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pêcher d'arriver... chimère ! Une pétition dans ce sens fut présentée par le parti patriote, en dépit d'une prohibition formelle. Pour toute réponse, on emprisonna les pétitionnaires. Mais la digue qui arrêterait un ruisseau n'arrête pas un torrent: il fallut les mettre en liberté, et le torrent, grossi par l'obstacle, n'en roula qu'avec plus de violence 1.

Nous avons décrit dans un précédent volume l'entrée et les progrès de l'armée française en Hollande: un fait qui mérite d'être noté, c'est qu'à mesure que nos soldats avançaient, la sympathie des Hollandais pour la France ne cessait de croître en force et en éclat 2. De fait, le peuple envahi se trouvait représenté dans les rangs de l'armée envahissante par plus d'un patriote connu et éprouvé. Daëndels, par exemple, qui, en 1787, avait eu tant à souffrir de la part des nobles de Gueldre et des troupes du Stathouder, figurait, en 1794, au nombre des généraux français, et avait commandé une partie des forces qui, le 11 décembre, tentèrent le passage du Wahal 3.

A quoi pouvaient servir, dès lors, les proclamations du Stathouder, et ses appels réitérés à l'orgueil national, et sa demande d'une levée en masse? La levée en masse cut lieu, mais contre lui. Le 19 janvier 1795, après avoir attendu inutilement une réponse à des propositions qu'il avait envoyées au gouvernement français, il fut réduit à s'embarquer pour l'Angleterre. Et ce ne fut pas sans difficulté; car, le jour de son départ de la Haye, le peuple s'assembla en tumulte, réclamant sa mise en jugement. « Il a trahi la Hollande ! Il s'est fait l'instrument des An

1 Voy. l'Annual Register, vol. XXXVII, p. 43-45.

2 Il n'y a pas à en douter, puisque les Anglais eux-inêmes l'ont altesté: «The nearer the French armies drew to the confines of the United States, the bolder and more explicit was the avowal of the people at large of a determined partiality in their favor. » Ibid., p. 43.

Schlosser, t. VI, p. 612.

glais!» tel était le cri populaire. Pour protéger le prince, il fallut l'intervention de ses gardes '.

Mais si la fuite du Stathouder fournit une preuve terrible de la préférence accordée par les Hollandais à ceux que l'Europe appelait leurs ennemis sur ceux qu'elle appelait leurs alliés, que dire du complément que vint donner à cette démonstration la retraite de l'armée anglaise? Jamais certainement retraite ne fut plus digne d'admiration. Durant leur longue et tragique marche à travers les provinces d'Utrecht, de Gueldre, d'Over-Yssel et de Groningue, les Anglais déployèrent une persévérance, une fermeté d'âme, un courage, qui commandent le respect de l'Histoire. Mais rien n'attesta mieux que cette retraite l'antipathie qu'ils inspiraient aux habitants. Ils traversèrent villes et villages, sans qu'aucune main amie leur fût tendue, sans qu'aucun cœur compatissant parût s'émouvoir au spectacle de leurs souffrances ".

Et quelles souffrances ! Dépourvus de tout, embarrassés d'artillerie, forcés de traîner à leur suite des fourgons chargés de malades et de blessés, ils virent s'étendre devant eux, avant d'arriver à Deventer, un désert sablonneux où pas une hutte, pas une tente, ne leur assurait un abri. Un vent du nord, très-impétueux, leur jetait au visage des flots de neige mêlés de sable. « Le froid était tel, raconte un témoin oculaire, que l'eau qui coulait de nos yeux, se gelant à mesure qu'elle tombait, restait suspendue à nos cils sous forme de glaçons, et que notre haleine même devenait de la glace sur nos visages. Comme la nuit approchait, beaucoup, hommes et femmes, commencèrent à demeurer en arrière; beaucoup,

1 Annual Register, vol. XXXVII, p. 49 et 51.

2

«The British army, exclusively of an open enemy in the French, had a concealed one in every dutch town and village through which they passed. »

accablés de lassitude, se couchèrent sur le chemin et s'endormirent... pour ne plus se réveiller 1. »

Voilà ce que les Anglais avaient gagné à la politique de Pitt. C'était bien la peine de mettre le feu au monde!

er

Pichegru fit son entrée dans Amsterdam le 1a pluviôse (20 janvier 1795), au milieu des transports de joie et des acclamations. La veille, le Comité révolutionnaire d'Amsterdam avait publié la proclamation suivante :

«Braves citoyens, W. E. G. Pruys, S. Wiseleus, J. J. A. Goges, J. Thoen, D. Von Laer, J. Ondoup, E. Vandestins, P. Duereult, J. Van Hassen, P. J. R. P. Vander Aa, formant votre Comité révolutionnaire, vous souhaitent santé et fraternité. Grâce au puissant secours de la République française et à votre propre énergie, la tyrannie qui pesait sur vous est par terre. Vous êtes libres, vous êtes égaux. Livrez-vous avec confiance et sécurité à vos travaux ordinaires. Vos personnes et vos propriétés seront protégées... Les Français qui sont parmi nous se conduisent réellement comme nos frères. Toute idée de rapine et d'injustice leur est inconnue. Pour eux comme pour nous, la fraternité est à l'ordre du jour.

« Au nom du Comité révolutionnaire,

« P. J. B. G. VANDER AA.

« Amsterdam, 19 janvier 1795, le premier jour de la liberté hollandaise. »

Cette proclamation fut suivie d'une seconde, qui parut signée des conventionnels Gillet, Bellegarde, Lacoste, Joubert et Portiez (de l'Oise). Elle disait :

« Nous ne venons pas faire de vous des esclaves; la

1 Annual Register, vol. XXXVII, p. 49.

3

* State papers, Annual Register, vol. XXXVII, p. 202, 203.

République française vous conservera votre indépendance.

« Les armées de la République observeront la plus stricte discipline.

<< Tous crimes et délits seront punis avec la dernière sévérité.

« La sûreté individuelle sera garantie, les propriétés seront protégées.

« Les lois et les coutumes du pays seront provisoirement maintenues.

« Le peuple batave, exerçant cette souveraineté qui est son droit, possédera seul le pouvoir de changer ou de modifier la forme de son gouvernement 1. >>

L'attitude des soldats français répondit à ces magnanimes promesses. Portés par la victoire au sein d'une ville qui regorgeait de richesses, après avoir eu à subir toutes sortes de privations et de fatigues, ils n'exigèrent rien, ne demandèrent rien, et, plaçant leurs armes en faisceaux, ils attendirent avec un ordre admirable, dans le silence du respect, la décision des magistrats relativement à leur nourriture et à leur gîte '.

C'est grâce à sa généreuse conduite que la France vit se soumettre sans aucune résistance, comme Carnot le fit remarquer dans son rapport du 2 ventôse (20 février) 1795 « Berg-op-Zoom, qui, en 1747, nous avait coûté dix mille hommes; Gertruydemberg, qui avait arrêté Louis XIV au milieu de ses victoires; Williamstadt, qui fut le terme de nos propres succès en 1793; Gorcum, la clef des grandes inondations; Flessingue, l'une des trois places que Charles V conseilla à Philippe II de conserver avec soin; Middelbourg, qui avait soutenu un siége

1 State papers, Annual Register, vol. XXXVII, p. 203.

2 On a vu plus haut la preuve, en quelque sorte officielle, de ce fait, dans la proclamation du Comité révolutionnaire.

d'un an; les trois provinces d'outre-Rhin, la Frise, I'Over Yssel, Groningue, et enfin les deux flottes du Texel et de la Zélande'. »

Est-il besoin d'ajouter que les Hollandais mirent à pourvoir aux besoins de l'armée française le plus noble empressement? Sur l'invitation des représentants Haussmann, Joubert, Alquier, Gillet, Roberjot et Lacoste, les États généraux, auxquels on s'était adressé pour n'avoir pas à recourir aux réquisitions, décidèrent qu'il serait fourni à l'armée française, dans l'espace de deux mois, deux cent mille quintaux de blé, cinq millions de rations de foin, deux cent mille rations de paille, cinq millions de boisseaux de grains, cent cinquante mille paires de souliers, vingt mille paires de bottes, vingt mille habits et gilets, cent cinquante mille paires de pantalons, deux cent mille chemises, cinquante mille. chapeaux, et douze mille bœufs. Ces approvisionnements étaient considérables, mais on savait que la demande avait été calculée strictement sur les besoins, et on y satisfit avec bonne grâce.

Le jurisconsulte Schimmelpenninck, homme de beaucoup de savoir et de probité, mais d'un caractère peu ferme, comme la suite le prouva, s'était montré un des plus ardents à accueillir les Français: on l'élut président de la municipalité d'Amsterdam, et il prit alors une part active à l'établissement de la République ba

tave.

La proclamation de la souveraineté du peuple, l'abolition du stathoudérat, l'annulation des sentences prononcées contre les patriotes, le rappel des exilés, tels furent les premiers actes de l'Assemblée des représentants provisoires du peuple hollandais, élue sous l'in

1 Moniteur, an III, no 155.

State papers, Annual Register, vol. XXXVII, p. 207-209.

* Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, թ. 127.

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