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dorien, soit à faire le bien, soit à arrêter le mal, luimême la trahit d'une manière éclatante par le pitoyable résultat de ses efforts financiers.

Le 10 prairial (29 mai) 1795, il avait été décidé par décret rendu sur une motion de Balland, que désormais les biens nationaux se vendraient sans enchère, et que chaque citoyen, pour obtenir l'adjudication d'un bien national, n'aurait qu'à se soumettre à payer le denier 75 du revenu annuel calculé d'après les baux existant en 1790, c'est-à-dire soixante-quinze fois le revenu dudit bien 1.

Le but apparent de cette mesure était d'accélérer la vente des biens nationaux comme moyen de retirer une partie des assignats de la circulation, en offrant un appât considérable aux acheteurs; car telle était la dépréciation du papier qui servait au payement des biens nationaux, qu'en prenant le revenu annuel d'un domaine sur les baux de 1790 et en payant ce domaine soixante-quinze fois son revenu ainsi évalué, on se trouvait conclure un marché d'or. Il est vrai qu'en revanche la perte pour l'État

était énorme!

Aussi les entrepreneurs d'affaires accoururent-ils en foule, impatients de dévorer la proie qu'on mettait à leur portée. A Charenton, un bien national dont un soumissionnaire avait offert 180,000 livres, avant la loi du 10 prairial, n'avait pas été vendu parce qu'il était évalué 200,000 livres : la loi n'eut pas été plutôt rendue, que trois cents soumissionnaires se présentèrent; c'était à qui offrirait les 90,000 livres qu'il suffisait maintenant de payer pour acquérir un domaine dont l'État avait refusé le double! A Honfleur, un édifice public, servant de magasin, avait coûté 450,000 liv. à bâtir on dut le

Courrier républicain, numéro 572.

2 Voy. le discours de Dubois-Crancé, dans la séance du 19 prairial (7 juin) 1795, Moniteur, an III, numéro 262.

vendre 225,000 liv. au denier 751! Il en était partout de même. Ce fut, pendant quelques jours, une véritable curée. Ici, des spéculateurs sans surface sc concertaient, achetaient tous les biens nationaux d'un district, payaient comptant le premier tiers exigible, et revendaient aussitôt à un prix très-supérieur à celui de l'achat '; là, des administrateurs avides s'empressaient de faire leurs soumissions avant même que les autres citoyens eussent connaissance de la loi3, et s'enrichissaient de la sorte par l'abus des fonctions publiques. On vit s'élever, du jour au lendemain, aux dépens de l'État, des fortunes immenses, qui n'étaient ni la récompense d'aucun service, ni le résultat d'aucun travail. Ce nouveau mode d'aliénation des biens nationaux eut de tels effets, il donna naissance à tant de scandales, qu'en certaines localités les représentants du peuple qui y exerçaient une mission, se préparèrent résolument à suspendre de leur propre autorité l'exécution de la loi *.

Il y avait à peine neuf jours qu'elle avait été rendue, lorsque Rewbell vint, au nom du Comité de salut public, la déclarer désastreuse. « Si vous vendez tous vos domaines, dit-il, vous retirerez vos assignats; mais si vous avez encore besoin d'en créer, sur quoi les hypothéquerezvous? >> A la suite de ce discours, dont Vernier et Cambacérès appuyèrent vivement les conclusions, la loi du 10 prairial fut suspendue.

Ainsi, tout n'était, dans la direction des affaires publiques, qu'oscillations contradictoires et tâtonnements.

1 Voy. le discours de Rewbell, dans la séance du 27 prairial (15 juin) 1795, Moniteur, an III, numéro 270.

2 Ibid.

3 Lettre de Butel, représentant du peuple dans les ports de la Rochelle, Rochefort, etc. Courrier républicain,, numéro 594.

Ibid.

Ibid., numéro 581 et Moniteur, an III, numéro 262.

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La famine aussi était là, toujours là. Le 18 prairial (6 juin), dans le temps même où les Thermidoriens cherchaient à accréditer ce mensonge que, lors de l'invasion de l'Assemblée, on avait arrêté des hommes ayant leurs poches pleines de pain, le Courrier républicain écrivait: «Même ration de pain: un quarteron, et quelquefois six

onces 1. >>>

A Dieppe, il y eut une insurrection de femmes. Éperdues, furieuses, elles coururent par la ville en criant: Du pain! du pain ! On battit la générale; la loi de grande police fut proclamée; on fit avancer de l'artillerie. Mais la faim n'est pas facile à intimider : celles qui avaient des enfants restèrent debout devant la bouche des canons. Le calme ne fut rétabli que par un arrêté de la commune promettant qu'il serait délivré trois quarterons de pain par tête. Les femmes, durant cette émeute, n'avaient cessé de crier Du pain, et vive la République! Point de pain, vive le roi'!

Le passage suivant du Bonhomme Richard, journal du parti dominant, donnera une idée de la situation que ce parti avait faite à la France:

Tout le monde est devenu marchand. Le nouveau riche est insolent, le pauvre tombe d'étisie, l'ouvrier murmure, le fermier se gonfle d'assignats et les méprise; la campagne ruine, affame et persécute la ville. La disette est au milieu de l'abondance. Les uns dansent, le ventre plein; les autres pleurent, couverts de haillons. Les spectacles sont toujours remplis, les prisons s'encombrent; l'agiotage s'engraisse; les voleurs se multiplient; les compagnies de Jésus égorgent les compagnies de Marat. Les uns désirent l'arrivée des Anglais, pour

1 Courrier républicain, numéro 579.

2 Ibid., numéro 584.

5 Heureuse la France si les compagnies de Jésus n'avaient pas plus existé à cette époque que les compagnies de Marat!

rattraper ce qu'ils espèrent en vain, les autres voudraient voir les Anglais dans la plaine des Sablons, pour qu'il n'en restât pas un... Polichinelle amuse ceux-ci, les revenants font peur aux autres. Tout le monde se plaint, tout le monde se pille. La coquetterie s'organise; nos petits maîtres se coiffent en victimes qui dînent bien, nos femmes en petites folles qui font rire... Pauvres humains, que je suis heureux d'être vieux, pour vous quitter bientôt 1! >>

1 Journal du Bonhomme Richard, numéro 10

LIVRE QUINZIÈME

CHAPITRE PREMIER.

LES ÉMIGRÉS.

L'émigration ne fut point déterminée par les excès révolutionnaires. Origines et caractère égoïste de l'émigration. Les émigrés cherchent partout des ennemis à la France. – Leurs prétentions et leurs illusions. Leur conduite à l'étranger. — Leur bravoure dans les combats. Faste et vices de Versailles transportés à Coblentz. — Morgue des émigrés nobles. Jactance des émigrés. Les Cours étrangères se cachent d'eux.

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jeune. d'émigrés.

Émeutes excitées par leurs allures. Mirabeau

Excès commis par le prince de Condé.

Rassemblements

Les émigrés en seconde ligne dans l'invasion du territoire français par le roi de Prusse. Animosité des émigrés contre le roi de Prusse et le duc de Brunswick. — Coups de fusil tirés sur le roi de Prusse; rumeurs répandues à cet égard. Mauvais vouloir témoigné aux émigrés par les petits princes d'Allemagne. Ordonnance insultante publiée par Cobourg. Les émigrés tombent dans la misère. Tableau de leur détresse. therine II et les émigrés.

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teaubriand y manque de pain.

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Effroyables contrastes. Situation des émigrés à Londres; ChaMėsintelligence entre les princes français et les Puissances coalisées. Protection dérisoire accordée aux princes français par les Cabinets de Londres et de Vienne. - Mésintelligence entre le comte d'Artois et son frère. Louis-StanislasXavier se proclame régent. lui reconnaître ce titre.

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Répugnance des Puissances coalisées

Mot égoïste et cruel échappé à Louis-Stanislas-Xavier, à la nouvelle de l'exécution de Marie-Antoinette. — Cour de la régence à l'étranger. — Discrédit de ses représentants diploma

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