fatale de la souveraineté sur la terre, qui, selon les temps, descend des cieux à Reims avec la sainte ampoule et qui

finit par se loger dans je ne sais quels faubourgs ameutés, portant d'abord la tiare, puis le bonnet rouge, mais qui ne renonce jamais à la massue avec laquelle elle écrase les droits, les sentiments, les pensées de l'individu. Cette massue sauvage, Rousseau l'a rendue plus pernicieuse encore en l'enveloppant pour ainsi dire dans la métaphysique du Contrat social; il a donné à la brutalité le sacrement du sophisme.

L'histoire de la vie de Rousseau n'est pas finie, mais l'étude des doctrines morales et politiques de Rousseau est achevée avec le Contrat social. Il y a dans Rousseau deux hommes, le moraliste, le politique et le philosophe, tel qu'il est dans le Discours sur les sciences et les arts, le Discours sur l'inégalité des conditions humaines, la Nouvelle Héloïse, Emile et le Contrat social, et l'homme souvent malheureux et souvent maniaque que nous voyons dans les Confessions, les Dialogues et dans la Correspondance. De ces deux hommes, nous venons d'achevér d'étudier l'un, c'est-à-dire le moraliste, le politique et le philosophe, et nous avons souvent représenté la physionomie mobile et changeante de l'autre. Que nous resterait-il à faire pour terminer ce second portrait? Il nous resterait à suivre Rousseau dans sa vie errante et dans son humeur inquiète, en Suisse, en Angleterre, en Dauphiné, jusqu'à son dernier asile et sa mort. volontaire. Ces récits biographiques, je les achèverai quelque jour.

FIN DU TOME SECOND ET DERNIER.

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FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME SECOND.

Paris.

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- Imprimerie Viéville et Capiomont, rue des Poitevins, 6.

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