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CHAPITRE CINQUIÈME

LES ÉMIGRÉS A QUIBERON.

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L'expédition de Quiberon met à la voile. — En quoi elle consistait. Cri des Thermidoriens : « Haine aux Anglais ! » - Rencontre navale du 29 prairial. Combat naval du 5 messidor. Deux généraux en chef; mésintelligence entre Puisaye et d'Hervilly. - Débarquement des émigrés à Quiberon. Accueil fait aux émigrés par les Chouans. Lettre de Puisaye à Pitt. Les Chouans sur la plage. Mécontentement de d'Hervilly. — Jugement porté par Puisaye sur les émigrés à la solde de l'Angleterre. - D'Hervilly peint par Puisaye. - Divisions intestines. Impression produite à Paris par la nouvelle du débarquement; calme attitude de Hoche. Frayeur des agents de Paris. - Le comte d'Entraigues. Brochures menaçantes des royalistes; cri de ralliement des républicains. Proclamation de Puisaye corrigée par Pitt. Secours demandés par Puisaye à M. Windham. —Contraste entre les émigrés et les soldats républicains. — Plaintes des émigrés à la solde de l'Angleterre. Dispositions militaires prises par les royalistes. Plan de Puisaye; opposition de d'Hervilly. Le ministère anglais appelé à décider entre les deux rivaux. Les royalistes s'emparent de la presqu'île de Quiberon. Le pavillon du roi d'Angleterre sur le fort Penthièvre. - Les émigrés et les Chouans se disputent les vivres. Nouveaux secours demandés. Défaite de Tinténiac et

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Vauban désobéit

de Dubois-Berthelot; succès partiel de Vauban. aux ordres de d'Hervilly. Retraite en bon ordre effectuée par les soldats de Vauban et de Georges Cadoudal. Scène de confusion sous les forts. Mot terrible de Vauban à d'Hervilly. — Les émigrés enfermés dans Quiberon. Humanité et fermeté de Hoche. Dispute parmi les royalistes sur la solde et sur la ration. -Les Chouans renvoyés de Quiberon. Jean-Jean et Lanti vy envoyés du côté de Quimper, et Tinténiac en Bretagne. — Arrivée d'un convoi aux ordres du comte de Sombreuil. Les troupes soldées, mises par le ministère anglais sous le commandement de Puisaye. - D'Hervilly

XII.

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soupçonné de trahison par Puisaye. Récit imprimé de Puisaye

opposé à son récit manuscrit.

Bataille du 16 juillet; défaite des

royalistes. D'Hervilly blessé mortellement. Un frère de Charlotte Corday parmi les royalistes.

taille du 16 juillet.
Sort de l'expédition de Tinténiac.
Jean et Lantivy.

Perte des royalistes dans la ba

Ordre relatif au dépouillement des morts. Sort de l'expédition de JeanComment Machiavélisme des « agents de Paris. >>

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le gouvernement anglais répond aux demandes de Puisaye. - Républicains parmi les débarqués. Conversation du marquis de Contades et du général Humbert. Activité de Hoche. Le fort Penthièvre. Renseignements fournis à Hoche par des déserteurs. Tallien dans le camp de Hoche. — Nuit du 20 au 21 juillet. Le fort Penthièvre surpris par les républicains. Retraite des émigrés qui

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ont survécu; paysans en fuite; effroyable confusion. Puisaye se rembarque. Sombreuil forcé de se rendre. - Documents nouveaux. -Actes de désespoir. Y eut-il capitulation? - Émigrés et paysans se jettent à l'eau. Les embarcations anglaises retenues par l'agitation de la mer. Scènes affreuses. Étendue de la catastrophe. Générosité des soldats républicains. Aspect de Quiberon après la victoire des républicains. Les prisonniers envoyés à Auray.Commissions militaires. Tallien et ses scènes à poignard. - Les habitants d'Auray et les prisonniers. Hoche fait offrir à Sombreuil les moyens de fuir; refus de Sombreuil. Exécutions à Vannes. Mort de Sombreuil et de l'évêque de Dol.— Lettre de Sombreuil à Hoche. - Lettre de Sombreuil contre Puisaye. - Représailles de Charette.

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Pendant ce temps, l'Angleterre se tenait prête à seconder l'invasion de la France par les royalistes en

armes.

« Le soir du 6 juin, raconte Puisaye, j'allai avec M. Windham à l'amirauté, où M. Nepeau me remit un paquet cacheté qu'on me dit contenir les dernières instructions du gouvernement et que je ne devais ouvrir qu'en pleine mer1. »

Les préparatifs terminés, le jour venu, l'expédition mit à la voile. Elle se composait de cinquante bâtiments de transport, protégés par une escadre anglaise de neuf vaisseaux le Robuste, le Tonnant, l'Etendard, la Po

1 Mémoires de Puisaye, t. VI, p. 58.

mone, l'Anson, l'Artois, l'Arethuse, la Concorde, la Galathée1.

Sur cette escadre, aux ordres de sir John Borlase Warren, on embarqua le régiment d'Hervilly, celui de du Dresnay, celui d'Hector ou de la Marine, le régiment connu sous le nom de Royal-Émigrant, et un corps d'artillerie sous le commandement de Rotalier, le tout s'élevant à environ trois mille hommes, plus une brigade de dixhuit ingénieurs, un petit nombre de gentilshommes officiers, l'évêque de Dol et cinquante prêtres 2.

Puisaye, qui fut bien réellement « l'homme de Pitt >> dans les rapports de ce ministre avec les royalistes, et qui est intéressé à vanter la bonne foi du gouvernement anglais, pour échapper à l'accusation d'avoir été « dupe ou traître,» assure dans un endroit de ses Mémoires qu'on embarqua des vivres pour une armée de six mille hommes pendant trois mois, et une quantité considérable d'uniformes, de fusils, de baïonnettes, de cartouches, de selles, sabres, pistolets, bottes, souliers, etc. *... Et luimême, dans un autre endroit du même livre, il écrit: << A mesure que le débarquement des effets s'avançait, on s'aperçut qu'il nous manquait beaucoup d'objets nécessaires à une guerre régulière, et même une partie de ceux qui étaient portés sur les états remis par le gouvernement à sir John Warren! >>

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Quant aux fonds mis à la disposition des royalistes par le gouvernement anglais, ils ne consistaient que dans une misérable somme de dix mille louis, à laquelle Pui

1 Naval chronicle, vol. III. Biographical Memoir of sir John Borlase Warren.

2 Voy. les Mémoires de Puisaye, t. VI, p. 60, et les Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre de la Vendée, par le comte de *** (Vauban), p. 50 et 51.

3 Mémoires de Puisaye, t. VI, p. 59-60.

Ibid., t. VI, p. 304.

saye avait ajouté une «< ample quantité de Bons à l'effigie de Louis XVIII, remboursables au trésor royal, et faits sur un papier de couleur transparente, dans la confection duquel on avait introduit des signes secrets de reconnaissance1. >>

Ainsi, ce fut sur la foi d'états menteurs, et avec un trésor dû à l'art des faussaires, que les émigrés, au nombre de trois mille, partirent, en compagnie des Anglais, pour la conquête de leur pays!

Le moment étant venu où Puisaye était autorisé à prendre connaissance du paquet reçu par lui au départ, il l'ouvrit et y lut qu'il aurait le commandement des troupes, aussitôt après leur débarquement sur les côtes de Bretagne. Il va trouver d'Hervilly et lui communique le contenu du paquet. « J'ai aussi mes instructions, » répond ce dernier froidement. - «Mais elles ne peuvent être que pour le cas où vous ne débarqueriez pas en Bretagne? - Elles sont pour tous les cas, car aucun n'y est spécifié. » Et d'Hervilly produisit la commission qui lui donnait, sans mentionner aucune restriction, le commandement des troupes à la solde de l'Angleterre3.

Il y avait donc deux chefs suprêmes. Lequel des deux était le véritable? Qui commanderait? A qui allait-on obéir?

Nul doute que l'ambiguïté des ordres du gouvernement britannique ne fût de nature à tout perdre, en donnant naissance à de funestes rivalités : cette ambiguïté cachait-elle quelque noir dessein?

Un autre fait bien étrange, c'est que Puisaye seul avait été mis dans le secret de la direction que le convoi devait prendre. Seul, parmi les émigrés, si l'on en excepte

1 Puisaye, Mémoires, t. VI, p. 25.

Lettre de service en date du 6 juillet 1795, et signée W. Windham. 3 Mémoires de Puisaye, t. VI, p. 64.

d'Allègre, Tinténiac et Dubois-Berthelot, il savait qu'on allait droit en Bretagne'. D'Hervilly, quoique chargé du commandement des troupes pendant la traversée, croyait qu'on allait en Vendée. On devine combien la préférence donnée à Puisaye sur lui à cet égard dut, quand il en fut instruit, entrer avant dans son cœur!

D'un autre côté, si l'intention du gouvernement anglais était réellement de servir la cause des Bourbons, de les replacer sur le trône, d'où vient qu'au lieu de débarquer sur les côtes de France une poignée d'émigrés, ivres d'espérances folles, il ne prépara pas une expédition imposante, conduite par un prince de la Maison qui était à la poursuite de la couronne, et appuyée par une armée anglaise?

Tout cela frappa les esprits soupçonneux. Parlant de cette descente des royalistes depuis longtemps annoncée, le Bonhomme Richard, journal qui représentait, dans la presse de Paris, l'alliance des Thermidoriens avec l'ancienne Gironde, publia l'article suivant, expression fidèle des sentiments de la Convention :

<< Ne croyez pas que l'Angleterre veuille replacer le roi sur le trône elle hait les Bourbons. Ce qu'elle veut, c'est nous voir déchirer les uns les autres...; elle veut s'agrandir par nos discordes. Non, ce n'est point pour venger Louis XVI qu'elle a pris les armes... C'était bien à elle, qui avait laissé Cromwell monter sur le trône de Charles I, jugé par le parlement d'alors, de reprocher aux Français la chute d'un roi qu'ils avaient voulu rendre plus puissant que jamais, puisqu'il n'aurait eu à redouter, ni la rivalité de la noblesse, ni l'orgueil dominateur du clergé, s'il eût été de bonne foi roi constitutionnel! Non, ce n'est point Louis XVI que l'Angleterre a voulu venger'. »

1 Mémoires de Puisaye, t. VI, p. 62.

2 Journal du Bonhomme Richard, numéro 6.

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