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Qu'il n'y avait donc pas lieu pour l'Angleterre de remettre l'épée dans le fourreau, et qu'elle gagnerait tout à ne se point hâter'.

Ces raisons l'emportèrent dans la Chambre des Communes, et l'ordre du jour sur la motion de Wilberforce fut adopté à la majorité de deux cent une voix contre quatre-vingt-six.

Ce qu'il y avait de vraiment remarquable dans le discours de Pitt, c'était le passage où il représentait la Révolution française tombée, depuis le 9 thermidor, dans un état d'irrémédiable faiblesse, et où il montrait dans ses derniers succès au dehors « un effet qui survivait à sa cause. » Cette appréciation était d'une justesse surpre

nante.

Certes, à ne s'en tenir qu'aux apparences, la France, à aucune époque, n'était apparue, au dehors, plus imposante et plus terrible. Depuis Charlemagne, son empire ne s'était jamais étendu sur autant de contrées. Peu de temps après le jugement que Pitt portait sur elle, elle se trouvait avoir conquis la Belgique, les Sept-Provinces Unies, les évêchés de Liége, de Worins et de Spire; les électorals de Trèves, de Cologne et de Mentz; le duché des Deux-Ponts, le Palatinat; les duchés de Juliers et de Clèves, le duché de Savoie, les principautés de Nice et de Monaco, en Italie; les provinces de Biscaye et de Catalogne, en Espagne; le tout formant une population de treize millions d'âmes. Et ces conquêtes, elles étaient le résultat d'une lutte sans exemple, soutenue par la France seule contre une coalition formidable, ayant à son service d'immenses et valeureuses armées que commandaient de grands capitaines.

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1 Parliamentary History of England, vol. XXXII, p. 10-19, et p. 28-36. 2 Ibid.,

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36.

<< The effects were not to cease as immediately as the causes. The

effects in their operation survive the causes. » Ibid., p. 33.

Quatre chiffres disent tout dans l'espace de dix-sept mois, la France gagna vingt-sept batailles, resta victorieuse dans cent vingt combats, et prit cent seize places fortes1!

L'histoire d'aucun temps et d'aucun pays ne constate de tels prodiges militaires.

Mais il avait fallu, pour les rendre possibles, une impulsion souveraine qui n'existait plus; et de même qu'une roue s'arrête quand elle a cessé d'être poussée, bien qu'elle continue à tourner quelque temps, en vertu de la première impulsion reçue, de même la Révolution devait s'arrêter, après la chute des idées qui lui avaient communiqué son mouvement, bien que l'effet n'eût pas disparu au même instant que la cause.....

Chose singulière en apparence, mais en réalité trèsexplicable! Pendant qu'au dehors, la Prusse, la Toscane, les petits princes d'Allemagne, la Hollande, saluaient et subissaient la puissance du génie révolutionnaire, ce génie n'était déjà plus qu'une chose du passé, et, au dedans, la Révolution se mourait.

C'est l'histoire de son agonie que nous allons raconter dans les chapitres suivants, après avoir montré comment les royalistes, qui n'avaient pu la vaincre avec l'épée. l'attaquèrent avec le poignard.

Le tableau de ces conquêtes et des victoires dont elles furent le fruit fut suspendu dans la salle de la Convention. L'Annual Register dit à ce sujet : « Such was the description given by the French of their numerous exploits; and impartiality requires it should be acknowleged, notwithstanding the odium they lie under, that the account is not exaggerated, » vol. XXXVII, p. 54.

CHAPITRE DEUXIÈME.

TERREUR BLANCHE.

France.

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La Terreur blanche, bien plus odieuse et bien plus terrible que la Terreur rouge. Les historiens prodigues de détails à l'égard de la seconde, n'ont presque rien dit de la première. L'assassinat devenu de bonne compagnie. - Mobiles des agents de la Terreur blanche. Saint-Barthélemy organisée contre les républicains par toute la Compagnies de Jésus ou du Soleil: assassins enrégimentés. La Terreur blanche à Lyon; massacre dans les prisons; les égorgeurs couronnés. Odieux rapports de Boisset et de Mathieu. Renseignements fournis par Gonchon sur les horreurs commises à Lyon. Effets du gouvernement thermidorien décrits par Chénier. Ubiquité de l'assassinat. Scènes épouvantables dans les prisons. Les Carrier de la contre-révolution. — Soulèvement des ouvriers toulonnais; ses causes. Boucherie du Beausset.

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Préparatifs d'un massacre, à Marseille. Drame de cannibales, à Tarascon. — Invasion du fort Saint-Jean à Marseille par les assassins. Prisonniers égorgés; prisonniers brûlés vifs; on tire à mitraille sur des cachots. · Souvenirs du duc de Montpensier, enfermé avec son frère au fort Saint-Jean. Cadroy, Isnard et Chambon dans le fort Saint-Jean.Leur attitude au milieu des assassins; leur part de responsabilité dans ces horreurs. Effroyables méprises. Nombre des morts. Raffinements de barbarie. Triomphe décerné aux assassins par le club royaliste de Marseille. Partialité infâme des autorités judiciaires sous le règne des Thermidoriens. — La Convention devenue impuissante contre les assassins. Motifs de l'impunité qui leur est accordée; pitoyables sophismes de Thibaudeau. Système suivi de correspondance entre diverses bandes d'assassins. Traites qui se payent en têtes d'hommes. Les prêtres assermentés poursuivis à coups de poignard. La lubricité mêlée à la soif du sang. Femmes Aux yeux des assassins enrégi

fouettées avec des nerfs de bœuf.

-

mentés par la Terreur blanche, la piété filiale et l'amour conjugal sont des crimes. Renouvellement de l'épisode d'Ugolin dans le prisons, sous la Terreur blanche. Dérisoire application des mots les plus sacrés; bonnets à l'humanité, corsets à la justice. - Organisation des bals à la victime.

ser;

Je vais raconter le règne des assassins en France. Que le lecteur s'arme de courage! L'histoire de la contre-révolution va lui donner des mares de sang à traverelle va faire passer sous ses yeux des scènes de l'enfer. Car, quelque invraisemblable que cela puisse paraître, la Terreur blanche, celle qui marqua le triomphe des Thermidoriens et la résurrection du royalisme, dépassa en horreur, même les massacres de septembre, même les mitraillades de Collot-d'Herbois, même les noyades de Carrier.

Jusqu'ici, on a pris soin de dresser, des victimes de la Terreur rouge, une liste minutieusement fidèle. A la Révolution défendant la patrie contre la ligue des rois au dehors, et, au dedans, contre les traîtres, leurs complices, on a demandé compte jour par jour, presque heure par heure, des coups frappés et des têtes abattues. Quand il s'est agi de flétrir les soldats en délire d'un monde nouveau, l'on n'a épargné à la sensibilité du lecteur la description détaillée d'aucun supplice, le tableau complet d'aucun massacre. Mais ce système d'extermination que le parti des soi-disant modérés d'alors pratiqua, comme nous allons le prouver, sans autre motif que la haine, et à la manière des voleurs de grand chemin, de quel voile complaisant on a su le couvrir ! Il est temps que toute la vérité soit connue; il est temps qu'on sache comment la réaction thermidorienne fit succéder au régime du Tribunal révolutionnaire le règne des assassins. Il y eut en effet cette différence entre la Terreur rouge et la Terreur blanche, que la seconde ne put s'ac

commoder de rien qui ressemblât à un examen judiciaire ou à des formes légales.

La justice du Tribunal révolutionnaire avait été une justice sommaire sans doute, implacable, homicide; mais enfin elle n'avait fait venir le bourreau qu'après le juge; elle n'avait pas tué, un masque sur le visage, au hasard, et fermé toute issue à l'innocence: témoin les nombreux acquittements qu'elle prononça. Si, à Lyon, Collot-d'Herbois et Fouché remplacèrent l'échafaud par le canon, cette substitution horrible n'eut lieu, du moins, qu'à l'égard d'hommes jugés et condamnés. Les Septembriseurs, tout féroces qu'ils étaient, ne se crurent pas dispensés de distinguer entre l'innocent et le coupable. On se rappelle que Maillard institua un tribunal à l'Abbaye, pour empêcher le massacre de tout envelopper, de tout confondre; et non-sculement des prisonniers furent acquittés par ce tribunal de sang, mais il y en eut d'acquittés après s'être proclamés royalistes, sur l'observation de Maillard que les actes pouvaient être criminels, mais que les opinions étaient libres. Et non contents d'épargner les prisonniers, ainsi déclarés non coupables, les égorgeurs les prirent dans leurs bras, les portèrent chez eux en triomphe, ne cessant de crier sur la route : « Respect à l'innocence 1! >>

Les sicaires de la contre-révolution, au contraire, ne voulurent aucun examen avant le meurtre; ils n'admirent aucun délai entre la pensée et l'exécution, aucun intermédiaire légal entre le bourreau et la victime; ils appelèrent à être le bourreau quiconque avait un poignard à mettre au service de la modération; ils prirent pour règle de tuer à bout portant quiconque, à tort ou à raison, était désigné comme jacobin, partout où on le ren

1 Voyez la preuve de ces faits, administrée par des royalistes, qui fu rent sauvés de la sorte, dans le chapitre intitulé: Souviens-toi de la Saint-Barthélemy du tome VII de cet ouvrage.

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