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fluence française, et présidée par Peter Paulus. Tout ce que la Prusse avait fait en 1787, cette Assemblée le défit, et, le 3 février, sa profession de foi parut sous la forme d'une « Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, »> reproduction de celle qui proclamait les principes de la Révolution française 1.

Ainsi s'accomplit ce grand événement. Il ne donna lieu à aucun désordre, ne fit pas couler une goutte de sang, et aux acclamations qu'il provoqua l'on n'entendit se mêler aucune voix haineuse, aucun cri de vengeance. L'aspect d'Amsterdam était radieux; les seules larmes qu'on y versa furent des larmes de joie *.

Et, pendant ce temps, la Belgique demandait avec instance à faire partie du peuple français; Pérès et Haussmann pouvaient à peine suffire à la transmission des requêtes qui, dans ce but, leur arrivaient de toutes parts; les membres de l'administration générale de la Flandre orientale, siégeant à Gand, écrivaient à la Convention : « Oui, législateurs, les habitants de ce beau pays sont dignes d'être Français; » de Bruxelles, les membres de l'administration centrale de Belgique conjuraient, à leur tour, la Convention de se rappeler que, depuis deux ans, les Belges soupiraient après le jour, <«<l'heureux jour où ils pourraient dire avec enthousiasme Nous sommes Français ! » - « Ce peuple généreux de France, écrivaient les administrateurs bruxellois, ce peuple qui mérite l'admiration de l'univers, est fait pour aimer les Belges, pour fraterniser avec eux. Pourquoi différer de proclamer cette union? » Que dire

1 Voy. les State papers, t. XXXVII, p. 207 de l'Annual Register.

2 Tout ceci est historiquement constaté dans la proclamation que les représentants provisoires du peuple d'Amsterdam publièrent le 3 février 1795. Voy. les State papers, t. XXXVII, p. 211 de l'Annual Register.

3 Ibid., p. 240 et 241.

encore? le 2 mars 1795, la Convention recevait des magistrats d'Anvers l'adresse suivante: « Enfin, nous voici au terme de nos souffrances. Le décret du 22 pluviôse calme nos cœurs.... Vous avez brisé nos chaînes, complété notre bonheur en nous unissant à vous... Vive la République française sur la face du monde entier ! »

La révolution survenue en Hollande, la puissance singulière d'attraction que la République française exerçait autour d'elle, le traité que, le 9 février 1795, la Toscane conclut avec la France, tout concourait à affermir le roi de Prusse dans son désir d'arriver à la paix. Ce désir chez lui était d'autant plus vif qu'il s'irritait de la part qu'on lui avait faite dans le partage de la Pologne, son lot ne se composant que de neuf cent trente-deux mille deux cent quatre-vingt-dix-sept habitants, tandis que celui de l'Autriche en comprenait un million trente-sept mille sept cent quarante-deux, et celui de la Russie un million, cent soixante-seize mille cinq cent quatre-vingtdix 2.

Les négociations de Bâle, interrompues le 6 février 1795, par la mort du comte de Goltz, furent donc reprises par Hardenberg, qu'on lui donna pour succes

seur.

Inutile de dire que le Cabinet de St-James brûlait de les entraver. Le moyen auquel il eut recours vaut qu'on le signale il montre de quels vils ressorts se compose le gouvernement des peuples par les rois.

Frédéric-Guillaume II avait séduit, lorsqu'il n'était encore que prince royal, l'aînée des trois filles d'Élie Henke, musicien de la chapelle de Frédéric le Grand. Cette femme, dont la violence égalait la beauté, maltraitait volontiers Wilhelmine, sa plus jeune sœur. Un jour,

1 State papers, t. XXXVII, p. 242 de l'Annual Register.
2 Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 137.
3 Moniteur, an III, n° 204.

elle lui donna un soufflet en présence du prince, qui, ému de pitié, prit Wilhelmine sous sa protection, et, passant bientôt de la pitié à l'amour, fit de sa protégée sa maîtresse1. Wilhelmine avait alors treize ans ; c'était donc une enfant. Le prince sc plut à être son instituteur, et, entre autres romanciers, il lui apprit à admirer — trait caractéristique du dix-huitième siècle « Voltaire, l'abbé Prévost et l'immortel Jean-Jacques. » L'extrême et durable attachement que Frédéric-Guillaume ressentit pour Wilhelmine Henke vint-il de ce qu'il put s'aimer dans son élève? Ce qui est certain, c'est que ce lien se trouva être de ceux que la mort a seule pouvoir de rompre.

S'il faut en croire les Mémoires de la favorite, l'amour avait déjà cessé entre elle et le prince, lorsque celui-ci devint roi'; mais, amour ou amitié, le sentiment qu'elle inspirait à Frédéric-Guillaume n'en était pas moins impérieux, et madame de Rietz-c'était le nom du mari que le roi lui avait donné avant de la faire comtesse de Lichtenau - passait pour avoir sur l'esprit de FrédéricGuillaume II un empire absolu. Ce fut à elle que les diplomates de la Cour d'Angleterre songèrent à s'adresser.

Laissons-la parler :

<< Peu de temps avant la paix de Bâle, en 1795, je reçus de lord Henry Spencer, ambassadeur d'Angleterre à la cour de Prusse, un billet par lequel il me demandait un entretien particulier de la plus haute importance. Je dois prévenir mes lecteurs que je ne connaissais qu'imparfaitement lord Henry Spencer, et qu'il venait

1 Biographie universelle, supplément à l'article LICHTENAU. 2 Mémoires de la comtesse de Lichtenau, écrits par elle-même, p. 13. 5 C'est elle-même qui nous l'apprend, Mémoires, etc., p. 16.

4 Mémoires, etc., p. 21 et 22. «Les raisons de ce changement, ditelle, appartiennent à des causes que je suis obligée de cacher. »

très-rarement chez moi. Je lui répondis aussitôt que je le recevrais le jour même, entre sept et huit heures du soir. Il fut exact au rendez-vous. Après avoir parlé pendant quelque temps de choses indifférentes, il en vint au point important, et me dit qu'il savait de bonne part que le roi était dans l'intention de faire la paix avec la France. Il me peignit avec les couleurs les plus vives le tort qu'une pareille alliance pouvait faire à la Prusse, me parla d'un subside de plusieurs millions de piastres que l'Angleterre se proposait de donner à cette dernière Puissance, et appuya cette assertion de plusieurs raisons que je ne me rappelle plus. Ma réponse fut courte et précise: « Jamais, lui dis-je, je ne me suis « mêlée d'affaires publiques. » Il ne se tint pas pour battu, et me pria seulement de lui faire obtenir, à l'insu des ministres, une audience du roi, et de me servir de tout le pouvoir qu'il me supposait sur son esprit pour le détourner de conclure la paix avec la France. Il ajouta qu'il était chargé, dans le cas où la négociation tournerait suivant le désir de sa Cour, de me donner de sa part cent mille guinées, comme un gage de sa reconnaissance, démarche qu'elle faisait d'autant plus volontiers, qu'elle était instruite que le roi ne s'était pas encore occupé de mon avenir.......... La proposition d'une somme aussi considérable me parut suspecte. J'en fus vivement offensée, et je répondis assez sèchement que je ne concevais pas comment lord Henry Spencer pouvait s'adresser à moi pour une intrigue pareille... Je finis cependant par demander pour lui une audience particulière. En effet, le lendemain, je rendis compte à Sa Majesté de l'audience que j'avais eue avec lord Spencer. Le roi sourit, et dit qu'il accorderait l'audience, mais qu'il ne changerait rien à ce qu'il avait résolu 1.

Mémoires de la comtesse de Lichtenau, t. I, p. 67, 68. Ces faits

Ce fut le 18 mars 1795 que Hardenberg fit son entrée à Bâle, au grand désespoir de son correspondant royaliste, Mallet du Pan, qui, à la première nouvelle de l'arrivée prochaine du négociateur prussien, avait, de dépit, suspendu sa correspondance'.

Non-seulement Hardenberg fut fidèle à ses instructions, mais il se conduisit à l'égard des représentants de la France avec une aménité de manières et une courtoisie qui les charma. « Je lui ai trouvé l'air et le ton d'un marquis français, » dit Merlin (de Thionville) à ses collègues de Paris2.

Le but de la Prusse étant d'établir sa prépondérance en Allemagne, aux dépens de l'Autriche, la question pour elle était de conduire la négociation de manière à détacher de la Coalition tous les princes d'Allemagne qui désiraient la paix, en les amenant à traiter séparément avec la France, mais toujours sous l'égide et grâce à la médiation de la Prusse : c'est ce résultat que poursuivit Hardenberg, en demandant qu'on traçât d'abord une ligne de démarcation qui comprît les terres et domaines d'Allemagne appelés à jouir de la neutralité. Consulté par Barthélemy, le Comité de Salut public, après un premier refus, crut devoir acquiescer à cette demande, comprenant que, dès que la l'russe redevenait. notre amie, sa prépondérance dans l'Empire germanique, loin de faire ombrage à la République française, devait lui paraître désirable3.

D'un autre côté, la Prusse, ainsi que nous l'avons déjà

se trouvent confirmés dans les Mémoires tirés des papiers du prince de Hardenberg, t. III, p. 134-136.

Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, t. II, chap. vi,

p. 136.

2 Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 169-170. Voy. ce que dit à cet égard Rewbell, parlant au nom du Comité de Salut public, dans la séance du 21 germinal (10 avril). Moniteur, an III, n° 204.

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