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Cette expédition ridicule irrita fort les royalistes contre les Thermidoriens, leurs alliés. Ils éclatèrent en plaintes amères sur ce qu'on n'avait pas fait soutenir la Jeunesse dorée par de la cavalerie, et sur ce qu'on l'avait de la sorte exposée à être hachée en pièces; au fond de cette négligence, qui leur parut calculée, ils soupçonnèrent une pensée de trahison, et, de la part des dominateurs du moment, le désir de se fortifier par l'humiliation des royalistes combinée avec le désarmement des Jacobins'.

Le fait est que rien ne venait plus à propos pour servir la politique à deux tranchants des Comités. Après avoir poussé la Jeunesse dorée à faire preuve d'impuissance, ils se hâtèrent de montrer ce qu'eux, Thermidoriens, ils avaient pouvoir d'accomplir. Le 4 prairial (25 mai), Laporte court présenter à la Convention, au nom des Comités, un projet de décret dont la vigueur contrastait singulièrement, et avec les promesses faites au peuple dans la journée du 2 prairial, et avec la générosité que, dans la nuit du 2 au 5, le peuple avait déployée à l'égard de ses agresseurs.

« Les habitants du faubourg Saint-Antoine seront sommés à l'instant de remettre entre les mains de la justice les assassins du représentant du peuple Féraud, et, notamment, celui qui, dans la journée d'hier, a été arraché au supplice.

« Ils seront sommés de remettre leurs armes et les canons des trois sections composant le faubourg.

«En cas de refus, le faubourg Saint-Antoine sera déclaré en état de rébellion.

«En conséquence, les sections de Paris marcheront sous les ordres des généraux pour réduire les rebelles.

1 Voy. Beaulieu, Essais historiques, etc., t. VI, p. 189-190.

« Toute distribution des subsistances cessera d'avoir pour ce faubourg1. »

lieu

Ce décret fut adopté au cri de: « Vive la Convention! >> On n'avait plus besoin maintenant de s'étudier à flatter le peuple et à le tromper : les troupes soldées étaient là, et l'accolade fraternelle du président pouvait être, avec certitude de succès, remplacée par une décharge à mitraille!

Les Thermidoriens sentaient le prix du temps: ils le mirent à profit. Quoique le faubourg Saint-Antoine fût alors tranquille', l'ordre de l'attaquer est donné, absolument comme s'il se fût agi d'une place de guerre appartenant à l'ennemi. Toutes les sections de l'intérieur sont sommées de prendre les armes; trente mille hommes sont formés en bataillons; on les fait précéder de quelques détachements de cavalerie, et l'on marche droit au faubourg. Des pièces d'artillerie destinées non-seulement à tuer les hommes, mais à incendier les maisons, sont braquées à l'entrée des principales rues. Les députés Fréron, Delmas, Laporte et Barras, nommés représentants du peuple auprès de cette armée envoyée contre le peuple, choisissent la maison de Beaumarchais pour leur quartier général, et mettent en délibération s'ils mettront le feu au faubourg! Heureusement ce projet atroce fit horreur au général Menou, qui déclara de telles choses impossibles à oser sans un décret spécial de la Convention*.

Pendant ces tragiques débats, les propriétaires et chefs d'atelier établis dans le faubourg allaient implorer les autorités municipales des sections, et pressaient les

1 Courrier républicain, numéro 566.

2 Thibaudeau, Mémoires, t. I, chap. xш, p. 170. 5 Beaulieu, Essais historiques, etc., t. VI, p. 190-191. Mémoires, t. I, chap. xш, p. 170.

4 Beaulieu, Essais historiques, etc., t. VI, p. 190-191.

Thibaudeau,

ouvriers de ne pas exposer cet important quartier à une destruction certaine. La Convention n'avait-elle pas décrété, après tout, sur la motion de Bourdon (de l'Oise), deux des mesures proposées par Romme, savoir : l'interdiction de faire plus d'une qualité de pain, et la mise en réquisition des farines qui se trouvaient chez les pâtissiers? N'avait-elle pas rapporté, en outre, le décret qui déclarait l'argent marchandise? Pourquoi courir les chances d'une lutte désespérée, lorsqu'un peu de modération pouvait amener, sans effusion de sang, la réalisation des vœux du peuple? Ces discours calmant peu à peu les esprits, on se décide à parlementer; des commissaires sont désignés; Menou leur donne un saufconduit; ils partent. Mais, sans attendre leur retour, les partisans intéressés de la pacification, redoublant d'efforts, obtiennent de la section de Popincourt qu'elle livre, en même temps que ses canons, le capitaine des canonniers, homme d'une force prodigieuse et d'un courage égal à sa force. C'était un mulâtre, nommé Delorme, qui avait déjà figuré dans les mouvements révolutionnaires. L'impulsion une fois imprimée, tout suivit. Comme la section de Popincourt, les autres sections du faubourg se laissèrent désarmer, et, dès huit heures du soir, la Convention apprenait, de la bouche de Fréron et d'Auguis, qu'elle avait vaincu sans avoir eu à combattre1.

Une demi-heure s'était à peine écoulée lorsque les députés du faubourg se présentèrent au seuil de l'Assemblée. Le danger était passé alors. Aussi furent-ils traités avec cette lâche insolence que la victoire inspire aux

▲ Hist. parl., t. XXXVI, p. 378 et 379.

2 Il était huit heures du soir, lorsque Fréron et Auguis annoncèrent à l'Assemblée la soumission du faubourg Saint-Antoine, et huit heures et demie, lorsque les commissaires se présentèrent. Voy. sur ce point l'Histoire parlementaire, t. XXXVI, p. 377 et 379.

àmes vulgaires. André Dumont, qui présidait, défendit aux huissiers de laisser entrer qui que ce soit. Il voulut bien, toutefois, donner connaissance à l'Assemblée de la pétition, qu'il s'était fait remettre; mais, comme il en commençait la lecture, Bourdon (de l'Oise) l'ayant interrompu, il quitta le fauteuil, descendit à la tribune, et dit: « Je suis si éloigné de vouloir que les pétitionnaires soient admis à la barre, que non content de demander, comme le préopinant, que les révoltés soient bombardés demain, je propose de le faire aujourd'hui1.» On n'avait pas tenu ce langage quand, le 2 prairial, ces mêmes révoltés campaient, mèche allumée, sur la place du Carrousel! On brûlait, ce jour-là, de fraterniser avec eux, et le président de l'Assemblée était si loin de vouloir les bombarder, qu'il donnait à leurs députés l'accolade fraternelle!

Ainsi repoussés et même menacés d'être arrêtés, les commissaires ne cherchèrent plus qu'à s'évader, y réussirent, et coururent se plaindre à leurs compagnons du faubourg de l'accueil qu'ils avaient reçu. Il était trop tard!

Est-il besoin de signaler ici l'analogie saisissante qui existe entre cette insurrection de prairial que nous venons de raconter, et la trop fameuse journée du 15 mai 1848? Il est vrai que, dans celle-ci, la faim n'eut pas de rôle et qu'on n'y porta, grâce au ciel, aucune tête au bout d'une pique; mais, en ce qui touche la situation respective des partis, les circonstances qui caractérisèrent le mouvement, les causes qui le firent échouer, l'avantage qu'en retira la réaction et les vengeances auxquelles il ouvrit carrière, que de traits de ressemblance!

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CHAPITRE SIXIEME

FUREURS DE LA CONTRE-RÉVOLUTION

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Le lendemain des journées de prairial. - Institution d'une Commission militaire. Condamnations à mort exécutées sur-le-champ. Désarmement des patriotes, sous prétexte de terrorisme. — Disparition des piques. Anéantissement de la Commune. Les gendarmes et les muscadins. Décret qui rend les femmes justiciables de la Commission militaire. Mot terrible d'un ouvrier à Rovère. La réaction déchaînée. Suicide de Ruhl. - Suicide de Maure. - Mise en accusation de Jean-Bon Saint-André et de Carnot demandée. Sortie furieuse de Henri Larivière contre Carnot. - Départ de Collot d'Herbois et de Billaud-Varenne pour la Guyane. — Barrère oublie pour la première fois de suivre le vent. Détails sur l'exil et les derniers moments de Billaud-Varenne. - Les six martyrs de prairial. Leur translation au château du Taureau. Leur attitude devant la Commission militaire. Leur mort héroïque. Guerre aux noms, aux cmblèmes, à tous les souvenirs révolutionnaires. Appels farouches à l'esprit de vengeance. Poursuites contre Joseph Le Bon; moyens iniques employés. Pitance du peuple à la date du 18 prairial. Vains efforts pour arrêter la chute des assignats. L'agiotage triomphant. Tableau de la situation par le Bonhomme Richard.

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Les journées de prairial étaient le dernier effort de la Révolution agonisante: l'ère des fureurs contre-révolutionnaires s'ouvrit. Dès ce moment l'esprit de persécution ne connut plus de frein, et l'esprit de vengeance fit définitivement divorce avec tout sentiment de pudeur.

Le 22 germinal (11 avril), la Convention avait rapporté deux décrets affreux : celui du 17 mars 1792, qui mettait hors la loi les ennemis de la Révolution, et celui du

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